Lorsque la mobilisation générale est décrétée le 1er août 1914, des millions de français s’engagent dans un conflit dont beaucoup ne reviendront pas, victimes innocentes de la folie des hommes et de l’acharnement des politiques ou de l’esprit revanchard des militaires. La nation en danger, sous l’œil d’Eugénie de Montijo, les descendants des maréchaux du Premier empire se portent naturellement au secours du drapeau tricolore menacé par les casques à pointe du Kaiser Guillaume II. Bonaparte, Murat, Berthier, Suchet, Masséna, Soult, Walewski… autant de noms qui respirent les grandes heures de notre histoire millénaire et qui vont donner leur sang durant le premier conflit mondial pour que vive la France éternelle.
Les bruits de canon se faisaient entendre depuis quelques années déjà. L’assassinat de l’archiduc François Ferdinand de Habsbourg-Lorraine, le 28 juin 1914, va alors précipiter toute l’Europe dans un gigantesque conflit qui va devenir mondial. Les troupes allemandes déferlent bientôt en Belgique et se dirigent vers la France qui mobilise ses citoyens. Le plan Schlieffen surprend les états-majors par sa rapidité d’action et son efficacité. Les bombardements se multiplient et le prince Victor Napoléon, prétendant impérial au trône de France, et son épouse, la princesse Clémentine, sont contraints de s’embarquer vers Farnborough Hill où vit, retirée, Eugénie de Montijo. L’épouse de Napoléon III a beau avoir près de 90 ans, elle est une fervente patriote qui a vibré au discours de René Viviani, le président du Conseil qui a déclaré le 4 aout : « Nous sommes sans reproches, nous serons sans cœur ». Le pays brûle de sa revanche et venger l’humiliation de 1870 qui lui a fait perdre l’Alsace-Lorraine. Frappé par la loi d’exil de 1886, le rejeton impérial s’est vu opposer un refus net à sa demande d’incorporation sous le drapeau tricolore. Il est désorienté face à cette guerre dont il a pourtant prévenu des conséquences. « Je n’ai pu obtenir l’autorisation de servir, hélas « déplore t-il, son épouse avoue qu’elle « peine à le distraire ». Il va suivre le conflit depuis l’Angleterre, réclamant avec frénésie à tous ses contacts en France les moindres détails des opérations en cours, suivant chaque avancée de l’armée française sur une carte. Si la république ne veut pas d’un homme providentiel qu’elle a expulsé manu militari, elle ne rechigne pas à envoyer au front les descendants des grands maréchaux du Premier empire.
Murat, Berthier, Suchet, Soult, Masséna, Walewski, autant de noms qui rappellent aux soldats de la République les grandes heures de l’épopée impériale. Le prince Joachim Murat est l’arrière-petit-fils du fameux maréchal qui a accompagné de sa fougue l’empereur Napoléon Ier sur quasiment tous les champs de batailles de l’empire, victoires éclatantes qui resplendissent encore sur les plastrons de ses descendants. Il a eu huit enfants dont 7 sont des garçons. Dans leurs veines coule le sang du patriotisme. Ils vont s’engager et à commencer par l’aîné, Joachim (1885- 1938). Lieutenant de cavalerie, une arme et une tradition pour cette famille qui a ceint la couronne de Naples entre 1806 et 1815, le prince de Pontecorvo ne va pas démériter. Nommé interprète officiel au quartier général du Royal Flying Corps (RFC), basé à Saint-Omer, entre août 1914 et novembre 1915, il est nommé à la tête du fort de Sartelles en tant que commandant lors de la bataille de Verdun où sa conduite héroïque lui vaudra 3 citations et la croix de guerre. Un épisode sanglant de la première guerre mondiale qui raisonne encore aujourd’hui dans toutes les têtes tant Verdun fut une bataille éprouvante pour les français et les allemands. Des centaines de milliers de vies sacrifiées entre février et décembre 1916. C’est dans la Somme que la mort va faucher le frère du prince Murat, Louis. Maréchal des Logis au 5ème régiment de cuirassiers à pied, ce petit-neveu de Napoléon Ier meurt au combat le 21 août de la même année, à peine âgé de 19 ans. La patrie reconnaissante lui rendra hommage en nommant une des rues de Paris de son nom. Encore faut-il citer un autre de cette fratrie, le prince Charles (1892-1973), cavalier comme son ancêtre et qui va s’illustrer dans les Dardanelles entre mars 1915 et février 1916. Il se battra corps à corps animée de cette flamme ardente qui caractérise cette famille et qui s’en sortira tout juste blessé à la tête. Un acte de bravoure qui impressionne ses coreligionnaires et la république qui s’empresse de le nommer chevalier de la Légion d’honneur. « Après avoir mis en fuite l’armée bulgare, traversant cette grande ville au galop, il s’est emparé des issues, empêchant ainsi les incendiaires laissés par l’ennemi de continuer leur sinistre besogne et donnant toute sécurité à l’infanterie qui le suivait pour entrer à son tour ». Capitaine d’un régiment de Dragons, le prince Paul Murat (1893-1964) vient compléter le tableau des actes héroïques de cette famille et que n’aurait pas manqué d’immortaliser David dans une de ses peintures si il avait été vivant. Il sera lui aussi décoré de la Légion d’honneur.
En Angleterre, le prince Napoléon s’affaire comme Eugénie de Montijo qui met tous ses moyens à la disposition des Alliés. Elle ouvre sa demeure aux blessés de guerre, joue les infirmières, coordonne avec la princesse Marguerite Murat, l’envoi de vêtement chauds et s’agace ouvertement des divisions qui règnent au sein des différents états-majors. Elle demande un commandement unique, la dernière impératrice des français retrouve la fougue de sa jeunesse. Du côté de Victor Napoléon on n’est pas en reste non plus. Il a appelé les bonapartistes des Comités plébiscitaires à se rallier à l’Union sacrée et a réduit drastiquement les activités du mouvement. Les bonapartistes sont mobilisables et vont être durement frappés par le conflit comme le feraremarquer Pierre Taittinger, futur président de la Ligue des Jeunesse Patriotes, au prince impérial. Tant bien que mal on tente de préparer l’avenir après la victoire que l’on croit proche, notamment lorsque les Etats-Unis entrent eux aussi dans le conflit en 1917. On presse le prince d’agir, de se poser en alternative à la République qui est affaiblie. Victor Napoléon refuse, son frère Louis (1864-1934) représente le Tsar Nicolas II auprès de l’état-major italien, les souffrances de ses compatriotes lui imposent de ne pas se compromettre dans une aventure dont personne ne peut lui garantir le succès.
On ne peut évoquer la Première guerre mondiale sans les Taxis de la Marne, réquisitionnés par l’armée pour transporter les soldats vers la bataille éponyme. Derrière la mise en place de cette logistique, un arrière-petit fils de Napoléon Ier, le prince André Walewski (1871-1954). Passionné d’aviation et d’automobile, il va lancer avec succès une compagnie de taxis, appelés G7, participe mêmes aux combats et sera blessés à diverses reprises. Le prince Charles Waleswki s'engage à 66 ans au début du conflit. Il refuse de rester inactif et se porte au commandement d’un régiment d’infanterie territoriale, déjà auréolé d’un prestige militaire parmi les officiers. « Un homme de race » qui servira de modèle à un Marcel Proust, tombé sous le charme de ce prince dont le père a servi fidèlement Napoléon III, son cousin. Il meurt au combat en octobre 1916, laissant son nom dans la légende des héros de la Grande guerre. Les Reille-Soult de Damaltie vont payer un lourd tribut à ce conflit qui s’enlise. Député du Tarn, René Reille-Soult de Dalmatie perd la vie en 1917 dans l’Aisne. Il avait relevé le nom du maréchal Soult, hérité de par sa grand-mère. Imperturbable, blessé par un obus, il continue pourtant à avancer avant de succomber à un second obus. Deux autres de ses frères donneront aussi leur sang pour la nation meurtrie entre 1915 et 1918. La guerre s’achève finalement à la grande satisfaction du prince Victor Napoléon qui entrevoit l'avenir gris qui se dessine à court terme après la signature de l’armistice du 11 novembre 1918. 6 mois plus tôt, c’est un autre prince de l’empire, Alexandre Berthier qui était décédé de ses blessures dans l’ambulance qui le menait à l’hôpital.
Tous me meurent pas et s’illustreront encore. Chez les Murat, le prince Jérôme (1898-1992) sera aviateur. Abattu au-dessus des Vosges en février 1918, il sera amputé d’une de ses jambes. Son frère Alexandre (1889- 1926) sera l’un des meilleurs commandant de batterie de sa génération cité pour avoir « obtenu de sa batterie un rendement excellent par la précision des tirs qu’il a toujours dirigés lui-même des observatoires les plus exposés et avoir toujours su , malgré les pertes, maintenir, par son calme et son mépris du danger, la confiance parmi son personnel et la discipline du feu ». Artilleurs spécialisé, le prince André Masséna (1891-1974) ou le prince louis Joseph Suchet d'Albufera ne se traceront dans la ligne droite de leurs ancêtres respectifs, décorés de la croix de guerre. « La France s’est montrée digne de son passé. Nos soldats ont fait revivre les exploits de leurs aînés sous un chef admirable que « l’épopée » a inspiré » écrira le prince Victor Napoléon en 1919, saluant ainsi l’héritage qu’il incarne. Eugénie de Montijo écrira une lettre à Georges Clémenceau, ce Tigre « qu’elle aurait bien embrassée pour tout le bien qu’il a fait à la France ». Elle devait encore jouer un rôle non négligeable dans le retour de l’Alsace –Lorraine dans le giron français avant de fermer définitivement les yeux, deux ans plus tard, le sentiment du devoir accompli. Comme tous ces princes d’empire qui se sont distingués ou sont morts au champ d’honneur entre 1914 et 1918 auc côtés de leurs compatriotes.
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