En annonçant sur son compte Twitter qu’il allait participer à la manifestation de ce dimanche, organisée par la droite et l’extrême-droite en faveur de l’unité du royaume d’Espagne et contre le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez, l’ancien premier ministre Manuel Valls a de nouveau fait grincer les dents de l’opposition. Et encore plus les canines des indépendantistes qui accusent ce républicain français, récemment converti au monarchisme, de faire le jeu de l’extrême-droite. Démentant toute alliance avec celle-ci, Manuel Valls s’est pourtant entouré de personnes venues de l’ultra-conservatisme royaliste, nostalgiques du carlisme et du franquisme.
Naturalisé français à l’âge de 20 ans, l’ancien député de l’Essonne est né à Barcelone en 1962. Il n’y a jamais véritablement vécu mais depuis l’automne dernier, il entend devenir le maire d’une ville où bat le cœur de l’irrédentisme catalan et sous les couleurs d’un parti de centre-droit, Ciudadanos, qui ne cache pas son unionisme monarchique (en dépit d’un leader, Alberto Rivera divisé sur la question). A 5 mois de l’élection municipale, les escarmouches se multiplient entre Manuel Valls et la maire de la ville, Ada Colau qui a soutenu une tentative d’abolition de la monarchie en octobre 2018. La violente passe d’armes entre l’ex-maire d’Evry et la candidate de « Barcelone en commun », une plateforme politique regroupant divers partis de la gauche espagnole comme Podemos ou les Verts, a fait les titres de la presse nationale. « Tourner le dos à Felipe VI et demander l’abolition de la monarchie montre qu’Ada Colau n’est pas une personne de confiance, c’est la démonstration de la connivence entre la maire actuelle et les groupes radicaux et indépendants» avait écrit alors sur les réseaux sociaux un Manuel Valls irrité par la tentative de son adversaire de remettre en cause la monarchie. » Qu’une républicaine défende la République est assez prévisible, mais on a plus de mal à faire confiance à un républicain français qui soudain devient monarchiste » avait rapidement rétorqué sèchement l’offensée sur les réseaux sociaux. «Ce n’est pas une question de république ou de monarchie mais de respect pour le chef de l’Etat, de la Constitution votée de tous, de la démocratie et … des citoyens de Barcelone ! ». « C’est comme ça dans n’importe quelle grande ville du monde. Un maire ne doit pas oublier qu’il représente tout le monde et non une idéologie » n’avait pas hésité à surenchérir un amnésique Manuel Valls sur ses propres années de pouvoir en république française.
Un an auparavant, le fils de l’artiste Xavier Valls et de Luisangela Galfetti, petit-fils d’un banquier proche des milieux catholiques et monarchistes durant la seconde république, se déclarait pourtant encore « républicain progressiste et de gauche ». Est-il devenu subitement monarchiste par opportunisme ou par conviction ? En 2015, n’avait-il pas avoué son admiration pour Felipe VI, alors en visite en France, ce souverain incarnant la stabilité des institutions : « quand (un) roi d'Espagne, jeune, populaire et qui incarne l'unité de son pays, vient à l'Assemblée dans le cadre de son voyage d'État, cela représente une émotion particulière, surtout pour ceux qui sont d'origine espagnole comme moi » avait déclaré un Manuel Valls, alors premier ministre.
La question se pose donc mais encore plus celle concernant les membres qui composent son équipe de campagne, teintée d’un bleu azur mélangé au sang et or de la monarchie espagnole. La Catalogne est une terre de contradiction. Longtemps rebelle à l’autorité des Bourbons, elle s’engage au côté de la branche carliste afin que celle-ci retrouve ses pleins droits au trône. Lors de la guerre civile, Barcelone devient le symbole de la résistance au franquisme naissant et l’une des dernières villes à tomber dans l’escarcelle des troupes du général Franco, parmi lesquelles les fameux «tercios de Requetés », ces carlistes défendant « Dieu, la Patrie et le Roi ».
Manuel Valls, l’enfant du pays des droits de l’homme, semble avoir reconstitué autour de lui cette alliance hétéroclite « constitutionaliste » qui le pousse vers la défense de la monarchie espagnole. A commencer par la présence de Josep Ramon Bosch i Codina. Cet ancien membre du Parti espagnol national-socialiste et du Parti Populaire (PP) a fondé en 2013 le mouvement « Somatemps », «jeu de mots entre Som a temps (nous sommes dans le temps pour mettre fin à l’indépendance) et les milices médiévales catalanes Someten » qui entend lever l’oriflamme l’identité hispanique de la Catalogne. Parmi les amis de ce businessman assumé, qui fait célébrer des messes en hommage à Franco et qui a fourni un certain nombre de reportages centré à celui qui n’était pas encore candidat à la mairie de Barcelone, des membres du mouvement néo-nazis espagnols, des nostalgiques du franquisme issu du parti Fuerza Nueva ou encore des militants de la Communauté traditionaliste carliste (CTC) qui reconnaît les droits au trône d’Espagne du prince Sixte-Henri de Bourbon-Parme. Difficile pour Manuel Valls d’ignorer ces faits alors que la presse a fait état de repas entre les deux hommes;
Autre nom qui circule parmi les soutiens incongrus de Valls, loin d’être un inconnu, le professeur Javier Barraycoa. Ancien porte-parole de la CTC en Catalogne, c’est un ultra –catholique qui cite volontiers Charles Maurras sur les réseaux sociaux et qui voyait déjà élu Valls, dans une tribune enflammé en septembre dernier e. Une étrange alliance qui a irrité le professeur Jordi Graupera y Garcia-Milà, qui accuse l’ancien ministre de l’intérieur de n’être désormais plus que l’expression de « la dérive xénophobe d’un jacobinisme français décadent ». Pour Carles Augustí (Parti Démocrate européen Catalan), Manuel Valls, crédité dans les sondages de 11% d’intention de votes, représenterait quant à lui simplement «l'entrée de l'extrême-droite» monarchique au conseil municipal.
Un tissu de notables de la ville, réunis dans le carnet d’adresse de son bailleur principal, qui intéresse plus que jamais Manuel Valls, selon un journaliste de France 5 qui a enquêté sur cet entourage carlisto-franquiste qui flirte avec lui. Un réseau toutefois suspicieux. Parmi l’extrême-droite carliste qui s’en est émue début janvier et qui a défilé à de nombreuses reprises à Barcelone, on se méfie toutefois de l’ancien occupant de Matignon, membre dormant d’une loge maçonnique.
L’équipe de communication du candidat dément ces accointances avec les milieux carlistes et franquistes : «Les indépendantistes essaient par tous les moyens de discréditer ceux et celles qui s’opposent à leur projet séparatiste, accusés alors d’être des 'franquistes » clame-t-elle à la presse. En vain. Ces dernières semaines, une polémique a éclaté avec la mise en ligne d’une vidéo de son clip de campagne et où on voit apparaître quelques secondes une jeune militante d'extrême droite lui marquant ouvertement son soutien. Et qui a été très vite retirée ; Manuel Valls s’empressant de décocher par la suite quelques flèches contre Vox, le parti d’extrême-droite, devenu incontournable pour le PP et Ciudadanos si ceux –ci souhaitent gouverner le royaume aux prochaines élections générales. Ce que ce quadrilingue ne peut feindre de savoir.
« J'irai à Madrid dimanche pour défendre la Constitution et l'unité de l'Espagne » affirme sur Twitter Manuel Valls, qui défilera parmi les partisans de Vox, du PP et de Ciudadanos. « Nous vivons un moment historique » a-t-il ajouté dans son tweet enthousiaste, rejoint (il y a quelques heures sur son compte Twitter) dans son combat contre le « gouvernement socialiste accusé de trahison » par le PP, par le prince Louis-Alphonse de Bourbon, soutien publique de Vox. « C'est une manifestation transversale, dans le même esprit que la manifestation constitutionnaliste du 8 octobre 2017 à Barcelone » s’est défendu Manuel Valls, perçu dans les médias locaux comme étant à droite en Catalogne (de facto un monarchiste pour la gauche-ndlr). Le comble pour ce républicain rocardien qui en 1977, à peine âgé de 15 ans, avait rejoint dans la rue les socialistes espagnols pour célébrer la mort de Franco et la future mise en place de la constitution monarchique qui régit actuellement l’Espagne.
« Depuis mon voyage en plein cœur de l'Espagne, l'ardeur me gagne, mes goûts sont espagnols, toute ma chambre est décorée de couleurs vives et je m'enivre en respirant ces fleurs. Sur des affiches de puissants taureaux sont bravés par les plus beaux hidalgos, j'aime tes danses et ta musique .E viva España. Tes belles histoires romantiques, dur ton rivage sans pareil, donne-moi un coin de soleil …Espana por favor (…) » chantait la regrettée Georgette Plana. Un refrain qui résonne désormais aux oreilles de Manuel Valls, nouveau soutien assumé de la monarchie des Bourbons.
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Publié le 09/02/2019