«La Couronne est l'un des principaux piliers de l'État de droit et toute attaque contre la monarchie parlementaire et constitutionnelle est une attaque contre notre démocratie et contre l'Espagne ». En empêchant le roi Felipe VI d’assister à la remise des diplômes des nouveaux juges issus de l’Ecole Judiciaire de Barcelone, sous des motifs fallacieux, le gouvernement de coalition de gauche a déclenché une tempête qu’il aurait préféré ne pas subir. En quelques heures, l’opposition, menée par le Parti Populaire et celui de Vox, a successivement dénoncé la prise en otage de la monarchie par les socialistes et Podemos, un acte inconstitutionnel, une tentative de coup d’état et s'est empressée de renouveler publiquement sa fidélité à la famille royale des Bourbons. Des tensions qui sont montées d’un cran alors que Podemos a réclamé ouvertement la mise en place d’une République en Espagne provoquant une levée de boucliers de la part des soutiens de la monarchie.
C’est une atmosphère d’Entre-deux-guerres qui règne dans le royaume d’Espagne. Le premier coup de canon tiré contre la monarchie est venu de la part de Pablo Iglesias. Le 19 septembre, lors du dernier congrès de son parti, le leader de Podemos a déclaré à ses militants que le scandale financier qui avait secoué la royauté était « le moment historique qui permettrait ( à la Gauche) de proclamer la république ». « De moins en moins de gens en Espagne ne comprennent pas, en particulier les jeunes, qu'au XXIe siècle, que les citoyens ne peuvent pas choisir qui est leur chef d'État et qu'il n'a pas à répondre à la justice comme n'importe quel citoyen et ne peut être destitué si celui-ci commet un crime » a poursuivi Pablos Iglesiais qui occupe le poste de vice-premier ministre au sein du gouvernement de coalition de Gauche. Une attaque directe contre Juan Carlos, actuellement en exil dans les Emirats Arabes Unis, et un doigt accusateur contre son fils et successeur, le roi Felipe VI. Une déclaration qui a agacé plus d’un député du Parti Populaire (Droite/PP) et de Vox (Parti conservateur) déjà très échaudés par les provocations régulières des populistes d'extrême-gauche qui ne cessent de réclamer un référendum sur les institutions.
« Le roi Felipe VI est à la tête de notre Nation et la Nation ne permettra pas à un gang de meurtriers sans âme, corrompus et révisionnistes de manipuler son avenir. Encore moins de stopper son désir de donner une continuité (monarchique) à notre histoire ». Le leader de Vox, Santiago Abascal n’a pas caché son irritation dans ce qu’il considère comme une véritable déclaration de guerre de la part de la Gauche et l’a fait savoir dans une vidéo, vue par 550 000 personnes sur son compte Twitter. Le parti conservateur d’extrême-droite, qui ne cesse de monter dans les sondages, s’est autoproclamé gardien de la monarchie espagnole. En empêchant le roi d’assister à la remise des diplômes des nouveaux juges de l’Ecole de Judiciaire de Barcelone (CGPJ), la coalition de Gauche a provoqué une levée de bouclier de la part de l’opposition qui a accusé très rapidement le Premier ministre socialiste Pedro Sanchez de « prendre en otage la monarchie », lui demandant en vain de condamner les propos de ses alliés. Même le président de la Cour suprême y a été de son laïus, regrettant l’absence du souverain, une première depuis la création de cette prestigieuse école. Des tensions de plus en plus vives entre le palais de la Zarzuela et celui de la Moncloa, chacune des deux institutions représentatives de la maison royale et du gouvernement accusant l’une et l’autre de ne pas l’informer sur ses activités officielles. Felipe VI ne cacherait pas sa colère d'aailleurs d’après des médias proches du Palais royal.
Le porte-parole du Parti Populaire à la Commission de justice du Congrès des députés, Luis Santamaría, a reproché à la coalition de vouloir se substituer à l’autorité royale et accusé le Premier ministre d’être un « ver dans le fruit ». « Le degré de dégradation de notre démocratie est insupportable » a regretté Luis Santamaría rappelant que son parti combattrait toute tentative d’instauration de la république ou de sécession, visant ainsi les catalans. L’idée d’une « Tercera República » ne fait pourtant pas recette en Espagne en dépit des effets d’annonces de Podemos qui tente de manipuler l’opinion en sa faveur depuis le début du scandale qui a éclaboussé le roi Juan Carlos. On est désormais loin des images mielleuses offertes par Pablo Iglesias lors de la dernière ouverture des Cortès où le roi s’était déplacé.
Officiellement, le gouvernement affirme qu’il y a eu un changement d’agenda du roi et qu’il ne pouvait pas garantir sa sécurité pour cette inauguration prévue dans une ville aux mains des indépendantistes. Pour certains experts constitutionnalistes, la décision de la coalition est une « anomalie », un accroc aux prérogatives du souverain. L’Union monarchique d’Espagne (Unión Monárquica de España), un des plus gros groupes de soutien à la monarchie, suivie par 22000 personnes sur les réseaux sociaux, a publié un communiqué rappelant l’importance du rôle de la royauté dans le pays. « La Couronne est l'un des principaux piliers de l'État de droit et toute attaque contre la monarchie parlementaire et constitutionnelle est une attaque contre notre démocratie et contre l'Espagne. Notre roi Felipe VI est celui de tous les Espagnols, une figure institutionnelle très essentielle, il est un symbole de la continuité historique de l'Espagne et un garant de l'unité et de l'harmonie de notre nation » a déclaré Joaquin Corominas.
Le fils du Roi Siméon II de Bulgarie, le prince Kyrill, est un témoin privilégié de ce qui passe en Espagne. Lors d’une interview au magazine « Vanitatis », il a déploré les attaques contre la monarchie mais encore plus le manque de réaction du souverain qui a décidé de ne pas réagir publiquement à la décision du gouvernement. Une absence de prise de parole qui a affecté aussi la Députation permanente et Conseil de la grandesse d'Espagne et des titres du royaume. Si Enrique Fernández-Miranda, duc de Fernández-Miranda et doyen de la Députation n’a pas souhaité réagir publiquement, il s’est fait l’écho de quelques Grands qui exigent que le roi s’exprime et condamne ce qui ressemble à une attaque directe sur la monarchie « Comment est-il possible que le gouvernement interdise au roi de présider la remise des diplômes aux nouveaux juges à Barcelone en raison de la pression exercée par les indépendantistes ? Le roi représente tous les Espagnols et le gouvernement insulte le Roi et nous tous. C’est Intolérable! « a déclaré Jaime Carvajal Urquijo, marquis d'Isasi. Il est vrai que la coalition de Gauche ne ménage pas les Grands avec l’adoption de la loi sur la mémoire historique qui remet en cause certains titres issus de la période franquiste. Dans une lettre envoyée au souverain, la Députation avait dénoncé une « campagne de harcèlement » flagrante contre le roi et également réaffirmé sa loyauté aux Bourbons. « La seule chose que je peux dire, c'est que tout le monde sait que le roi Felipe VI est de loin le meilleur représentant de l'État espagnol, et toute occasion manquée d'utiliser son expérience et ses compétences en terme de médiation est une perte pour tous les Espagnols » a renchéri le prince Kyrill de Bulgarie.
Les tensions entre le roi, l’opposition et le gouvernement n’ont pas échappé aux espagnols. Si la coalition devait chuter suite à une motion de censure, il est probable que les sujets du roi Felipe VI seraient de nouveau convoqués au parlement. Un enième vote qui pourrait signifier le retour de la Droite au pouvoir, une fenêtre de tir ouverte pour le parti Vox de Santiago Abascal et un plébiscite en faveur de la monarchie confortée dans ses droits. Podemos a d’ores et déjà annoncé avec beaucoup d’aplomb, que son intention était de continuer à attaquer l’institution royale. Selon un récent sondage, 56% des espagnols affirment soutenir la monarchie, contre 34’% en faveur d'une république.
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