L’histoire de la Légitimité, les partisans de la branche aînée de la Maison de Bourbon au trône de France, a été souvent agitée. Parmi ses nombreux chapitres tumultueux, celui de France monarchiste reste parmi le plus éphémère et le plus controversé.
Le 16 mars 1986, la France vote pour renouveler ses députés. Un tournant pour la Ve République puisque c’est la première fois que ces élections ses élections se déroulent au scrutin proportionnel.
Avec 35 députés élus sous le logo de sa flamme tricolore, le Front national (FN) de Jean-Marie Le Pen crée la surprise et fait une entrée remarquée au Palais-Bourbon. Dans l’entourage de son leader Jean-Marie Le Pen, des avocats, des universitaires, des médecins, des journalistes, des anciens officiers de l’armée, mais également des monarchistes notoires. Charles de Chambrun, un descendant du marquis de Lafayette, le comte François Porteu de la Morandière ou même Georges-Paul Wagner, un ancien fondateur de la Nouvelle Action française (actuelle Nouvelle Action Royaliste) se trouvent parmi les élus. Parmi les soutiens royalistes de l’ancien député Poujadiste se trouve un certain Marcel Chéreil de La Rivière dont le nom va être étroitement associé à l’histoire de la Légitimité.
Un légitimiste convaincu
Il est né à Nantes, l’ancienne capitale du duché de Bretagne, quelques mois avant la fin de la Première Guerre mondiale. Marcel Chéreil de La Rivière va faire plus tard carrière dans l’industrie du jouet avant de devenir entre 1968 et 1983 le Président-directeur-général de la Société Études et Régimes. L’homme, qui a grandi à travers les grands mythes de la chouannerie et des guerres de Vendée, est un royaliste convaincu, partisan du prince Alphonse de Bourbon, prétendant à la couronne de France après avoir, un temps caressé l’espoir de ceindre celui d’Espagne. L’homme d’affaire est aussi un patriote qui reste proche du Front national fondé en 1972 par Jean Marie Le Pen.
Le leader du FN n’est d’ailleurs pas un inconnu du milieu royaliste français. Il a été vendeur à la criée pour Aspect de France, un journal royaliste qui se place dans les pas de celui de l’Action française, interdit après la fin de la Seconde Guerre mondiale. C’est même Serge Jeanneret (1911-2000), un ancien résistant royaliste, qui a présenté cet ancien parachutiste à Pierre Poujade, permettant à Jean-Marie Le Pen de faire ses première armes sur les bancs de l'Assemblée nationale. Entre Jean-Marie Le Pen et Marcel Chéreil de La Rivière, une solide amitié va bientôt naître d’autant que dans ses discours, le FN incorpore dans ses discours politiques, des références à Jeanne d’Arc, à la culture chrétienne et valorise même la doctrine sociale d’Albert de Mun chères et communes à un bon nombre de monarchistes. Marcel Chéreil de La Rivière est captivé par la verve de Jean-Marie le Pen.
Fondateur de France et Royauté
L’industriel est un chouan dans l’âme. Lui-même en 1983, n’a pas hésité 0 battre le pavé, mains nues face aux matraques de « la maréchaussée de la gueuse » comme est surnommée la police de la République par les monarchistes. Marcel Chéreil de La Rivière caresse l’espoir de voir le prince Alphonse de Bourbon se rallier au « panache blanc » du breton frontiste. Dans la foulée des élections, il crée France monarchiste dont le premier numéro de son mouvement « France et Royauté » mentionne son allégeance au prince Alphonse. Lequel n’a pourtant pas l’intention de se prêter au jeu républicain. Bien au contraire, il refuse de donner la moindre consigne de vote alors que se dessine déjà la prochaine élection présidentielle et préfère battre la campagne pour les festivités du « Millénaire capétien » à venir. L’interview que donne le prince à Newsmen, un magazine érotique, va sonner le glas des relations entre Marcel Chéreil de la Rivière et son prétendant.
Lors de cet entretien, le descendant de Louis XIV déclare qu’il « faut respecter les droits de l’immigrant et faciliter leur intégration de la société française ». A la lecture des réponses, Marcel Chéreil de La Rivière réclame un démenti du prince … qui ne viendra pas. Pour le monarchiste, le prince Alphonse II de Bourbon a franchi le Rubicon de trop. Il fulmine et le fait savoir dans son quotidien comme le rapporte l’écrivain Patrick Louis, auteur d’une Histoire des Royalistes. Marcel Chéreil de La Rivière rejette catégoriquement les analyses du prince Alphonse II. Dès lors, France monarchiste décide de soutenir les droits au trône du prince Sixte-Henri de Bourbon, 36e successible à la couronne mais très proche de Jean-Marie Le Pen. « Marcel Chéreil de la Rivière vient d’inventer une nouvelle loi fondamentale : Pour être légitime, le Roi doit penser comme il faut », résume Patrick Louis à propos de cette scission. Pour la Légitimité, qui s’en agace cette action n’est qu’une manœuvre du FN visant se rallier la mouvance monarchiste qui a le vent en poupe dans les milieux de droite et d’extrême-droite.
Le FN courtise les royalistes
Et ce jusqu’au plus profond de la maison Bourbon. En effet, la presse s’est faite l’écho d’une invitation du Comte de Clermont, Henri d’Orléans, le 17 février 1986 à une réception organisée par le Président du Front national. Une rencontre entre le leader du FN et le dauphin Orléans qui avait fortement irrité son père, le comte de Paris. « Que Jean-Marie Le Pen se les garde ! » (ici les royalistes adhérents au FN ndlr) avait répondu sèchement le second prétendant au trône de France, Henri VI, à un journaliste qui lui posait des questions sur les relations entre son fils et le FN. Un parti qui avait compris le potentiel électoral des royalistes et placé un temps à la tête de sa jeunesse, Jean-Louis Damville, également le correspondant national de France et Royauté. Et chez les partisans de la branche Orléans, le comte de Paris n’est pas le seul à dénoncer cette dérive légitimiste opérée par Marcel Chéreil de La Rivière qui ne brille pas par ses résultats électoraux. Dans son numéro 507, « Royaliste », le bimensuel de la Nouvelle action royaliste (NAR) dénonce de la part de France monarchiste , « des propos qui font froid dans le dos », d’après Patrice Le Rouë.
Une aventure éphémère
L’aventure ne convainc pas les Légitimistes qui vont bientôt entrer en période de deuil alors que la France s’apprête à célébrer le bicentenaire de sa révolution. Ironie tragique de l’histoire, à quelques mois des célébrations du 14 juillet, le prince Alphonse de Bourbon, perd étrangement la vie au cours d’une descente de ski en janvier 1989. Le décès du prince et l’avènement de son fils, Louis de Bourbon, n’émeuvent guère Marcel Chéreil de La Rivière qui n’avait plus de relations avec ceux-ci. Il dénonce autant les commémorations du bicentenaire, « arguant de son caractère viscéralement anticatholique » et dont les descendants sont les « fils de persécuteurs et de régicides (…) » que cette « éconocratie et le libéralisme sauvage imposé par une république », « pourrissante d’immoralité et avorteuse », dans des propos rapportés par Bruno Duboisdenghien dans son mémoire universitaire: Le royalisme dans l'Europe du bicentenaire de la révolution française. Ultime bravade d’un homme qui va bientôt abandonner la politique et finalement son soutien au prince de Bourbon-Parme pour affirmer en guise de testament que « les Français devront se choisir un nouveau prince avant l’an 2000 ». Le mouvement de Marcel Chéreil de La Rivière va péricliter puis disparaître complètement en 1991.
L’historien Patrick Louis, est longuement revenu sur cette parenthèse. Ce proche de la NAR écrit assez justement ce qui reste encore étonnamment d’actualité : « Le cas de France monarchiste illustre une des menaces qui pèsent sur le Légitimisme contemporain. Dans la mesure où celui-ci est composé pour une part importante de « déçus des Orléans », de personnes qui se sont ralliés par hostilité au comte de Paris plus que par réel souci de la Légitimité, il reste à la merci des déclarations du prince. Que celui-ci dise ce qui ne plaît pas et ces Légitimistes de circonstance se détourneront et partiront à la recherche d’un prince qui enfin dira ce qu’ils veulent entendre ». « Mais sont-ils encore royalistes ceux qui veulent un prince à leur convenance ? », nous pose encore comme question Patrick Louis qui dénonçait dans les années 1990, ces royalistes « qui se complaisent à faire du monarchisme à la carte » à tout va.
Marcel Chéreil de La Rivière est décédé en 2007. Sa famille est restée proche du Front National. De ses 8 enfants, 2 garçons et six filles, une d’entre elle épousera Jean-Marie Le Chevallier, futur maire frontiste de Toulon (1995-2001). Pierre Guillaume d’Herbais financier et un temps actionnaire du journal « Minute » (dont la fille Marie d’Herbais de Thun sera la « journaliste de bord » du leader du FN avant de finir par rompre avec Marine Le Pen, amie d’enfance), proche du FN. Enfin encore faut-il compter avec Erik Tegner, fondateur du média Frontière et de la chaîne You Tube « Le Livre noir » a été un proche de Marion Maréchal, députée européenne et nièce de Jean-Marie Le Pen.