L’Infante Léonor de Borbón y Ortiz a prêté serment. Visage calme et détermination dans ses devoirs dont elle a pleinement conscience, l’aînée des filles du roi Felipe VI et de la reine Letizia sera amenée à devenir la seconde souveraine de l'histoire espagnole contemporaine. Elle aura la tâche de faire oublier le règne d'Isabelle II. L'occasion de revenir sur une période qui n’a pas laissé un grand souvenir aux Espagnols.
Elle parait loin, l’époque des scandales de corruption, d’affaires extraconjugales et de dépenses excessives imputées au roi Juan Carlos. Une nouvelle ère s’apprête à s'ouvrir dans quelques décennies. Avec elle, son lot d’espoirs. Le 31 octobre 2023, l’Espagne a assisté à la prestation de serment à la Constitution de la princesse Léonor, héritière au trône. C’est à l’occasion de son dix-huitième anniversaire, devant les Cortes réunis, que l'infante a obtenu le droit constitutionnel de succéder à son père le moment venu, jurant « de remplir fidèlement (s)es fonctions, de protéger et faire protéger la Constitution et les lois, de respecter les droits des citoyens et des communautés autonomes et d’être fidèle au Roi ».
Isabelle II, première reine d’Espagne à la régence délicate
Lorsque Léonor accèdera au trône, elle ne sera pas la première femme à gouverner l’Espagne. Outre Isabelle Ire la Catholique (1451-1504) et Jeanne Ire (1479-1555), reines de Castille et d'Aragon, seule Isabelle II fut souveraine d’une Espagne unifiée en un unique État. Neuvième monarque de la maison de Bourbon, Isabelle II régna sur l’Espagne durant 37 années grâce à l’abrogation par Ferdinand VII (son père) de la loi salique alors en vigueur. Les premières années du règne d’Isabelle II sont mouvementées. Confrontée à la tâche suprême dès l’âge de trois ans, après la mort de son père le 29 septembre 1833, c'est sa mère qui va assurer la régence jusqu’en 1840 avant de céder la place à Baldomero Espartero. Durant ces dix années d’une régence tumultueuse, la première guerre carliste secoue le socle de la monarchie. Le Casus Belli ? Don Carlos ( 1788-1855), oncle d’Isabelle II, refusant de reconnaitre la perte de ses droits, revendique très logiquement le trône d’Espagne. Largement soutenus par le roi des Français Louis-Philippe d’Orléans, les partisans d’Isabelle II l’emporteront finalement en 1839, victoire scellée par la convention de Vergara. Combinées à cette crise de succession, l’instabilité générée par la forte alternance des partis au pouvoir ainsi que par l’instauration de la Constitution contestée de 1837 qui ne laisseront guère de répits aux régents.
Un règne personnel empreint de difficultés
Acculé par une apparente impopularité, Espartero se retire de la régence en 1843 (il reviendra ultérieurement au pouvoir une décennie plus tard). Sans protecteur et malgré ses treize jeunes années, Isabelle II devient reine d’Espagne sur décision des Cortes qui lui accordent une majorité anticipée. Cette succession d’évènements aura eu raison de la minorité d’une jeune fille, guère préparée au rôle que l’Histoire lui destinait depuis le berceau. La régence n’aura pas été l’occasion pour Isabelle II d’être familiarisée, initiée ni éduquée aux difficultés de sa tâche. Un père trop tôt disparu ainsi qu’une mère manifestant toujours sa préférence pour sa sœur cadette (l'infante Louise-Fernande qui épouse le duc de Montpensier, Antoine d'Orléans. lequel tente de monter sur le trône d'Espagne à diverses reprises et qui maoeuvrera avec succès pour que sa fille épouse le roi Alphnse XII) ne favoriseront pas sa préparation de future souveraine. L’Espagne va vivre au rythme des crises qui se succèdent, marquées notamment la perte de son influence dans plupart de ses colonies sud-américaines et par son isolement diplomatique en Europe. L’instabilité politique profite aux carlistes qui reprennent le chemin de la guerre en 1846 et qui se soldera de la même façon que la première trois ans plus tard.
Une souveraine face au couperet de la démocratie
Même si Isabelle II fut saluée pour certaines réussites économiques et sociales, au nombre desquelles la construction du théâtre Royal de Madrid, le développement des moyens de communication ou encore les dons importants faits aux nécessiteux ou victimes d’accidents, son concordat avec le Vatican, c’est la présence non négligeable de militaires et généraux au gouvernement tels que Ramón María Narváez y Campos ou Leopoldo O'Donnell y Jorris qui marqueront politiquement son règne. Cette omniprésence va renforcer l'influence des Libéraux opposées à l’autoritarisme de ces deux chefs de Gouvernement. Les rivalités incessantes que vont mener ces deux hommes, tour à tour au pouvoir, ne redoreront en rien le règne de la souveraine. Sur le plan personnel, son mariage arrangé avec François d’Assise fera l’objet de larges spéculations de la part des carlistes qui pointent du doigt l'homosexualité du roi-consort et remettent en cause la paternité de leurs onze enfants. L’infidélité d’Isabelle II à son mari a été également notée par de nombreux observateurs de différentes sensibilités et attestée par de nombreux historiens. Un bilan contrasté, un règne personnel qui laisse encore le souvenir de décennies difficiles, parsemées de tentatives régulières de pronunciamientos – des coups d’État militaires – et d’une impopularité grandissante à mesure que progressait l’autoritarisme de la classe politique au pouvoir, d'une tentative d'assassinat contre sa personne (1852) par un moine franciscain. Privés de ses soutiens (O’Donnell et de Narváez décèdent à un an d'intervalle chacun, entre 1867 et 1868), Isabelle II se retrouve seule, face aux Libéraux qui se soulèvent. Les troupes royales battues au pont d’Alcolea en 1868, détrônée, elle abdique avant de s'exiler en France. Le 25 juin 1870, elle renonce définitivement à sa couronne au profit de son fils Alphonse XII (qui reprend le pouvoir en 1874), et décède en 1904.
Léonor face aux défis de l’Espagne du XXIème siècle
Le contexte actuel et la situation dans laquelle se trouve l’Espagne actuellement laissent présager que l’Infante Léonor aura, elle aussi, son lot de défis à relever comme Isabelle II à son époque. Il est certain que la princesse en a pleinement conscience. Future Chef d’État et des Armées, elle a débuté sa formation militaire pour trois ans à l’Académie Militaire de Saragosse. Malgré son implication, trois ministres de gauche radicale du gouvernement de Pedro Sanchez n’ont pas fait le déplacement pour sa prestation de serment du 31 octobre dernier, tout comme les responsables indépendantistes des communautés autonomes Basque, Catalane et Galicienne. L’extrême-gauche espagnole, beaucoup plus favorable à un modèle républicain, constituera, à n’en pas douter, un challenge certain pour les années à venir et la future Monarque. Polyglotte, le Catalan, le Basque ainsi que le Galicien lui sont familiers et démontrent tout l’intérêt que la princesse des Asturies porte aux spécificités locales de son pays.
Léonor semble armée pour faire face aux challenges qu’ouvre le XXIème siècle. Selon un récent sondage du magazine Vanitatis, la monarchie espagnole bénéficierait de 48% d’opinions favorables, bien en-deçà de la Princesse Léonor qui recueille à elle seule la faveur des Espagnols à près de 80%. Souhaitons en tout cas à la future Léonor Ière un règne moins agité et plus apaisé que ne l’a été celui de son aïeule Isabelle II.
DR@Lucas Michalon