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Le discours d'un roi

Le traditionnel discours de Noël du roi Felipe (Philippe) VI était attendu par les espagnols.  Crise séparatiste en Catalogne,  affaire Franco, montée du républicanisme et des mouvements d’extrême-droite, les sujets du souverain, 8 millions d’après La Vanguardia,  se sont rués vers leurs petits écrans afin d’écouter, plus qu’à leur habitude, le fils de Juan-Carlos Ier, monté sur le trône en 2014.  Accusé d’être le « monarque de l’article 155 » par l’éphémère président de la république de Catalogne exilé en Belgique, Carles Puigdemont, c’est sous une atmosphère de guerre civile que  Santiago Abascal a levé haut le drapeau de la « Reconquista » contre la coalition de gauche accusée de déstabiliser la monarchie.Le roi d espagne

Assis, regard dur, drapeau sang et or du royaume d’Espagne cohabitant avec l’étoilé de l’Europe, le descendant de Louis XIV aux yeux bleus azurs  a dénoncé la « loyauté inadmissible » des élus catalans qui ne cessent de menacer l’intégrité du royaume dont il est le garant, « cette clef de voûte » comme l’a reconnu le premier ministre Pedro Sanchez. A l’heure où le royaume fête le 40ème anniversaire de la promulgation de la constitution qui a enterré le franquisme, la position du souverain paraît pourtant très fragile. Attaqué par son extrême-gauche, ¨Podemos (« Nous pouvons ») ne cachant plus sa volonté de provoquer un débat institutionnel et  espérant ainsi favoriser l’établissement d’une nouvelle république par voie référendaire,  menacé par la coalition de  gauche au pouvoir menée par le socialiste Pedro Sanchez qui entend réduire considérablement le peu de pouvoir qu’il lui reste (remise en cause du crime de lèse-majesté ou abrogation de l’inviolabilité de sa personne royale) , c’est à son extrême-droite  et à sa droite que le roi Felipe VI trouve aujourd’hui le plus de soutiens à sa couronne.

Très critiqué en Catalogne depuis son discours de fermeté prononcé il y a un an, chez les partisans de la république, on arbore désormais ouvertement ses idées en portant un « pin’s violet en forme de visage de femme ». Dans les principales mairies contrôlées par les partis nationalistes et indépendantistes, ce sont les portraits ou les statues du roi qui ont été remplacés. Ainsi en 2015, l’alcade (maire)  de Barcelone, Ada Colau, n’avait pas hésité à faire retirer le buste représentant Juan-Carlos.  L’opposition de droite s’était alors précipitée pour le remplacer par le cadre d’une photo du Rey Felipe VI. Situation symbolique d’un combat que se livrent monarchistes et républicains encore actuellement. Afin de descristalliser les passions en cours et réduire les divisions, le roi a tenté d’apaiser les différents protagonistes de la scène politique espagnole lors de son discours en se plaçant au-dessus des querelles. « Le chemin ne peut pas mener à nouveau à l’affrontement et à l’exclusion, qui, comme nous le savons déjà, ne génèrent que discorde, incertitude et découragement et ne conduisent qu’à un appauvrissement moral, civique, et, bien sûr, économique, de toute une société. A l’inverse, le chemin doit conduire à la coexistence au cœur de la société catalane, si diverse et plurielle, afin qu’elle retrouve la sérénité, la stabilité et le respect mutuel, de manière à ce que les idées n'éloignent ni ne séparent plus les familles et les amis » a déclaré le roi d’Espagne.

Une volonté de compromis et d’unité prônée par le souverain qui a appelé chacun à construire une « démocratie mature », vague allusion à la montée des partis d’extrême-droite qui agitent le chiffon rouge devant le taureau républicain.

Congres de voxL’entrée du parti Vox au sein du parlement andalou lors des élections régionales du 2 décembre (avec pas moins de 12 députés), dirigé par Santiago Abascal, a bouleversé le paysage politique du royaume. C’est en effet la première fois que les « ultraderechas », depuis la mort du général Francisco Franco en 1975, font leur retour par la grande porte. Jusqu’ici cantonnés dans un rôle d’opposant mineur versant dans le commémoratif à la Vallée de Los Caïdos, l’affaire Franco semble avoir déverrouillé leur parole. Depuis que le gouvernement espagnol a décidé en août dernier d’exhumer la dépouille du Caudillo, le royaume vit d’ailleurs à l’heure des multiples rebondissements juridiques qui opposent les héritiers du généralissime, le prince Louis (-Alphonse) de Bourbon en tête (soutenu par quelques membres de la famille royale dans sa démarche) et le parti socialiste bien décidé à se débarrasser le royaume des derniers oripeaux du franquisme (la Cour suprême espagnole a rejeté, ce lundi, la demande de la famille du prince de suspendre provisoirement l'exhumation du dictateur, rendant sa venue très aléatoire pour les commémorations du 21 janvier, en France). 

Quitte à réveiller les démons enfouis au plus profond des espagnols qui n’ont toujours pas fait le deuil d’une guerre civile (1936-1939) qui aura coûté la vie à des centaines de milliers d’Espagnols. A la veille des élections européennes et générales (qui devraient voir un retour de la droite au pouvoir), « le Parti Populaire (droite franquiste) et Ciudadanos (centre droit) n’excluent plus une alliance avec Vox » qui incarne désormais une idée très traditionaliste de ce qu’est le conservatisme hispanique comme nous le rappelait récemment le journal « Le Parisien ».  « En Espagne, l’adversaire est celui qui ne partage pas une idée particulière de l’Espagne, une idée assez franquiste d’une Espagne unitaire » comme l’explique, Fernando Vallespin, professeur de sciences politiques à l’Université autonome de Madrid. Aussi simple que cela !

Dans son discours, le roi a reconnu une « année difficile pour le bien vivre en commun » au sein de la monarchie, cette «institution d’une autre époque qui peut difficilement répondre aux désirs démocratiques et égalitaires » des espagnols selon le leader de Podemos, Pablo Iglesias. Mais qui toutefois a mis de l’eau dans son rioja. En félicitant le souverain pour son « changement de ton » en ce qui concerne la « question territoriale », Podemos a cru y déceler des excuses en demi-teinte de l’arrière-petit-fils d’Alphonse XIII, le roi forcé au départ en 1931, comme l’écrit El Diaro. « Un patriotisme vide de sens » selon Ernest Maragall, le leader de la Gauche républicaine de Catalogne (ERC) tandis que Aitor Esteban, porte-parole du Parti nationaliste basque (PNV) a appelé le souverain à reconnaître l’existence d’une nation basque. Baroud d’honneur d’une coalition qui perd du terrain électoralement ?

Santiago abascal et le prince louis de bourbon«Parti d’extrême-nécessité », Santiago Abascal, fringant quadragénaire et petit-fils d’un maire franquiste , assure « qu’il est sur le point de faire l’histoire » . Il peut compter sur le soutien indéfectible du prince Louis-(Alphonse) de Bourbon, le Louis XX de la Légitimité française, un ami de toujours, que certains verraient bien sur un trône d’Espagne. Car pour une partie de son électorat, le roi Felipe VI fait preuve d’une certaine faiblesse qui ne sied pas à un souverain qui ne semble plus avoir quelque chose de de catholique et le prince Louis-(Alphonse) de Bourbon reste encore l’image vivante d’un héritage traditionnaliste défunt. A Vox, qui se défend d’être un parti monarchique,  soutenu en France par le Rassemblement national ou les milieux d’extrême-droite en tout genre (y compris avec l’Alt Right de Steve Bannon, un admirateur assumé de Charles Maurras),  on a le « sens de la patrie », on entend fermement combattre l’immigration ou les théories du genre en vigueur, la fin des autonomies régionales comme on souhaite vigoureusement abroger la « Loi de Mémoire historique [loi qui reconnaître le statut des victimes de la guerre civile et de la dictature franquiste, 1936-1975, ndlr] » comme l’indiquait dans un de ses articles, le journal Libération. Entre Paris et Madrid, le cœur du futur duc de Franco balance vraisemblablement du côté de Sotogrande, s’affichant ouvertement au côté d’Abascal. Un remue-ménage qui aurait agacé son royal cousin  et qui a convoqué l’aîné des Bourbons au palais royal afin que celui-ci s’explique sur les  nombreuses déclarations en filigrane qu’il publie, que l’on peut lire sur les nombreux réseaux sociaux et dont le fils du duc de Cadix est très friand. Assez aussi pour inquiéter ses partisans en France qui ont craint de perdre leur poulain un peu trop investi en Espagne (un de ses conseillers à simplement évoqué « une visite » au palais royal, rappelant que le prince-président de la Fondation Franco « ne faisait pas de politique » que ce soit ici ou ailleurs-un crédo qu’il a lui-même rappelé lors d’une récente interview au magazine Vanitatis-ndlr) et qui ont lancé une vaste offensive de communication afin de maintenir les prétentions du duc d’Anjou sur le trône capétien. Résultats en demi-teinte, puisque le très probable prochain « Grand » est resté en Espagne, n’a pas pris la tête de la « révolution jaune » au pied de l’Arc de triomphe et a du faire amende honorable auprès du roi Felipe VI en proclamant à de nombreuses reprises sa loyauté à la couronne madrilène. Des turpitudes dynastiques sur fond de rancunes familiales, qui ont certes ajouté involontairement un peu plus de sable dans la machine complexe politique du pays mais qui sont cependant restées limitées et qui n’ont menacé en rien la couronne de Felipe VI, pourtant remise en cause et annonçant déjà une prochaine succession difficile. En effet, le roi n‘ayant que deux filles, le souvenir du règne d’Isabelle II (1830-1868) reste encore très marquant en Espagne et certains monarchistes craignent que la monarchie ne survive pas à la montée sur le trône d’une femme.

Assez pour que le roi en prenne conscience et commence à mettre en avant la princesse des Asturies, Léonor, 13 ans, un récent sondage début décembre affirmant que 45% des espagnols seraient favorables à la proclamation de la république contre 33% en faveur du maintien monarchie. Des pourcentages à prendre avec précaution car en Espagne, les sondages sur cette question se sont récemment multipliés sans toutefois véritablement trancher sur la réponse. En juillet dernier, un sondage identique donnait la monarchie gagnante avec plus de 50%, le roi flirtant même avec le 70% d’opinion favorables selon le journal ABC.

S’appuyant sur le texte fondateur de la démocratie espagnole (et dont le prince Jean d’Orléans, son cousin, s’est dit à diverses reprises très sensible, citant la monarchie espagnole en exemple cet été sur les ondes d’Europe 1), le roi a rappelé que la constitution, cet «esprit d’intégration»  qui garantit «l’unité de l’Espagne » et « qui reconnaît l’autonomie de ses nationalités et de ses régions » était assurément le tremplin pour «une Espagne d’avant-garde moderne et renouvelée, une Espagne ouverte aux changements que notre société mérite» peut-on lire dans une dépêche de l’AFP, message à peine caché à l’attention des partis populistes qui seraient tentés de vouloir diviser le pays au nom de leurs intérêts personnels.

Copyright@Frederic de Natal

Publié le 27/12/2018

 

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