«J’ai une pensée toute particulière pour mon grand-père, Henri, comte de Paris, qui s’est engagé dans la Légion étrangère et qui n’a pas hésité à se porter au secours de notre nation «outragée, brisée et martyrisée» durant quatre longues années ».Dans un bref communiqué, le prince Jean d’Orléans, comte de Paris, a rendu hommage à l’engagement de son grand-père, le prince Henri d’Orléans, à l’occasion du 75ème anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Quel a donc été le rôle exact de ce prétendant au trône de France entre 1939 et 1945 ?
Le 1er septembre 1939, la Wehrmacht allemande envahit la Pologne. C’est au cours de son voyage de retour du Brésil que le prince Henri d’Orléans apprend l’ordre de mobilisation générale en France, décrété deux jours plus tard. Depuis des années, le dauphin de France, dont la maison a été contrainte à l’exil depuis 1886, avait averti ses compatriotes de l’abime dans lequel la IIIème république menaçait de les plonger. « Dans cette période trouble de 1934 à 1940, mêla, opposa, confondit, les idéologies les plus séduisantes et pernicieuses, et où bouillonnaient les germes du futur conflit mondial, les pièges ne manquaient pas » avait écrit le fils du duc de Guise en fin politique. Par le bais de son « Courrier royal », l’organe de la Maison de France, le comte de Paris de 31 ans avait constamment dénoncé la montée du nazisme et l’influence du fascisme au sein de certains mouvements politiques français. Pire, il craignait que l’arsenal militaire français ne soit pas en mesure de résister au Reich qui se remilitarisait doucement, en dépit des clauses du traité de Versailles (1919). Le rapprochement de Berlin et de Moscou avait achevé de convaincre Henri d’Orléans que des jours sombres s’annonçaient pour l’Europe. Pour le descendant du dernier roi des Français, Louis-Philippe Ier, si le déclenchement du conflit fut loin d’être surprenant, comme fils de France, il entendait i faire son devoir de (prince-) citoyen.
Les pays se regardent sans s’affronter en cette fin de 1939. Cette «drôle de guerre » permet au prince Henri d’écrire au président Albert Lebrun et lui demander l’autorisation de revêtir l’uniforme français. Refus net de la IIIème république qui ne souhaitait pas voir un seul de ces princes exilés, tenter de revendiquer une légitimité que cette institution fragile estimait saugrenue. Il tente alors de se faire accepter au sein de l’armée britannique mais Londres craint d’irriter Paris et préfère décliner. Pierre de la Rocque (1880-1954), frère du colonel François de la Rocque, président de la Ligue des Croix de feu, fait alors office de secrétaire du comte de Paris. A Bruxelles, il reçoit soudainement la visite d’un officier du Deuxième Bureau, Pierre Brouillard, venu s’enquérir de la volonté du prince de s’engager dans l’armée ou se voir confier des missions diplomatiques. En particulier vers Rome et dans les Balkans. Paris craignait, à juste titre et l’histoire le démontrera, un «coup de poignard» de la part du duce Mussolini. La Grèce, la Yougoslavie, la Bulgarie, Henri d’Orléans suit les pas de son père, lui aussi mandaté par la République lors du premier conflit mondial. Une tradition diplomatique qui se poursuivra avec ses successeurs, encore aujourd'hui. Le rapport du prince est sans appels. Ses propositions qui auraient permis certainement à la France de faire basculer des pays alliés à l’Allemagne dans le camp des démocrates sera jeté aux oubliettes. Autorisé de séjourner temporairement en France, il quitte l’Hexagone en janvier 1940 vers le Maroc espagnol, le lieu d’exil de sa famille.
En avril, on lui confie de nouveau une mission diplomatique. Cette fois-ci en Belgique. La république française souhaite connaître qu’elles sont les limites de la neutralité du roi Léopold III, menacé par sa droite par le mouvement rexiste d’un Léon Degrelle attiré par les sirènes du nazisme. Avant de le renvoyer à Rome. En vain. L’Italie refusera de sortir de son alliance avec l’Allemagne, le roi Victor-Emmanuel III ne bronchait pas, le prince héritier Humbert se contentait de suivre le mouvement malgré les protestations de sa femme, Marie-Josée de Belgique, prompte à le soutenir se souviendra-t-il. Au loin, déjà, se faisaient entendre les premiers coups de canon et le mur français n’allait pas tarder à succomber aux assauts des panzers allemands. La république pouvait compter ses abattis. Toute la question, désormais, était de savoir si pour ,services rendus, il pourrait s’engager. Et la réponse du gouvernement fut aussi verbale que directe. Le prince pouvait s’engager dans la Légion étrangère à condition que ce fût sous un autre nom. Le suisse Henri Orliac était né. Le dirigeant de l’Action française, le principal mouvement monarchiste qui avait longtemps menacé la vie politique française Charles Maurras, n’avait pas daigné le recevoir. Henri quittait Paris, déçu et en rupture totale avec l’Action française.
Incorporé à Sathonay, dans le Rhône, comme soldat de deuxième classe, le prince suit les événements qui s’enchaînent en France à un rythme incroyable. Avancée des nazis qui se sont emparés des Pays –Bas et de la Belgique, fuite du gouvernement à Bordeaux, sa chute et arrivée au pouvoir du maréchal Philippe Pétain, cette « divine surprise ». Et le décès de son père, Jean de Guise. L’armistice du 10 juin 1940 le rend à la vie civile. Henri d’Orléans s’est engagé pour combattre, il n’aura pas eu le temps de montrer sa valeur contre l’ennemi. La politique de Vichy n’est pas sa tasse de thé. Il regrette même de voir l’Action française se compromettre avec de telles idées loin de tout idéal monarchique. Mais il entrevoit une autre opportunité. La débâcle a permis l’instauration d’un régime autoritaire qui ne tient que par la grâce et la volonté du Reich. Le comte de Paris, devenu le roi Henri VI pour ses partisans, en est persuadé. Il est l’élément fédérateur qui manque aux Français.
A Londres, un certain Charles de Gaulle s’est proclamé chef de la France Libre. Le comte de Paris n’y croit pas. Il ne le sait pas encore mais les deux hommes seront bientôt liés par un respect mutuel qui les amènera à évoquer un jour la possibilité de la restauration de la monarchie dans les années 1950-1960**. Il opte donc pour la carte de Vichy, pensant pouvoir manipuler le vieux maréchal. Pour le prince, «la démocratie vit au jour le jour, la dictature ne pense qu’au lendemain, la monarchie, seul régime indépendant par nature des puissances financières, règle le présent et prévoit l’avenir». Son choix s’explique donc par la nécessité impérieuse se poser en alternative au régime français, recevant le soutien de Raphaël Alibert, le Garde des Sceaux, qui voyait dans la suspension de la constitution de 1875, l’opportunité de restaurer la monarchie. Et le fait savoir discrètement comme en témoignera une lettre datée de juillet 1941. Les rumeurs les plus folles vont alors se répandre dans la presse. On parle même d’un possible couronnement dans une colonie [l’Algérie française] au printemps 1941 par le général de Gaulle qui coordonne les réseaux de résistance, la plupart royalistes*. Ce n’est pas pour autant qu’il donne un blanc-seing à Vichy. Il fait sonder le vieux héros de de Verdun, le rencontre secrètement en août 1942 et fera part dans ses mémoires de son manque de réalisme. L’ambition de sa jeunesse va se heurter à l’expérience de terrain du militaire. Le comte de Paris annonce à Pétain, l’imminence d’un débarquement allié en Afrique du Nord et le rôle que peut jouer la France si celui-ci accepte de se démettre. «Vous voulez donc ma place, jeune homme ? » se contente de lui répondre l’officier militaire qui le renvoya vers Pierre Laval. Le Président du Conseil (revenu au pouvoir par la petite porte et les baïonnettes allemandes) le reçoit alors avec « une froideur roublarde ».
Avait-il eu vent des contacts qu’un consul allemand avait pris avec le prétendant au trône, suite à la demande express des nazis ? Il est vrai que le comte de Paris ne cache pas son animosité vis-à-vis du Président du conseil qui ne donne pas suite à ses demandes. Tout au plus, il lui offre un secrétariat au ravitaillement qu’Henri, offusqué, décline. Cette rencontre avec les nazis est d’ailleurs l’objet d’une forte controverse qui ressortira en 1982 dans le Figaro magazine qui publiera l’extrait une note interne provenant des services de renseignements allemands et qui affirmait que le prince était prêt «à entrer dans la collaboration en échange d’un trône». Si le comte de Paris ne niera pas cette rencontre avec Théodor Auer, il balayera rapidement et sèchement toute polémique, remettant les pendules à l’heure. «Les opinions et les souhaits qui me sont attribués dans la note allemande publiée par cet hebdomadaire sont diamétralement opposés aux soucis et aux convictions que j'ai exprimés à l'époque et depuis. Les affabulations de ce fonctionnaire [le consul général allemand à Casablanca] n'expriment en réalité que le banal désir de se mettre en valeur auprès de son maître. Ce «document» doit par conséquent être traité avec mépris » écrira le prétendant au trône et comme le rapporte une édition du Monde. L’Allemagne n’a jamais confirmé la réalité de ce document que beaucoup d’historiens remettent en question et qui se basent sur les écrits du prince qui condamne régulièrement la politique de collaboration de Vichy tout au long du conflit. N'en déplaise à ses contradicteurs.
Pour l’heure, le prince Henri a décidé d’entrer dans la résistance, depuis l’Afrique du Nord. Il va tenter le tout pour le tout. L’Histoire va retenir cet épisode sous le nom de «complot d’Alger»***. La capitale de l’Algérie française, gaullistes, foisonnent vichyssistes, vichysso-résistants, monarchistes, républicains, pro-nazis qui se regardent en chiens de faïence. Chacun tente de placer ses pions, y compris le comte de Paris qui pense que la «vertu dynastique va obliger les ambitieux à s’effacer». Il arrive à Oujda avec un faux passeport, récupéré par le Lieutenant-abbé Cordier, agent de liaison des frères d’Astier de la Vigerie, des gaullistes au réseau très étendu. Il a le soutien de plusieurs officiers et de 3 présidents des conseils généraux. Le comte de Paris a déjà rédigé le communiqué où il se pose en « fédérateur de tous les formes de patriotisme », formé un gouvernement où De Gaulle aurait hérité de la défense nationale. Reste à éliminer l’homme de paille du maréchal, l’Amiral Darlan. Ce sera chose faîte le 24 décembre 1942 quand un jeune monarchiste de 18 ans, Bonnier de la Chapelle, abat le dauphin de Pétain. Capturé, l’étudiant sera passé par les armes. Le comte de Paris, qui se remet de fièvres paludiques, se précipite au gouvernorat et trouve à la place de Darlan, le général Giraud, ami des américains et concurrent de De Gaulle. Il ne se désistera pas, l’entretien sera violent, Giraud le somme de partir. C’est un échec qu’il doit répercuter à ses soutiens. « Je n’ai jamais vu un général aussi con » dira Henri d’Orléans. Des officiers, fous de rage, se pressent autour de lui et lui propose d’organiser un coup d’état, un « brumaire royaliste ». Le prince hésite, refuse, décide de repartir, malade, peut-être victime d’une tentative d’empoisonnement dont il se remettra que 6 mois plus tard.
Pour le prétendant du trône, c’est ici que s’arrête ses actes de résistance. Il continue à publier des communiqués comme à la fin de l’automne 1943 où il déplore les bombardements britanniques sur la France, accueille son neuvième enfant, la princesse Claude, puis décide de s’installer en Espagne à la veille du Jour-J, le débarquement des Alliés prévu au matin du 6 juin 1944 . Une présence près des frontières qui va déranger les autorités de Vichy qui font courir le bruit qu’il vient «soulever le midi ». En septembre 1944, il apprend l’arrestation de Maurras pour collaboration. Il n’aura pas un mot de regrets pour le chantre de l’Action française. Le prince irrite les partis de Gauche , son rôle (jugé trop louvoyant) durant la Seconde guerre mondiale n’a pas été compris. En janvier 1945, un sondage montre qu’une large majorité des français est même favorable son arrestation. Le prince Henri d’Orléans n’aura pas été cette alternative qu’il avait souhaité être au lendemain de la guerre, ratant de peu ce train de l’Histoire déjà en marche et qui ne l’avait pas attendu en gare.
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*https://vdhvoieroyale.wordpress.com/2018/02/22/des-royalistes-dans-la-resistance-entretien-avec-francois-marin-fleutot/
**https://vdhvoieroyale.wordpress.com/2017/04/20/henri-dorleans-1903-1999-comte-de-paris-et-lechec-de-la-restauration-du-trone-de-france-partie-12/
***https://vdhvoieroyale.wordpress.com/2018/06/13/le-comte-de-paris-et-le-complot-dalger/