Rassemblés à l’appel du Parti Populaire, Ciudadanos et du mouvement d’extrême-droite VOX sur la place Colon, située dans le centre de Madrid, des dizaines de milliers d’espagnols ont conspué le premier ministre socialiste Pedro Sanchez, le 10 février dernier. Drapeaux sang et or de la monarchie d’Espagne au vent, d’autres arborant le sacré cœur ou la croix de Bourgogne, parmi les manifestants, les partisans d’un carlisme traditionaliste devenu le nouveau vivier de voix et l’arrière-garde de Santiago Abascal Conde. Défense de l’unité du royaume oblige !
« Dios, Patria y… Sixto ? ». Ici on affiche les couleurs. Depuis 1977, le carlisme est divisé en 3 branches, chacune avançant son « prétendant » au trône d’Espagne pourtant occupé par un autre Bourbon, Felipe VI. Et parmi les membres de la Communauté traditionnaliste carliste (CTC) certains reconnaissent le duc d’Aranjuez, le prince Sixte-Henri de Bourbon-Parme comme « Rey », d’autres sont plus critiques à son égard ou les plus modérés (socialistes autogestionnaires) se tournant vers le prince Charles Xavier II de Bourbon-Parme, son neveu. « La patrie est en danger » et depuis que l’affaire Franco a éclaté en juillet 2018, ces carlistes classés à l’extrême-droite de l’échiquier politique espagnol, crient haro sur le gouvernement de la coalition de gauche. Une étrangère atmosphère de guerre civile règne dans les différentes sections de ce mouvement royaliste qui reste pourtant très minoritaire dans le royaume d’Isabelle la Catholique et de Ferdinand d’Aragon. On évoque la Reconquista et on rabâche les hauts faits d’armes des Requetés entre 1936 et 1939, ces combattants reconnaissables à leurs bérets rouges qui furent une force supplétive non négligeable pour le futur Caudillo Francisco Franco.
Depuis la crise des migrants et la tentative de sécession de la Catalogne, le carlisme traditionnaliste a retrouvé de la vigueur. Oublié ses rancœurs dynastiques, c’est l’Espagne qu’il faut préserver des séides de Podemos, de Carlos Puigdemont et des socialistes. « Sauver le pays des hordes révolutionnaires, maçonniques et antichrétiennes » explique à El Publico, le président de la CTC, Javier Garisoain.
Après avoir occupé 8 ans le poste de secrétaire –général du mouvement, ce quinquagénaire, ancien candidat sur une liste d’Alternativa Española, un mouvement eurosceptique, composé d’anciens phalangistes, qui prône l’abolition du mariage pour tous, l’interdiction de l’avortement ou de l’adoption d’enfants par les couples homosexuels, qui réclame le retour aux fondamentaux catholiques , a été nommé président de cette mouvance carliste en 2018. Ultra-catholique, il s’en défend pourtant mais ne cache pas qu’il voit dans ce combat contre le gouvernement, une nouvelle croisade légitime. Car ici, c’est aussi cela que l’on défend, l’unité du pays à travers une légitimité dynastique qui puise ses origines dans la modification de la pragmatique sanction en mars 1830 par le roi Ferdinand VII, afin de permettre à sa fille Isabelle II de lui succéder. De fait, la branche héritière incarnée alors par l’infant Carlos avait été exclue du trône, plongeant l’Espagne du XIXème siècle dans une violente guerre carliste.
En octobre 2018, leur congrès a réuni des centaines de participants. Javier Garisoain a reconnu, au journaliste qui l’interviewait, qu’il avait noué des contacts avec la Fondation pour la défense de la nation espagnole (Fundación para la Defensa de la Nación Española ou DENAES) et le mouvement VOX. « Il y a des points sur lesquels nous sommes d’accord.
Nous ne donnerons pas de soutien officiel mais nous ne pouvons ignorer que certains de nos membres votent pour ce mouvement ». Une nuance qui en dit long sur la proximité de ces carlistes avec le mouvement d’extrême droite actuellement crédité de 10% des voix dans les sondages alors que se profilent des élections législatives anticipées. Les carlistes songent-ils à se présenter ? Non car si ils restent encore cette image romantique du monarchisme espagnol qui a fait des émules chez leurs voisins français, notamment durant la guerre civile avec la Bandera Jeanne d’Arc, leur puissance politique s’est réduite à une peau de chagrin depuis que Franco les a sévèrement muselés. « Nous sommes très critiques vis-à-vis du système des partis, nous devons le casser et apprendre à fonctionner d’une autre manière » affirme-t-il.
C’est une véritable « stratégie de guérilla » que les carlistes traditionalistes proposent, assurant incarner cette« nouvelle petite forteresse de résistance » qui les pousse naturellement vers le bouclier naturel de VOX. « Un moindre mal » selon Javier Garisoain qui, malgré le peu d’affinité qu’il avec ce prince français, suit les pas du prince Sixte-Henri de Bourbon –Parme, proche du Front national de Jean-Marie Le Pen et de Civitas en France.
D’ailleurs dans l’Hexagone, les carlistes ont leurs partisans que l’on voit de temps en temps le 21 janvier. Cette année, ils étaient réunis à l’église Saint Symphorien à Caumont sur Durance. « Il est temps d’encourager la création de réseaux sociaux, des noyaux de résistance, d’authentiques cellules militantes sociales » dans toutes les villes du royaume « afin d’obtenir la victoire face au «goliath du libéralisme » qui permettra « d’immuniser les nouvelles générations contre les manipulations des idéologies » s’emporte dans la passion Javier Garisoain. Il est « logique de se préparer aujourd’hui à une légitime défense face aux abus de pouvoir » renchérit le leader carliste qui craint que le gouvernement ne « tente d’étendre sa domination et écraser toute dissidence ».
Théorie du genre, famille monoparentale, divorce, libéralisation de la sexualité, féminisme, avortement…, Javier Garisoain égrène un à un ce qui sont pour lui les maux de la société espagnole et qui se sont imposés contre le sacro-saint « corpus christi », base de l’unité du royaume. Drapeaux carlistes et ceux de la Falange Española y de las JONs réunis au milieu des autres plus monarchiques ou européens début février, étrange mélange de deux mondes (les carlistes ne reconnaissent pas la constitution actuelle de l’Espagne) que tout oppose mais rassemblés derrière une seule idée, celle de sauvegarder l’unité de l’Espagne séculaire. Le prix du ralliement de la CTC à VOX admettent, en filigrane, ces carlistes qui espèrent voir le triomphe de leurs idées.
Le 9 mars prochain, le prince Sixte-Henri de Bourbon-Parme sera parmi ses partisans de la Communauté traditionaliste (CT) afin de célébrer les martyrs de la tradition. A 78 ans, affaiblis par la maladie, la succession de cet infant d’Espagne est sur toutes les lèvres. Sans enfants, qui pour prendre les rênes du carlisme traditionaliste ? Si certains souhaiteraient proposer la régence au prince Louis-Alphonse de Bourbon (Luis II) qui porte souvent la croix de Bourgogne lors de campagnes sportives aux côtés de Santiago Abascal (et qui n’a jamais manifesté le moindre intérêt pour ce mouvement), d’autres avancent un autre nom des plus étonnants afin de parachever l’unité du mouvement. Celui de Dominique de Habsbourg-Toscane, prétendant désigné par la (petite) communion catholique monarchique et dont le père, l’archiduc Charles IX, lui-même petit-fils du Charles VII d’Espagne (ou IX pour la Légitimité française) fut un temps un possible favori à la course au trône d’Espagne. De quoi y perdre son espagnol pour les carliste. Bien malgré eux. !
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Publié le 25/02/2019