Les Murat de Mingrélie, une histoire française en Géorgie
Les Murat de Mingrélie, une histoire française en Géorgie
Les Murat, un nom qui résonne de toutes les gloires de France. Une branche de cette Maison royale prestigieuse a décidé de s'installer en Mingrélie, une ancienne principauté géorgienne, et dont l'histoire se mélange avec celle du Caucase.
Région située en Géorgie, à la croisée des chemins entre christianisme et islam, c’est dans l’antique Colchide que réside la branche la plus exotique de la Maison royale des Murat. Son nom est peu connu. Pourtant, la Mingrélie nous plonge dans les fabuleuses senteurs de l’Orient qui se mélangent avec celles de l’Occident. Les princes qui ont régné sur ce territoire, qui semble tout droit sorti de l’imagination du romancier Tolkien, portent les titres féodaux de duc de Bedia, d'Egrissi ou encore d'Odichi.
Les Murat et le Caucase, une autre épopée
A Zougdidi, se dresse le palais de la maison princière héréditaire des Dadiani. Transformé en musée national, l’ombre du maréchal-roi Joachim Murat et de l’Aigle impérial napoléonien hante les couloirs du château. Dans cette partie du Caucase où on eut lieu les plus belles charges militaires des Russes blancs, on se souvient encore de cette famille française qui pourrait un jour ceindre la couronne vacante de cette principauté géorgienne si elle redevenait indépendante. C'est ici que leurs représentants se sont installés afin de perpétuer la mémoire fascinante de cette lignée royale française du Caucase. C’est l’histoire d’une rencontre en pleine désagrégation de l’Union soviétique. La Géorgie décide en 1991 de se séparer de la Russie, qui a annexé ce royaume deux siècles auparavant, et de reprendre son indépendance. C’est la Grande-duchesse Léonida Bagration-Moukhrany, descendante des monarques de Géorgie, qui a arrangé un entretien entre l’ambassadeur de ce pays du Caucase, le prince Alain Murat (né en 1943) et son épouse Véronique de Chabot-Tramecourt (née en 1949). Il faudra attendre encore quatre ans avant que le descendant du Maréchal Murat et sa famille ne débarquent en Mingrélie. La région n’a pas été choisie au hasard. Le prince Alain Murat est un descendant des derniers souverains de cette province géorgienne. L’accueil est chaleureux; il surprend le couple qui découvre Zougdidi. C’est un coup de foudre pour cette terre. Il faut peu de temps à ces nordistes pour se décider, les Murat vont revenir s’installer en Mingrélie, sur ces terres qui furent jadis les leurs.
La dynastie des Dadiani de Mingrélie
C’est au XVIème siècle que l’Eristavi (duc) Léon Ier Dadiani décidée d’ériger ses terres en principauté indépendante. La Géorgie est divisée en plusieurs royaumes qui se font la guerre, sauf quand il s’agit de hisser ensemble le drapeau de la chrétienté afin de faire face à l’envahisseur Ottoman qui lorgne sur les richesses de ce territoire. C’est justement cela qui va provoquer la rupture des relations des Dadiani avec les Bagration en 1545 lorsqu’il passe sous la protection des Turcs. Le fondateur de la dynastie royale aura une fin tragique, la nuque brisée au cours d’une partie de chasse. Gisant à terre, le sang des Dadiani se noie dans la terre du héros mythique de la Toison d’Or, Jason, afin de la nourrir, liant le destin de sa dynastie à celui de la Russie et des princes Murat. En octobre 1802, le prince héréditaire Grigol Dadiani (1770-1804) envoie un messager à la cour impériale. Depuis peu, les Romanov ont envahi le royaume de Géorgie et destitué la maison des Bagration à laquelle il est affilié depuis son mariage avec la fille du roi Georges XII. Il tente de sauver l’indépendance de sa principauté et la Russie accepte de placer la Mingrélie sous son protectorat. Une fois la menace turque écartée, Saint-Pétersbourg signe l’accord de Dadichala, le 1er décembre 1803, qui sauvegarde la couronne de Grigol et octroie une autonomie à la principauté au sein de l’empire russe. La cour sursaute, la noblesse crie à la trahison. Un complot dans la plus pure tradition florentine se trame et la mort subite du prince en octobre 1804 va alimenter toutes les rumeurs. D’autant qu’un mystère demeure, jamais résolu. Quel rôle joua véritablement Nicola di Rutigliano, moine capucin italien, dans cette affaire qui n’a pas révélé les noms des assassins supposés de Grigol. Son fils et successeur Léon V (1793-1846) fut autant un piètre gestionnaire de son état qu’il fut un zélé vassal des Russes, permettant ainsi à l’empire d’étendre son influence en Abkhazie. Poussé à l’abdication en 1840 en faveur de son fils David (1813-1850), la principauté n’est alors plus qu’une vaste province russe sous la juridiction du Prince Mikhail Semyonovich Vorontsov, un héros de Borodinov et commandant en chef de l’armée d’occupation de la France (1814-1815). L’histoire, facétieuse, est en marche.
Le palais Dadiani, mémoire des Murat
Sept enfants sont nés du mariage du prince David avec Ekaterine Chavchavadze. L’aîné Nicolas Ier (1847-1903) sera le dernier souverain de cette principauté. Prenant prétexte d’une révolte paysanne en pleine guerre de Crimée, les Russes le déposent en 1856 et annexent son territoire. Titré et doté d’une confortable pension, on pense à lui pour la couronne vacante de Bulgarie en 1887, mais sa candidature fut rejetée au profit d’un petit-fils de Louis-Philippe Ier d’Orléans, Ferdinand de Saxe-Cobourg-Gotha. Sa sœur Salomé a grandi dans la douceur du palais princier. Elle a 20 ans lorsqu’à Paris, elle fait la connaissance du prince Achille Murat (1847-1895), bretteur célèbre. Il est le petit-fils de Joachim Murat, le roi de Naples tombé devant un peloton d’exécution en 1815 au nom du Congrès de Vienne. Il est le prince d’une maison déchue pour laquelle le Second Empire jette un œil complaisant ; elle est une princesse d’un royaume que personne au XIXe siècle ne peut situer sur une carte de l’époque. Dans leur infortune, une incroyable rencontre entre deux êtres que rien ne rapproche si ce n’est l’amour. Le 13 août 1868, c’est le mariage, avec pour témoins Napoléon III et Eugénie, et le départ vers un pays pour lequel Achille a déjà de grands desseins…La vigne ! Car tout à ses rêves, le prince est un producteur viticole, un amoureux des spiritueux. Et le terrain fertile de Mingrélie va produire rapidement le vin des Murat. Dans ses bagages, la nostalgie du Premier empire. L’épée de l’empereur, sa bibliothèque, son bureau, ses chaises, et même des masques funéraires que l’on peut encore admirer aujourd’hui au palais Diadani.
Un mariage heureux couronné d'une illustre descendance
Son mariage lui donne 3 enfants : Charles Lucien (1870-1933) qui servira Napoléon III avant d’être exilé en 1870 vers son pays natal, Louis-Napoléon (1872-1943) qui participa à la guerre russo-japonaise et Antoinette (1879-1959). Loin de Paris, on respirait un petit air gaulois en Géorgie tout en trinquant à la santé d’Alexandre III. Ce que Napoléon Ier avait rêvé de faire, les Murat l’avaient concrétisé. Mais en Russie, tout est tumulte et les bruits de canon se font entendre. La princesse Salomé décède en 1913, à 65 ans. Ses yeux se ferment sur un monde qui décline, la révolution n’est pas loin. Elle va décimer ou exiler sa famille. Son neveu le prince Nicolas II (né en 1876), chambellan du Tsar, est arrêté par les bolchéviques qui le font exécuter dans une prison de Petrograd en mars 1919 (avec lui disparait la lignée princière des Dadiani). Quant à sa nièce, la princesse Salomé-Mia Nikolaevna (1878-1961), elle suit son mari, le prince Alexandre Nikolaïevitch Obolenski, qui rejoint les troupes russes blanches avant de devoir prendre la route de l’exil en 1920 comme tant de russes tsaristes (ou non) vers la France.
Les Murat de Mingrélie, un nom pour un trône
Chez les Murat, on mesure les conséquences de cette révolution. La mort du prince Nicolas les place potentiellement à la tête d’une monarchie qui n’a plus de nom, ni de frontières. Charles Lucien, un temps emprisonné, s’exilera au Maroc avant de s’enfermer dans la nostalgie et dans les chants de son pays natal. Louis-Napoléon qui a été muté dans les armées du tsar lors de la Première Guerre mondiale, range son épée et tente de rester en Géorgie, fort du pouvoir que sa qualité nobiliaire lui confère. Mais les bolcheviques en décideront autrement. L’éphémère République de Géorgie ne soucie guère de ce napoléonide qui doit prendre à son tour le chemin de l’exil vers Nice, (tout comme sa sœur) privé de toute fortune. L’ancien prince devient un modeste traducteur de livres russes, vivant dans le souvenir d’un empire défunt et celui d’un père qui s’ést suicidé, accusé à tort d’avoir fait incendier son cher palais de Chkadouache afin de toucher l’assurance. L’âme russe est si mélancolique lorsqu’elle vit loin de la mère patrie. Son beau-frère, le prince Obolenski mettra aussi fin à ses jours à Paris, le 14 février 1924. Tout espoir de retour était perdu pour un homme qui avait toujours vécu dans l’opulence.
L'honneur du devoir chez les Murat
Chez les Murat de Mingrélie, on cultive l’honneur du devoir que ce soit des Pyrénées à l’Oural y compris chez les « pièces rapportées ». La belle- fille de Catherine Hortense, Véra (1911-1944), sera une résistante de renom au sein des Forces françaises Libres (FFL) , initiatrice du mouvement de l’Union des forces russes, avant de se faire capturer par la Gestapo et d’être guillotinée (le Président Vladimir Poutine honorera en personne sa mémoire en 2000). Le prince Nicolas Obolenski-Murat (1911-1979) fut lui-même officier méritant au sein de cette résistance proche du général de Gaulle et dans la grande tradition militaire qui caractérise encore la Maison royale des Murat. Centre de charité ou école, le nom de cette famille princière résonne encore de tous ses feux. Lors du conflit avec la Russie, en 2008, Alain et Véronique Murat ont accueilli des réfugiés, fidèles à l’ancien serment de la maison princière dont la sœur du prince Murat, Salomé (1926-2016, épouse du ministre Albin Chalandon), en fut une des meilleures expressions vivantes. Ils ne veulent pas de trône, aucun parti politique ne les soutiendrait d’ailleurs mais juste rendre la vie à ce qui fut le paradis viticole de leur famille et dont le nom de leur vin, Oldjalèche, fut couronné d’une médaille d’or à l’exposition universelle de 1900.
Un nouveau combat pour ces Murat du Caucase qui ont été victimes de nombreuses intimidations. Comme lorsque leur maison a mystérieusement brûlé avec ses trésors inestimables (2000). D’ailleurs, une partie des biens de la maison Murat dorment encore aujourd'hui dans les musées de Géorgie. Ils ont intenté en 2004 un procès en restitution et très curieusement leur dossier s’est perdu en route. Faute d’avoir pu les récupérer, les Murat de Mingrélie continue de vous accueillir très humblement et de faire rayonner la France dans le Caucase.