Philippe Delorme*, vous êtes historien et journaliste. On vous doit notamment la résolution d’un mystère qui a passionné la France depuis 1795. Celui de la mort de l’enfant du Temple, Louis XVII, fils du roi Louis XVI et de la reine Marie-Antoinette. Le début d’une affaire avec ses multiples rebondissements, ses faux prétendants, le mythe de sa survivance et son « happy-end » en 2004.
Frederic de Natal (FdN) : Avant d’aborder ce fascinant mystère, pouvez-vous nous expliquer pourquoi l’Histoire est jalonnée d’énigmes aussi intrigantes les unes des autres ?
Philippe Delorme (PhD) : Tout d’abord merci. Vous savez, les décès mystérieux sont des phénomènes que l’on retrouve partout dans l’Histoire. Dès lors qu’un personnage célèbre disparaît dans des conditions quelque peu obscures, les rumeurs et les fantasmes se développent. À partir de ce moment, les rumeurs naissent et laissent sous-entendre qu’il ou elle a survécu (e), qu’il ou elle s’est échappé (e). On le retrouve aussi bien au Portugal avec les faux Sébastien qu’en Russie avec les faux Dimitri ou plus récemment aux Etats-Unis autour des Kennedy, les chanteurs Elvis Presley ou Mickael Jackson. La France n’en est donc pas exclue. C’est le cas pour le fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Avant lui, n’oublions pas que nous avons connu de faux rois Jean Ier ou de fausses Jeanne d’Arc. Des énigmes résolues aujourd’hui mais qui peuvent toujours passionner.
FdN : Comment est né le mystère Louis XVII ?
PhD : Au cours du XIXe siècle, principalement sous la Restauration, une petite frange de royalistes, plus ultras que les ultras eux-mêmes, vont se réfugier dans l’idée que Louis XVII n’est pas mort, qu’il va revenir et restaurer un régime « idéal » tel qu’il aurait été avant la Révolution française. Ce sont des nostalgiques qui n’arrivent pas à accepter l’évolution de la société, que Louis XVIII ait octroyé une charte libérale et gouverne de manière constitutionnelle. À cela vont se greffer les ambitions personnelles ou les délires mégalomaniaques de personnages qui, tour à tour, se déclareront Louis XVII. Environ une centaine entre 1795 et 1850, dont certains ont laissé des traces derrière eux.
On peut citer Jean-Marie Hervagault, Mathurin Bruneau, le baron de Richemont - certainement le plus célèbre à son époque - et évidemment Karl-Wilhelm Naundorff qui se déclare tardivement sous le règne de Louis-Philippe Ier. Cet individu va capter l’attention d’anciens courtisans et sur lui se focalisera le mystère qui nous préoccupe. Il ne parle pas un mot de français mais semble doté d’un certain charisme qui va lui permettre de réunir autour de lui des partisans, persuadés qu’il est bien le Louis XVII évadé du Temple. Il va manipuler son entourage avec maestria, reprenant quelques anecdotes de la vie du petit prince à Versailles, glanées ici et là auprès de témoins de cette époque. Ainsi s’épaissit le mystère Louis XVII qui va agiter bien des cercles royalistes durant deux siècles.
FdN : Pourquoi cet intérêt autour de « l’Affaire Louis XVII », à laquelle vous avez consacré divers ouvrages, et qui vous a consacré comme l’un des meilleurs spécialistes de cette énigme ?
PhD : C’était la grande énigme de l'Histoire de France ! J’en ai entendu parler depuis mon enfance. Avant moi, l’historien Alain Decaux, entre autres, en avait fait son cheval de bataille et soutenait le mythe survivantiste. Peu avant le bicentenaire de la mort de Louis XVII, en 1995, j’ai entrepris de parcourir les nombreux méandres de ce mystère dans le but d’explorer les diverses hypothèses émises depuis des décennies. J’ai alors publié un livre « L’affaire Louis XVII » (Ed. Tallandier). Déjà à l’époque, j’ai acquis la quasi-certitude que Louis XVII était bel et bien mort en 1795, sans pouvoir le confirmer. L’étude par l’ADN était à ses balbutiements et j’évoquais en conclusion de mon ouvrage la possibilité de pratiquer un jour des analyses sur le cœur de l’enfant du Temple, « soustrait » lors de son autopsie par le docteur Philippe-Jean Pelletan. A la même époque, cette méthode d’analyse génétique avait permis déjà de résoudre le mystère des Romanov, exécutés en 1918.
FdN : C’est donc une analyse ADN du cœur de Louis XVII qui a permis la résolution de ce mystère ?
PhD : Du moins cette analyse y a apporté le point final, la preuve ultime. En 1999, j’ai pris contact avec le duc de Bauffremont, président du mémorial de France à Saint-Denis, détenteur de la relique, pour obtenir son accord afin d’effectuer des analyses. En 1895, le cœur avait été remis par l’héritier du docteur Pelletan au prince Carlos de Bourbon, prétendant carliste aux trônes de France et d’Espagne. En 1975, les petites-filles de don Carlos l’avaient confié au duc de Bauffremont, pour qu’il le dépose dans la crypte de la basilique de Saint-Denis.
Le duc de Bauffremont, qui nous a quitté il y a peu, s’est montré très intéressé par le projet et c’est ainsi que nous avons pu procéder à cette étude. Des prélèvements ont été analysés par deux laboratoires étrangers, qui ont comparé son ADN mitochondrial à celui des sœurs de la reine Marie-Antoinette et de deux de leurs descendants, Anne et André de Bourbon-Parme. Les résultats de la génétique, complétant l’enquête historique, ont alors confirmé que le cœur de l’enfant du Temple était bien celui de Louis XVII.
FdN : Il n’y a donc aucune possibilité aujourd’hui que ce soit le cœur de son frère aîné décédé en 1789 ?
PhD : En dépit de ce qu’affirment encore les partisans de Naundorff, on est bien en présence du cœur du fils cadet de Louis XVI et non de celui de son frère aîné. L’argument d’une substitution ne tient pas. Certes, l’ADN ne fournit pas une identité mais juste une parenté. Les analyses de 2000 nous apprennent seulement qu’il s’agit du cœur d’un enfant apparenté en ligne féminine à Marie-Antoinette. Pour conclure que c’était bien Louis XVII, une enquête historique était nécessaire. J’en ai publié les tenants et aboutissants dans mon livre, « Louis XVII, la vérité : sa mort au Temple confirmée par la science » (Éditions Pygmalion), démontrant point par point l’identité de ce cœur.
Primo, jamais le cœur de Louis XVII et celui de son frère Louis Joseph n’ont été réunis. Secundo, ils étaient très dissemblables. La conservation des cœurs des princes de France respectait un protocole immuable, consistant à les ouvrir, les remplir d’aromates, les entourer de bandelettes. Si Louis Joseph, mort en 1789, a subi ce procédé, le cœur de Louis XVII a seulement été conservé dans l’alcool comme un banal objet d’anatomie, avant de se pétrifier naturellement, sans aucune trace d’embaumement. Cette certitude nous a permis d’organiser une cérémonie le 8 juin 2004 à Saint-Denis afin que le cœur de Louis XVII repose auprès de ses parents. 5000 personnes y ont assisté. C’était à la fois simple et grandiose.
FdN : En tant qu’historien, quel regard portez-vous sur Louis XVII ?
PhD: Il est le miroir d’une période tourmentée. Ses dix ans de vie sont certainement les années les plus cruciales de l’Histoire de France. Il naît à Versailles en 1785 à un moment où la monarchie reste florissante, et semble indéracinable. Quand il meurt en 1795, la Révolution française est presque terminée, avec bientôt l’avènement du Directoire puis la reprise en main par Napoléon. Il connaît d’abord la vie heureuse d’un jeune prince, quoique enfermé dans le carcan doré de Versailles avec ses parents, avant de vivre une descente aux enfers jusqu’au Temple. Louis XVII a été une victime de la folie des adultes. Pour moi, il reste un symbole de ce que tous les enfants peuvent subir encore aujourd’hui. C’est d’ailleurs ce que mon épouse, la sculptrice Catherine Cairn, a voulu traduire lorsqu’elle a réalisé son buste, installé aujourd’hui au musée des guerres de l’Ouest à Plouharnel.
PhD : Peut-on considérer que sa mort est un crime de la Révolution française ?
FdN : Je suis historien, je me garderais bien de porter un jugement. Je me contente d’examiner les éléments, d’essayer d’établir des vérités factuelles et de les replacer dans le contexte d’une époque. Louis XVII, incarnation de l’enfant innocent, est mort dans des conditions atroces. On l’a gardé en captivité, dans une tour insalubre, soumis à des vexations et des sévices atroces. Un enfant qu’on a d’abord essayé de transformer en petit « sans-culotte », avant de le laisser croupir dans la crasse et la solitude. C’est évidemment un point noir de cette Révolution française qui, à l’instar de Saturne, a fini par dévorer sa propre progéniture. Je laisse donc à chacun de répondre à votre question.
FdN : Les Naundorff restent une famille divisée avec des partisans, surnommés les survivantistes ou naundorffistes. Ils ont deux prétendants au trône de France. Que pouvez-vous nous dire à leur sujet ?
PhD: C’est une famille qui garde des partisans, extrêmement peu nombreux. Au cours du XIXe et du XXe siècle, ils se sont exprimés par le biais d’associations et de journaux, toujours groupusculaires. Ils y développent un traditionalisme catholique assez caricatural, aux relents de prophétisme. Beaucoup d’entre eux attendent le retour du « Roi caché ». Pour ce qui est des Naundorff, il existe deux lignes rivales. L’un des prétendants vit à Toronto et l’autre en France. Ce dernier, Hugues de Bourbon, ne prétend d’ailleurs plus à rien depuis quelques années Je l’ai rencontré, il est libraire à Tours, expert en livres anciens, et n’a d’ailleurs pas d’héritier mâle. Quant à son cousin canadien, c’est un très vieux monsieur qui ne parle presque pas français…
FdN : En 2014, le professeur Gérard Lucotte publie une nouvelle analyse ADN affirmant qu’Hugues de Bourbon serait bien le descendant de Louis XVI. Or vous réfutez cette thèse. Pourquoi ?
PhD: Le docteur Gérard Lucotte - qui n’est d’ailleurs pas « professeur » - a été il y a fort longtemps, un précurseur dans le domaine de la génétique humaine. Hélas, il s’est depuis lors fourvoyé. Il est marginalisé par le monde universitaire qui ne reconnaît plus ses travaux. Ainsi, le professeur Jean-Jacques Cassiman, de l’université de Louvain, qui a fait les études sur le cœur de Louis XVII et isolé le chromosome Y des Bourbons, a magistralement démonté les prétendues conclusions de Lucotte.
Ce qui est intéressant de rappeler, c’est que Charles-Louis de Bourbon-Naundorff, le prétendant canadien, avait financé en 2004 une nouvelle étude, nécessitant l’exhumation du squelette de son ancêtre de sa tombe de Delft en Hollande. Les résultats, concluants, n’ont pas dû lui plaire puisqu’il en a interdit la publication ! Je profite de cette interview pour lui demander instamment de lever ce veto !
Quant aux « analyses » de Lucotte, elles ne montrent que quelques vagues corrélations entre Hugues de Bourbon-Naundorff et les Bourbons authentiques. Si faibles que, si l’on suivait ses conclusions, n’importe qui pourrait passer, même vous ou moi, pour un descendant direct des rois de France ! Mais Gérard Lucotte, très fantasque, s’est fait une spécialité de ce genre conclusions hâtives voire cocasses. N’a-t-il pas soutenu que Jésus Christ avait des morpions et qu’il fumait de l’opium ? À partir de là, comment croire à la validité de ses allégations sur le cas Louis XVII ?
FdN : Pourquoi les descendants de Karl-Wilhelm Naundorff portent-ils le nom de Bourbon si celui-ci n’a jamais été Louis XVII ?
PhD : Lorsque Karl-Wilhelm est mort aux Pays-Bas en 1845, ses partisans ont fait enregistrer son décès sous le nom de « Charles-Louis de Bourbon, né à Versailles, fils de Louis XVI et Marie-Antoinette ». Cela s’explique car, à l’époque, l’état-civil était seulement déclaratif, et l’on n'exigeait aucune preuve d’identité, se contentant de la bonne foi des témoins. Fort de cet acte officiel, ses descendants vont garder ce nom de « Bourbon » et créer une sorte de dynastie parallèle.
FdN : Le « survivantisme » connaît un regain d’activité ces dernières années alors qu’il s’était réduit comme peau de chagrin après la résolution du mystère Louis XVII. Comment expliquez-vous ce soudain renouveau autour de cette faction minoritaire du monarchisme français.
PhD : Tout est relatif. C’est même très excessif de parler de renouveau ! Le survivantisme aujourd’hui comme hier n’est qu’un microcosme dans le microcosme royaliste. Cela ne concerne que quelques personnes, soit nostalgiques d’une monarchie fantasmée, caricature de l’Ancien régime, soit en mal de reconnaissance et friandes de titres nobiliaires totalement inventés. Tout cela constitue un petit monde extrêmement réduit. Si l’on devait parler de regain aujourd’hui, c’est plutôt au niveau de l’idée royale, d’un intérêt pour l’Histoire de France, s’inscrivant dans le cadre d’une certaine crise institutionnelle. Le seul prince qui me semble crédible, et légitime aux yeux de la majorité des monarchistes, est l’actuel comte de Paris, le prince Jean d’Orléans, chef de la Maison royale de France, lequel d’ailleurs s’efforce d’être davantage présent dans les médias.
FdN : Émettons l’hypothèse que les Naundorff soient vraiment les descendants de Louis XVII, seraient-ils vraiment dynastes au regard des lois de succession ?
PhD : Hypothèse totalement gratuite, mais on peut s’amuser ! Au regard des lois strictes successorales de France - telles qu’eux-mêmes les défendent -, la réponse serait négative. Naundorff lui-même était d’abord luthérien avant de se convertir au catholicisme, puis de créer sa propre religion dont il s’est proclamé prophète ! Le pape l’a d’ailleurs clairement excommunié. Parmi ses descendants, on note plusieurs protestants, des enfants nés hors mariage et adultérins, sans doute des filiations illégitimes. Bref, aucun des Naundorff - même s’ils étaient ce qu’ils ne sont pas - ne serait apte à s’asseoir sur le trône de Saint Louis !
FdN : De nombreux livres sont parus sur ce mystère. Intitulé, « Louis XVII a survécu à la prison Temple. La preuve par analyse », un nouveau livre écrit par Charles-Louis de Bourbon-Naundorff, le fameux prétendant canadien, devrait paraître sous peu. Quel est votre avis sur ce énième livre traitant de cette affaire ?
PhD : Je n’ai aucun avis ! (rires). D’ailleurs je doute qu’il en soit l’auteur. Depuis quelque temps, le prétendant canadien est flanqué d’un « chancelier » très virulent sur les réseaux sociaux. Pour ma part, le travail que j’ai effectué sur ce sujet relève de la science historique. Il se suffit à lui-même en apportant les documents et preuves qui mettent un terme définitif au « mystère Louis XVII ». Malheureusement, il n'est pire sourd celui qui ne veut pas entendre. Je ne souhaite pas passer ma vie à me battre contre des moulins à vent !
Philippe Delorme, merci pour cette interview
Copyright@Frederic de Natal
*Philippe Delorme, ancien journaliste des magazines Point de vue et Dynastie est l'auteur de nombreux ouvrages sur cette énigme dont «Louis XVII la Biographie», paru aux éditions Via Romana, 2016. Il a été de 2009 à 2015, le responsable éditorial du trimestriel Point de vue - Histoire. Depuis mars 2016, il publie une chronique historique dans l'hebdomadaire Valeurs Actuelles.