«Une décision que je prends avec un sentiment profond, mais avec une grande sérénité». La nouvelle est tombée aussi tranchante que le couperet de la guillotine et a fait immédiatement tous les titres de toute la presse locale et internationale. La maison royale d’Espagne a annoncé, hier en fin d’après-midi, que le roi émérite Juan Carlos Ier avait pris la décision de quitter le royaume. Monté sur le trône en 1975 avant de renoncer à la couronne quatre décennies plus tard, son fils et successeur, Felipe VI, a souligné dans un communiqué «l'importance historique de son règne». Le parti Podemos a dénoncé « la fuite du roi qui tente d’échapper à la justice ». Un souverain qui aurait déjà quitté l’Espagne et sans épouse. La reine Sofia de Grèce devrait rester aux côtés de son fils .
«Votre Majesté, Cher Felipe. Guidé à présent par la conviction de rendre le meilleur service aux Espagnols, à leurs institutions, et à toi en tant que Roi, je t'informe de ma décision réfléchie de m'exiler, en cette période, en dehors de l'Espagne». C’est en fin d’après-midi, hier, que la « Casa Real » a publié sur son site officiel, la copie de la lettre que Juan Carlos a adressé à son fils et successeur, le roi Felipe VI. Roi émérite depuis son abdication en 2014, celui qui a restauré la démocratie est au cœur d’une vaste affaire de corruption, quelques années après avoir fait les titres pour une chasse à l’éléphant controversée. Accusé d’avoir touché des millions d’euros de la part de l’Arabie Saoudite en échange de son appui dans de juteux contrats et de blanchiment d’argent, Juan-Carlos a été dénoncé par son ancienne maîtresse l'ex-princesse Corinna zu Sayn-Wittgenstein. Un scandale qui a écorné sérieusement l’image d’un souverain pourtant révéré jusqu’ici par ses compatriotes, lesquels qui ne voyaient en lui que le sauveur et le restaurateur de la démocratie après des décennies de régime franquiste (1936-1975). Face aux menaces de la Cour suprême qui avait même annoncé son intention d’ouvrir une enquête contre l’ancien monarque et la multiplication des détails de l’affaire, l'actuel roi Felipe VI avait annoncé qu’il renonçait à l’héritage issu de cette fortune cachée «afin de préserver l'exemplarité de la Couronne» et que son père ne recevrait plus sa liste annuelle. Pas assez suffisant pour les anti-monarchistes. Juan-Carlos attaqué par les indépendantistes catalans et le parti d’extrême-gauche Podemos, l’affaire a fini par menacer les fondations mêmes de la royauté et réveiller un esprit républicain encore perceptible dans la population espagnole qui n’en finit pas de panser les plaies de sa guerre civile.
«J’ai toujours voulu le meilleur pour l'Espagne et la couronne. Il y a un an, je t'avais exprimé ma volonté et mon désir d'abandonner les activités institutionnelles» écrit le roi Juan-Carlos à son fils. «Avec la même ardeur que pour servir l'Espagne lors de mon règne, et devant les conséquences publiques de certains évènements passés de ma vie privée, je souhaite t'exprimer ma disponibilité la plus absolue afin de contribuer à faciliter l'exercice de tes fonctions, avec la tranquillité et la sérénité que requièrent ta haute responsabilité. Mon héritage, et ma dignité en tant que personne, me le commandent» poursuit le roi émérite.
«Nous respectons la décision prise par le roi Juan Carlos I et réaffirmons la reconnaissance de son travail comme chef de l’État et sa contribution à la transition, à la promulgation de la Constitution et à la construction d’un État social, démocratique et juridique en Espagne ». A l’annonce de son exil, le Parti Populaire (PP), soutien indéfectible à la monarchie, a salué le geste d’apaisement décidé du souverain émérite. « De même, nous exprimons notre soutien au travail exemplaire de SM le Roi Felipe VI qui est au service de tous les Espagnols, et au rôle essentiel de la Couronne en tant que symbole de l'unité et de la continuité historique de la Nation espagnole. [Un système qui] continue d'être le pilier essentiel de notre pays et synonyme de progrès économique, social et culturel pour l'Espagne » a conclu Pablo Casado Blanco, leader du PP. Un avis pourtant loin d’être partagé par le député Pablo Iglesias qui fulmine publiquement. Le second vice-président de coalition de Gauche a fustigé sur twitter cette décision. « La fuite à l'étranger de Juan Carlos de Bourbon est une attitude indigne d'un ancien chef de l'Etat et laisse la monarchie dans une position très compromise. Par respect pour la citoyenneté et la démocratie espagnole, Juan Carlos I devrait répondre de ses actions en Espagne et devant son peuple» s’est plaint le leader du parti populiste Podemos. «Un gouvernement démocratique ne peut pas détourner le regard, encore moins justifier ou saluer les comportements qui portent atteinte à la dignité de notre institution» a t-il ajouté dans son tweet. «Des propos irrresponables de la part d'un gouvernement illégitime» a rétorqué le parti conservateur Vox qui a accusé Podemos et le Parti socialistes de continuer à attiser les braises de la division. «Ce gouvernement, à l'heure actuelle, constitue une menace sérieuse pour l'avenir de l'Espagne» affirme le parti du député Santiago Abascal.
Auteur de «Rupture de ban - L'Espagne face à la crise » (Perspectives libres, 2017) et de la traduction d' «Al-Andalus: l'invention d'un mythe - La réalité historique de l'Espagne des trois cultures» de Serafín Fanjul (L'Artilleur, 2017), Nicolas Klein estime « que son départ d’Espagne, qui ne signifie en rien qu’il se soustrait à la justice de son pays est une mesure à la fois radicale, nécessaire et difficile ». C’est à la fois pour le pays et pour Philippe VI qu’il a agi de la sorte. Cela ne suffira probablement pas à éteindre l’incendie. Il s’agit cependant d’une décision probablement inévitable et que je crois « positive » à moyen et long terme pour l’actuel monarque» explique Nicolas Klein qui collabore à la Revue « Conflit »
Le fils de Don Juan de Bourbon aurait déjà quitté les dépendances du Palais de la Zarzuela qu’il occupait depuis son abdication, selon le journal « El Pais ». Couple uni depuis leur mariage en 1962, la presse croit savoir que le roi Juan Carlos, 82 ans, vivrait séparément de son épouse la reine Sofia de Grèce, 81 ans, depuis les révélations de sa relation avec son ancienne maîtresse. Il n’est pas certain encore que la souveraine, actuellement à Majorque, accompagne son époux en exil. Le lieu restant à fixer bien que les médias affirment depuis plusieurs jours que le couple royal a acquis une somptueuse villa en République dominicaine ou encore à Cascais, au Portugal. Toutefois, la presse confirme que, bien qu’elle entretient des relations exécrables avec sa bru, n’étant pas « touchée par le scandale, la reine Sofia devrait continuer à assurer ses fonctions officielles aux côtés de son fils ». Un roi qui a appris son métier de souverain, lors de la tentative de coup d’état du 13 février 1981 et qui avait consacré Juan Carlos dans sa stature de chef d’état.
Afin de faire taire les rumeurs en cours, l’avocat de Juan Carlos, Javier Sánchez-Junco, a publié une note à l’attention de la presse, précisant « que son client se tenait à la disposition de la du parquet pour toute procédure ou action jugée appropriée ». Le palais royal a également annoncé que le roi ne perdrait pas les titres qu’il possède et qu’au crépuscule de sa vie, Felipe VI « maintenait le titre honorifique de roi émérite acquis par décret royal, il y a 6 ans ». En guise de réponse au départ de son père, le roi a tenu «à souligner l'importance historique du règne de son père, en tant qu'héritage et œuvre politique et institutionnelle au service de l'Espagne et de la démocratie» a conclu le communiqué royal. La «Marcha Real» a définitivement cessé de jouer ses notes pour « le roi de la Transition ».
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