«Le destin m’a fait naître dans une famille qui a marqué l’histoire. […] Je pensais être une exception, mais j’ai découvert que beaucoup de Bonaparte avait connu le même goût pour la liberté ». A la veille des commémorations marquant le bicentenaire de la mort de l'empereur Napoléon Ier, son arrière-arrière petit-neveu, le prince Charles Bonaparte s'est livré dans un livre historico-autobiographique, intitulé « La Liberté Bonaparte» et publié aux éditions Grasset. On y découvre « de passionnants souvenirs personnels d'un fils d'une famille princière qui «a fait mai 68» et s'est engagé en politique, au Parti socialiste puis au MODEM, loin d'une filiation napoléonienne autoritariste, suivant tout au contraire un engagement Bonaparte (plus que bonapartiste) de la liberté ». «Dressant un inventaire subjectif et très politique de l’héritage napoléonien», cet ancien prétendant au trône impérial de France s’affiche aujourd’hui comme un fils de la République.
Apparenté à plusieurs maisons royales d’Europe, c’est le 5 mai 1960 que le prince Charles Napoléon participe pour la première fois à la messe annuelle et commémorative de la mort de l’empereur Napoléon Ier. Il n’a que dix ans. Autour de lui, officiers militaires et soldats en uniformes de la Garde impériale se pressent autour de son père, le prince Louis Napoléon. Un nom qui résonne des hauts faits de gloire de la France et qui inspire le respect parmi l’assistance. Le prince est l’héritier de deux Empires qui ont marqué toute l’Histoire de France de leurs sceaux immortels. C’est dans cette atmosphère surannée que Charles Napoléon va grandir et poursuivre ses études d’économie appliquée. Les événements de mai 1968 vont bouleverser ce descendant du roi Jérôme, le frère de l’empereur, pris dans la tourmente du changement qui sonne la fin de l’ère gaulliste. Le début de la rupture avec son héritage et avec sa famille exaspérée de son rapprochement avec les idées de la Gauche rocardienne émergente. « Dans une famille aristocratique, on est, presque par définition, conservateur. Je dois à Mai 68 d’avoir éveillé ma conscience et pris la mesure de la situation privilégiée dans laquelle j’étais né. Aussi, dès l’âge de dix-huit ans, je m’écartai du conservatisme ambiant pour mener ma propre vie personnelle, professionnelle, politique. Je dus le payer de beaucoup d’incompréhensions, de quelques hostilités. Mais j’y gagnai ma liberté » écrit le prince dans le premier chapitre de son livre intitulé « La liberté Bonaparte » et paru aux Editions Grasset. « C’est pourquoi je n’ai plus revu mon père pendant des décennies après mon départ de la maison familiale en 1969. Il était incapable de résister à la pression de son entourage. Il m’émancipa et me congédia, considérant que mes opinions politiques étaient contraires à celles que je devais avoir » poursuit-il.
Conseiller auprès de divers gouvernements, il traîne ses guêtres en Afrique, de la Côte d’Ivoire au Togo en passant par le Nigéria ou le Maghreb et se félicite en 1981 de l’arrivée au pouvoir du socialiste François Mitterrand. Haut-Fonctionnaire, il est nommé Sous-Préfet à Beauvais avant de claquer la porte de l’administration en 1986, un an après sa mutation. La finance l’appelle puis le vent de ses racines le mène vers la Corse. Une autre aventure, une entrée en politique et face à lui des Bonapartistes qui dirigent les principales villes du pays depuis un siècle. Sa rencontre avec Edmond Simeoni, le père du nationalisme corse, le convainc de soutenir la liste régionaliste lors des élections européennes de 1994. Au grand désespoir de Louis Napoléon qui constate le glissement de son fils vers «une lecture plus républicaine de l'histoire de sa famille ». C’est sur l’île de naissance de Napoléon qu'il va faire sa révolution. « Aîné de la dernière branche vivante des Bonaparte, je ne me réclame aucunement du bonapartisme et je n’ai aucune prétention dynastique, considérant que la seule source de légitimité est dans le suffrage universel. Je suis démocrate et républicain, profondément attaché aux valeurs de 1789 et à la Déclaration universelle des droits de l’homme. Je n’ai pourtant aucune peine à reconnaître ce que ma famille a apporté à ses contemporains, même lorsqu’elle a eu des conceptions politiques opposées aux miennes. Depuis l’âge de la maturité j’ai toujours été tourné vers l’avenir » explique celui qui rejette toute forme de passéisme. « (…) Du parti bonapartiste restait le Comité central bonapartiste (CCB) à la tête de la ville d’Ajaccio qui enfonçait chaque jour davantage celle-ci dans la ruine. En définitive, peu de chose en rapport avec le monde moderne » n’hésite pas à écrire le prince Charles qui se lance dans la course à la mairie d’Ajaccio. Entre le fils du prétendant au trône et le mouvement, de profonds désaccords. Sa liste portant son nom obtient 7% des voix au premier tour, loin devant celle de Marcangeli qui dirige le clan bonapartiste et qui a engrangé 30% des voix avec l’aide de la droite républicaine (RPR). Il ne donnera pas de consignes de vote. Il retente sa chance en mars 2001 et se retrouve en position de faiseur de roi avec 11% des voix, critiquant « l’archaïsme et le clientélisme » qui règne au sein du parti bonapartiste. Son alliance « naturelle » avec le rocardien Simon Renucci permet de faire la différence et le voilà propulser au rang de premier maire-adjoint. Un poste qu’il détiendra jusqu’en 2008.
La Liberté n’a de prix que si on se débarrasse de tout ce vous semble superflu. Au décès de son père en 1997, il devient le chef de la maison impériale Napoléon. Le mouvement bonapartiste peine à se frayer un chemin et la dynastie se divise sur le cas de Charles. Sa mère reporte tous ses espoirs sur son petit-fils Jean-Christophe que le testament de son mari a désigné comme héritier direct. Charles Napoléon règle ses comptes. Il regarde avec admiration son père et sa carrière militaire, bien moins sa mère, Alix de Foresta, que beaucoup considère comme la gardienne du temple. « Il aimait la vie simple, les plantes, la nature. Avec ses enfants, quand il était seul et à condition que ça ne dure pas trop longtemps, il était un père affectueux. Il aimait nous emmener dans le bois de Boulogne pour taper dans un ballon de foot (…). Mais bientôt ces moments de liberté furent comptés ; les sorties à Ermenonville ne purent avoir lieu sans la présence de son épouse. Pour nous, elles perdirent de leur attrait, devenant une obligation du dimanche » affirme le prince qui évoque égalment sur cet incident de 1996, lors des obsèques de sa tante où la princesse Napoléon laisse exprimer sa colère après s’être aperçu que la famille du défunt a placé son fils au premier rang. « Pendant l’office religieux, elle harcela Marie-Eugénie, la fille aînée de la défunte, lui reprochant de m’avoir placé au premier rang avec ma compagne Françoise, la mère de ma fille Sophie. Le protocole avait été bafoué ! Dans notre église, n’était-il pas indigne qu’une femme non mariée soit au premier rang aux côtés de son fils ! Et pour manifester son mécontentement, elle agrippa Béatrice, ma première épouse, mère de mes enfants Caroline et Jean-Christophe, présente quelques bancs derrière, et sortit de l’église à son bras ! » raconte le prince. La succession est une source de conflit pour Charles Napoléon bien avant la mort de son père.
« Dès le 27 mai (1996) , je reçus un courrier recommandé par lequel mon père me précisait ses griefs : le fils aîné de la famille ne peut divorcer sans le consentement de son père, surtout pour vivre avec une femme d’origine sociale non aristocratique. En se présentant dans notre église, les Invalides, avec sa compagne, il affichait un mode de vie immoral et tournait en dérision l’enseignement de l’Église. En vertu d’un sénatus-consulte datant de Napoléon III, il n’était plus l’héritier dynaste des charges et dignités impériales ! Ma mère, l’exécuteur testamentaire choisi ». La guerre est déclarée et toutes les maisons royales et impériales d’Europe sont rapidement informées. Son mariage en 1978 puis son divorce 20 ans plus tard avec Béatrice de Bourbon-Siciles suivi d’un remariage en 1996 avec Jeanne Françoise Valliccioni a provoqué des tensions familiales. « Je venais d’être rattrapé par le monde d’un autre temps que j’avais délibérément quitté à l’âge de dix-huit ans. Ces esprits chagrins prétendaient juger ma vie à l’aune de lois rescapées de la défaite de Sedan, mêlant dans un galimatias prétentieux la loi salique des rois des Francs et les sénatus-consultes du Second Empire ! » se plaint le prince Charles du bout de sa plume. Il répond en réaffirmant ses « opinions républicaines et plaidant pour un modèle familial ouvert au talent de chacun, à l’inverse du modèle rigide que [Louis Napoléon] mettait en avant », fustigeant l’avocat de la maison impériale, Maître Varaut, « ce monarchiste notoire qui avait été l’avocat attitré de l’extrême droite colonialiste et antigaulliste (et) avait le profil politique qui convenait à ma mère et au camp des conservateurs ». Le décès de son père, leur réconciliation sur son lit de mort, les obsèques qui sont nouvelles sources de conflit avec sa mère qui les souhaitaient impériales aux Invalides. De batailles en batailles, un brève élection comme conseiller municipal Modem à Nemours (avril-décembre 2008), le prince s’épuise à combattre ce qu’il appelle une « cabale » orchestrée par les bonapartistes. « Je résolus de les laisser à leurs rêves passéistes pour revenir aux racines même de cette histoire et la faire rentrer, avec moi, dans le xxie siècle. Symboliquement, je décidai de changer de patronyme, d’abandonner celui de Napoléon, utilisé par la branche aînée pour souligner sa qualité de dynaste susceptible de relever le sceptre de l’Empereur, celui qui était inscrit sur ma carte d’identité depuis ma naissance, pour reprendre celui de Bonaparte car il est celui de ma famille et évoque, pour la France et pour le monde, l’énergie du renouveau, la République et la Révolution » explique t-il laissant son fils aîné assumer la charge de prétendant au trône.
« Le destin m’a fait naître dans une famille qui a marqué l’Histoire. Je descends du frère cadet de Napoléon, Jérôme, mais comme nous sommes la dernière branche vivante des Bonaparte, les gens disent par facilité que nous descendons de Napoléon. Très tôt, je me suis écarté de la voie à laquelle me destinaient naissance et éducation. Je pensais être une exception, mais j’ai découvert que beaucoup de Bonaparte avaient connu le même goût pour la liberté. Sans rejeter l’histoire familiale ni son héritage moral, j’ai exercé mon droit à l’inventaire. La distance prise avec la tradition familiale m’a permis de jeter un regard neuf sur son histoire et d’y découvrir des richesses insoupçonnées » rapporte le prince qui étale à foison ses souvenirs de jeunesse et qui se veut critique. « L’œuvre de Napoléon est fondamentalement marquée par une contradiction entre ses aspirations à la modernité, comme la mise en œuvre des principes de la Révolution, et ses côtés réactionnaires, comme le retour à l’Ancien Régime, le rétablissement de l’esclavage ou l’instauration d’une nouvelle dynastie. Cette opposition divisera la famille entre progressistes, admirateurs de la Révolution et de Bonaparte, et conservateurs, admirateurs de l’Empire et de Napoléon » analyse Charles Bonaparte. Interviewé dans le magazine Point de Vue, il se « dit favorable aux commémorations mais pas aux célébrations », regrettant toute cette nostalgie qui « mythifie l’empereur » et ne rend pas assez hommage à « l’homme de 1789 ». « Aujourd’hui je suis surtout préoccupé par le devenir de la planète, la nécessaire transition écologique, la démocratie face aux défis des nouvelles technologies, les migrations » écrit encore le prince qui avoue se reconnaître « la politique de Michel Rocard, dans les écrits d’Edgar Morin, de Pierre Rosenvallon, de Jacques Attali, de Jeremy Rifkin, dans les enseignements humanistes et universels du Dalaï-Lama et du pape François, bien plus que dans la statue en bronze d’un empereur dominant le monde ».
«L’empire est une parenthèse institutionnelle, Napoléon est un homme de la révolution qui a eu une carrière au service de la République. Je refuse d’être un héritier au sens de la reproduction des valeurs et visions politiques qui ne correspondent pas au siècle » martèle le prince, ancien soutien de François Hollande et d’Anne Hidalgo. Fermer le ban, Charles Napoléon accepte la critique sur l’héritage qu’il incarne mais s’agace qu’on le recontextualise pas et rappelle avant tout que l’Empereur est un « des pères fondateurs de l’Europe ».
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