« Hé tyran, il n'y a pas que pour ton père, que le cri républicain, ton tympan perce. A ce maître opprimé, je déteste ton règne oppressant (…), fils de Franco ». L’affaire est devenue politique et gênante pour la monarchie du roi Felipe VI. Incarcéré pour pour « apologie du terrorisme » et « calomnies contre la monarchie », le rappeur Pablo Hasél est devenu le nouveau symbole anti-monarchique d'une jeunesse indépendantiste de Catalogne qui vient de renvoyer sur les bancs de son parlement une confortable majorité de partis en faveur de la sécession. Depuis six jours, Barcelone est le théâtre de manifestations et d’affrontements avec la police. Dans un pays où le crime de lèse-majesté est punissable d’une simple amende et les embastillements plutôt rares, la décision du tribunal Lérida a surpris plus d’un espagnol et mis dans l’embarras la coalition de gauche au pouvoir qui se déchire sur le cas de l'artiste.
Pablo Rivadulla i Duró, plus connu par son nom d'artiste Pablo Hasél, est un rappeur qui affiche publiquement ses opinions politiques. A 32 ans, ce communiste anti-monarchiste notoire a déjà eu affaire avec les autorités de l’état. Ses nombreuses chansons, faisant l’apologie de groupes terroristes d’extrême-gauche, ont attiré l’attention de la justice du roi qui lui a fait faire un séjour en prison (mars 2014). Rien qui n’a su calmer cet artiste au tempérament de feu qui a rapidement renouvelé ses attaques contre la monarchie. Qualifiant sur les réseaux sociaux le roi Juan Carlos de « poubelle mafieuse », Felipe VI de « tyran oppresseur et fasciste , fils de Franco », les membres de la police « Nazi-onale » (Mossos) d’être des « mercenaires de merde qui torturent et assassinent » et prophétisant à l’infante Léonor « qu’elle va bientôt connaître cette sueur au front lorsqu’elle travaillera pour de vrai » , Pablo Hasél, est devenu en peu de temps, le symbole d’une « liberté d’expression bafouée » selon ses partisans. « Ils devront venir m'enlever et cela servira aussi à dépeindre l'État sous son vrai visage, celui d'une fausse démocratie » affirmait encore, il y a peu, le rappeur de nouveau incarcéré suite à une décision du tribunal de Lérida, sa ville de naissance, pour « apologie du terrorisme » et « injures à la Couronne et aux institutions de l’Etat ». Une condamnation à neuf mois de prison qui met dans l’embarras la coalition de gauche au pouvoir et provoque une crise politique inattendue.
Peu de temps après l’arrestation de Pablo Hasél dans l’université où il s’était retranché, des manifestations ont éclaté à Barcelone et des affrontements ont eu lieu entre extrémistes de gauche et les forces de l’ordre. Une semaine qui a embrasé la capitale catalane. Plus de 200 personnalités dont le producteur Pedro Almodovar ont apporté leur soutien au rappeur, rejoint par Pablo Iglesias, leader de Podemos qui a affirmé « qu’il n’existait pas en Espagne, une situation de normalité politique et démocratique pleine ». Sur Tweeter, les monarchistes ont réagi aux déclarations du leader populiste qui n’a de cesse de dire qu’il va abroger cette loi de crime de lèse-majesté, ironisant sur le fait que « ce genre d’événement n’arriverait jamais certainement avec lui » s'il dirigeait le royaume. Jusqu’au parti Ciudadanos, qui a rappelé à Podemos que « l'anomalie démocratique est (plutôt) qu'un parti au sein du gouvernement espagnol passe son temps à lancer systématiquement des attaques comme celle-ci contre l'État de droit. Ni Pablo Hásel ni aucun autre citoyen n'est au-dessus de la loi. Quiconque commet un crime doit se conformer à la justice » peut-on lire sur le compte officiel de ce parti de centre-droit.
Jusqu’ici silencieux, le Premier ministre Pedro Sanchez a dû sortir de sa réserve afin de faire aux critiques de la droite populaire et conservatrice qui lui reprochait son manque de maintien de l’ordre. « La démocratie ne justifie jamais, au grand jamais, la violence » a déclaré le leader du parti socialiste (PSOE) alors que l’on dénombre plus d’une centaine d’arrestations après une semaine d’émeutes et une jeune fille, gravement blessée par un tir de « flashball ». Dans une démocratie pleine, et l'Espagne est une démocratie pleine et entière, le recours à une forme quelconque de violence est inadmissible » a de nouveau martelé Pedro Sanchez qui s’est agacé de l’ingérence d'Amnesty International dans cette affaire. L'organisation a jugé la « peine injuste et disproportionnée » contre le rappeur militant qui s’est posé en « victime innocente de l’état royal » sur sa page officielle.
Selon la « Izquierda Diaro », l’arrestation et les manifestations de l’artiste, quasi inconnu du grand public français, traduit un désamour de la jeunesse avec la monarchie malmenée par divers scandales touchant des membres de la famille royale Bourbon (en Catalogne seuls 3 catalans sur 10 soutiennent la monarchie selon un sondage « Plataforma de Medios Independientes » daté d’octobre 2020) et « une génération frustrée qui subit de plein fouet la crise liée à la pandémie de coronavirus », reprochant à l’état « sa mauvaise gestion et son incapacité à trouver des solutions aux jeunes étudiants qui sont dans la détresse et la dépression ». Le journal pointe d’ailleurs du doigt les promesses de ce « gouvernement soi-disant progressiste » renvoyant Podemos à ses récentes déclarations sur le sujet. Fin janvier, Pablo Iglesias avait dû se justifier sur sa « subordination au régime monarchique » et le renforcement des lois pénales qu’il a voté. Lors d’une interview télévisée, il avait du reconnâitre qu’il « s’était rendu compte qu'être au gouvernement, ce n'est pas être au pouvoir ». Affirmant en parallèle qu’il allait bientôt entamer de nouvelles négociations avec le PSOE : le « gouvernement ne tombera pas pour autant en dépit des manoeuvres de la droite » assure t-il. Si le palais de la Zarzuela n’a fait aucun commentaire, c’est le député ultra-monarchiste Santiago Abascal, également visé par les diatribes du rappeur, qui s’est chargé de répondre sur cette arrestation « anecdotique » et les manifestations : « il est clair qu’elles dépassent la loi et je pense que le parquet doit agir, au moins individuellement, contre ceux qui ont incité à la violence » a affirmé le leader de Vox à la presse.
Le cas de Pablo Hasél n’est pas unique en Espagne. En 2017, le rappeur Valtònyc avait été également condamné à 3 ans et demi de prison pour les mêmes raisons. Réfugié actuellement en Belgique qui refuse de l’extrader, il avait bénéficié du soutien d’un comité d’artistes qui avait mis en ligne ce titre intitulé « Los Borbones son unos ladrones » (Les Bourbons sont des voleurs) appuyé par Podemos. En Espagne, les emprisonnements pour crime de lèse-majesté (articles 490 et 491 de la constitution de 1978) restent assez rares et la monarchie se contente généralement de fixer de simples amendes aux personnes concernées. Ainsi en 2007, le journal « El Jueves » avait dû s’acquitter d’un montant de 3600 euros pour avoir caricaturé le monarque copulant en levrette avec son épouse ou plus récemment, 12 personnes condamnées en décembre dernier avec sursis pour avoir brulé des effigies du roi Felipe VI lors du jour de l’Hispanité. Actuellement, seules 12 monarchies dans le monde ont un code pénal relatif aux crimes de Lèse–majesté, aboli en Norvège et au Royaume-Uni.
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