Santiago Abascal, Vox et les Bourbons

Le royaume d’Espagne est appelé à renouveler son Parlement aujourd'hui. Les derniers sondages prophétisent le retour du Parti Populaire au pouvoir, soutien indéfectible à la monarchie. Mais pour gouverner, il devra s’allier au parti Vox de Santiago Abascal, un ami du prince Louis-Alphonse de Bourbon, prétendant légitimiste au trône de France. Un retour au pouvoir de la droite conservatrice qui pourrait faire les affaires du duc d’Anjou. 

Appelés à voter ce dimanche 23 juillet 2023, les Espagnols pourraient bien mettre fin à la coalition de Gauche du Premier ministre Pedro Sanchez qui gouverne le royaume depuis cinq ans. Donnée gagnante par les différents sondages réalisés sur le sujet, la droite conservatrice du Parti Populaire (PP) du sénateur Alberto Núñez Feijóo est largement favorite. Mais si elle veut gouverner, elle devra passer par une alliance avec Vox. Laquelle a déjà été réalisée sur le plan régional et avec succès. Mené par un très viriliste Santiago Abascal, le parti VOX a connu une ascension fulgurante depuis sa fondation, il y a près de deux décennies. Il a même noué des liens étroits avec des figures de la vie politique française. Auto-proclamé gardien de l’institution royale, ce mouvement d’extrême-droite a su convaincre jusque dans la famille royale qui n’a cessé de voir ses regalia s’éroder sous l’impulsion de Podemos, le parti d’extrême-gauche allié aux socialistes, qui ne cache pas sa volonté de proclamer la République. 

Louis-Alphonse de Bourbon, arrière-petit-fils de roi et de dictateur

D’un Wikipédia à un autre, l’encyclopédie en ligne, le traitement biographique du prince Louis-Alphonse de Bourbon diffère de manière étonnante. Cependant, quelle que soit la page qui lui est consacrée en français ou en espagnol, elles résument à elles seules toute la complexité d’un prince qui a les yeux constamment tournés des deux côtés des Pyrénées sans savoir à quels saints se vouer.  Âgé de 49 ans, le duc d’Anjou est le cousin du roi Felipe VI, l’arrière-petit-fils du roi Alphonse XIII et le descendant direct de Louis XIV. Un arbre généalogique impressionnant qui fait de lui indubitablement l’aîné de la maison de Bourbon, un prétendant au trône de France et un potentiel candidat à la couronne d’Espagne. Mais, c’est aussi l’arrière–petit-fils, le « bisnieto », du général Francisco Franco qui a dirigé le pays de Cervantès d’une main de fer entre 1939 et 1975. En voulant exhumer, avec succès, ses restes de la Vallée de Los Caïdos où il reposait, la coalition de gauche au pouvoir a réveillé tout le ban et l’arrière-ban de ce que l’Espagne compte de mouvances d’extrême-droite. Avec cette affaire qui a profondément divisé l’Espagne, Louis-Alphonse de Bourbon a été soudainement mis sur le devant de la scène politique locale. Son combat, ses nombreuses déclarations publiques en faveur du Caudillo ne sont pas passés inaperçues. Y compris en France comme lors d’une interview à Paris Match où il est apparu posant devant un drapeau franquiste et un portrait de son aïeul . En prenant la tête de la Fondation Francisco Franco qui se bat pour honorer la mémoire du dictateur, Louis-Alphonse de Bourbon a fait preuve d’une suractivité politique qui en a surpris plus d’un, notamment par la virulence de ses attaques contre le gouvernement espagnol sur les réseaux sociaux, quitte à fasciner ses partisans en France (les Légitimistes) ou à les gêner considérablement.

Une amitié indéfctible et dévouée à Santiago Abascal

A regarder de plus près, Louis-Alphonse de Bourbon n’a jamais caché sa proximité avec Santiago Abascal. Entre les deux hommes, une solide amitié qui ne se dément pas depuis des années et qui partagent un même amour de la tradition catholique de l’Espagne. En septembre 2019, des photos d’une longue rencontre entre Louis-Alphonse de Bourbon, dossier à la main, et le leader de Vox ont fait la une des quotidiens espagnols qui se sont interrogés sur ce mystérieux déjeuner, dans un restaurant de Madrid où le prince réside à l’année. Si le prince se défend de toute intervention politique en Espagne, pour la presse hispanophone, il en va autrement comme en témoigne ses nombreuses prises de positions en faveur de Vox sur son compte Twitter espagnol (qu’il a depuis abandonné) au plus fort de l’affaire Franco qui a exacerbé les tensions entre le descendant du dictateur et le gouvernement de coalition soucieux de se débarrasser des restes du général Franco. De jeune homme timide et réservé, dont la plastique affolait toutes les pucelles de France et de Navarre, au fringant hidalgo affirmé qu’il est devenu, Louis-Alphonse de Bourbon a pris du galon et s’est rapidement imposé comme le porte-parole de sa famille, prenant conseil auprès de Santiago Abascal qu’il reçoit régulièrement chez lui. C’est d’ailleurs à l’unisson qu’ils se sont tous deux opposés au transfert du cercueil de celui qui a trucidé la Seconde République en 1939, après trois ans de guerre civile et au prix de centaines de milliers de victimes.  En vain, le généralissime a été exhumé de là où il reposait, le cercueil porté par le duc d'Anjou.

Un bisnieto, très proche des idées de VOX

Une alliance qui passe mal en Espagne d’autant que certains nostalgiques du franquisme ne cachent pas leur volonté de voir ce prince bleu monter sur le trône d’Espagne. C’est El Mundo qui, le premier, a sonné la charge contre le cousin du roi d’Espagne. En octobre 2018, le journal a consacré un article complet sur la nature des liens entre le prince Louis-Alphonse de Bourbon et celui qui est désormais un ministre en devenir. Floqué de la croix de Bourgogne, un emblème carliste, le duc d’Anjou participe à cette célèbre épreuve d’endurance sportive, n’hésite pas à courir aux côtés de Santiago Abascal et prendre la pause. Le quotidien espagnol ne mâche pas ses mots et tire à boulets rouges sur le « bisnieto » invité par trois fois au Congrès des familles (2018, 2019 et 2020) où il a pris la parole. Un rassemblement qui est « sorte d'organisation internationale qui regroupe aussi bien ultra-conservateurs de puissants lobbies évangéliques venus États-Unis, d'associations de droite, de monarchistes ultra-orthodoxes russes, de mouvements et de personnalités politiques néo-fascistes et xénophobes du monde entier (…) » comme le définit le journal. Un quotidien qui reproche à Don Luis Alfonso d’avoir ouvertement condamné l’homosexualité et d’être obsédé par la préservation du modèle familial traditionnel (le prince s’est déclaré contre la PMA-GPA et a participé en France à des « Marches pour la vie »). 

Vox, un lobby actif pour le duc d'Anjou

Dans son livre « La famille Franco SA », Mariano Sánchez Soler évoque ces relations étroites entre le rejeton Bourbon et le parti Vox qui aurait phagocyté la fondation Franco, plaçant ses cadres au sein de l’organisme. L’écrivain confirme « la relation étroite entre Abascal et Luis-Alfonso, à la fois personnelle et politique ».  « Il représente le grand rêve des Franco, celui d’accéder au trône [d’Espagne pour lequel son père Alphonse de Bourbon a été longtemps pressenti avant que le Caudillo ne choisisse Juan Carlos-ndlr]. Mais, en plus, il est le président d'honneur de la Fondation nationale Francisco Franco et c'est lui qui est devenu le premier dépositaire de l'héritage politique [du général-ndlr] », ajoute Mariano Sánchez Soler. Louis de Bourbon compte d’autres amis solides au sein de Vox. Parmi eux, l’ancien numéro deux du parti, Víctor González Coello du Portugal qui s’est installé dans les mêmes bureaux du siège social des entreprises de Louis-Alphonse, comme le rappelle dans ses colonnes Cadena SER. Il est son principal relais parmi les lobbys ultra-catholiques tel que l’association Cura Infirmorum et Natura-Seminare où Louis-Alphonse de Bourbon siège au conseil d’administration avec, plus surprenant, un autre prétendant au trône contesté du Portugal, le duc de Loulé. Autre voxiste proche du prince, Juan José Aizcorbe Torra. Le député est aussi l’avocat de la Famille Franco et un phalangiste assumé. « En théorie, ils n'ont aucun rapport entre eux, mais si vous lisez les éditoriaux et les écrits, vous vous rendez compte que le soutien [de la part des Franco-ndlr] à Abascal et à Vox est très clair » affirme Mariano Sánchez Soler au quotidien El Espanol. Au sein de Vox, on s’amuse de ces spéculations autour des liens entre Louis-Alphonse de Bourbon et Santiago Abascal.  Une possible candidature du prince aux dernières élections législatives a été évoquée, mais rapidement balayée par Vox. « Ce qu'il doit être, c'est roi de France » assure-t-on, en haussant les épaules.

Des Bourbons, soutiens du parti d'extrême-droite ? 

Santiago Absacal a été reçu en juin 2019 par un roi Felipe VI tout sourire. C’est la première fois, depuis la fin du franquisme, qu’un leader d’extrême-droite a eu droit aux honneurs de la monarchie au Palais de la Zarzuela. Le leader de Vox considère le monarque comme un rempart face à la déconstruction de la société espagnole souhaitée par la Gauche (la dernière loi en faveur du transgenrisme a cristallisé les passions). « C’est le chef de notre Nation et la Nation ne permettra pas à une bande de sans-cœur, de corrompus et qui blanchissent des assassins de détruire l'avenir et le désir [des Espagnols-ndlr] de pérenniser à notre histoire » a déclaré Abascal lors d’une allocution en 2020. Si le roi Felipe VI s’abstient de toutes interventions dans les affaires politiques de son royaume, autrement que lors de ses discours de nouvel an, de privilégier un parti politique plus qu’un autre (bien qu'il ait déjà été pris en photo avec des leaders de Vox), il est un autre membre de la maison royale qui ne fait pas mystère de son ralliement à Vox. Après le duc d'Anjou Louis-Alphonse de Bourbon ait apporté son soutien officiel à l'appel au rassemblement contre la coalition de Gauche par les partis du Parti Populaire, Ciudadanos et Vox, au plus fort de la campagne de 2019, la presse espagnole s’était faite l'écho de la participation du 4ème successible à la couronne d'Espagne à cette manifestation. Le fils de l'infante Elena, Felipe Juan Froilán de Todos los Santos de Marichalar y Borbón, s'est joint avec des amis aux dizaines de milliers d'espagnols qui protestaient contre le gouvernement du premier ministre Pedro Sanchez. Selon les médias qui avaient aligné plusieurs titres à ce sujet, le neveu du roi avait été aperçu, tentant de se cacher derrière un foulard, criant « Pedro Sanchez va t-en » ou « Puigdemont en prison ! » (en référence au président catalan sécessionniste-ndlr). De quoi gêner le palais royal qui a démenti que le fils de l’infante ait reçu une autorisation du souverain pour participer à cette manifestation. Turbulent fêtard Bourbon, il a été depuis éloigné d’Espagne où il a rejoint son grand-père aux Émirats Arabes Unis, lieu d’exil de Juan Carlos, afin d’occuper un poste au sein d’une des plus grandes sociétés pétrolières du pays. 

En cas de victoire, il est probable que le Parti Populaire et Vox reviennent sur certaines lois promulguées par la coalition de Gauche, mettent fin à la tentative judiciaire du gouvernement actuel de reprendre le Pazo de Meirás, le château des Franco. Depuis plusieurs mois, les socialistes et Podemos font une fixette sur cette demeure à laquelle est lié Louis-Alphonse de Bourbon. C’est ici qu’il a passé sa lune de miel après son mariage avec Maria-Margarita Vargas, la fille du milliardaire du même nom et banquier du gouvernement vénézuélien. Le retour aux affaires de la droite pourrait servir les intérêts de Louis de Bourbon. C’est grâce à elle que le duché de Franco avait pu être remis à sa mère, Carmen, in extrémis en 2018. Un apanage auquel tient énormément Louis-Alphonse de Bourbon et qui ferait de lui « Grand d’Espagne » au décès de cette dernière. Une épine dans le pied du gouvernement espagnol qui n’a eu de cesse de martyriser le prince Louis-Alphonse de Bourbon et qui est arrivé à ses fins. Le titre a été promptement aboli en octobre 2022 avec tous ceux qui rappelaient le franquisme, quand bien même le duché de Franco reste une création de l’ancien roi-émérite Juan Carlos Ier.

DR@Frederic de Natal