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Le comte de Paris et le complot d’Alger
Alger, veille de Noël 1942. L’amiral François Darlan, représentant la France du maréchal Philippe Pétain, revient de l’hôpital où est alité son fils pour rejoindre le Palais d’Eté. Il a quelques documents à signer avant de repartir vers sa résidence. C’est le milieu de l’après-midi, la capitale de l’Algérie française bruisse de rumeurs en tout genre depuis plusieurs mois. Alors que sa voiture s’avance vers les escaliers principaux, les deux battants de son cabinet s’ouvrent. Debout à son bureau, il s’apprête à partir mais s’attarde et discute avec le capitaine de frégate Hourcade, un membre de son cabinet. Soudain, trois coups de feu retentissent. L’amiral François Darlan s’écroule sur son bureau avant de s’affaisser sur le sol, touché en dessous de l’omoplate. Il n’a plus que quelques heures à vivre. Retour sur un chapitre méconnu de l’histoire de France : le comte de Paris et le complot d’Alger.
Immédiatement après l’attentat, son jeune auteur a été ceinturé et emmené dans les locaux de la police judiciaire. Il s’appelle Fernand Bonnier de la Chapelle, c’est un monarchiste de vingt ans et devant les gendarmes incrédules, il affirme avoir agi seul. C’est ici que tout commence. Interrogé par le commissaire Garidacci, le chef de la 4e Brigade mobile nommé pour mener l’enquête, Bonnier de la Chapelle affirme avoir appuyé sur la détente de son pistolet par patriotisme. Darlan était le dauphin du héros de Verdun qui avait sombré dans la collaboration avec l’Allemagne nazie, deux ans auparavant. Fernand Bonnier de la Chapelle a le regard droit qui cache une certaine peur. Peu avant son exfiltration du Palais d’Eté, il avait été questionné par le commissaire Esquerré qui avait jugé qu’il n’était qu’un de ces « gamins illuminés » qui ne tarderait pas avouer le fin mot de cette histoire.
Il avait raison. Dans la nuit du 25 décembre, le commissaire Garidacci rédige le procès-verbal des aveux de l’étudiant. « J’affirme avoir tué l’amiral Darlan, haut-commissaire en Afrique française, après en avoir référé à l’abbé Cordier, sous forme de confession. C’est M. Cordier qui m’a remis le plan des bureaux du Haut-commissariat et du cabinet de l’amiral, et c’est par lui que j’ai pu me procurer le pistolet, les cartouches qui m’ont servi à exécuter la mission qui m’a été assignée et qui était de faire disparaitre l’amiral ». Et d’évoquer ses liens avec M. d’Astier de la Vigerie avant de signer le document que lui tend le commissaire qui lui a promis, qu’en échange des détails du complot, il ne serait pas traîné devant un tribunal militaire. Pour les autorités de Vichy, il ne fait nul doute que la Résistance a organisé le meurtre de l’amiral Darlan. Mais qui en sont réellement les auteurs ? Les partisans du général Charles de Gaulle qui prétend incarner la France libre depuis Londres où il s’est réfugié ? Les Américains et les Anglais qui soutiennent le général Henri Giraud et qui ont débarqué un mois auparavant sur les plages algéroises ? Henri d’Orléans, le comte de Paris qui espère retrouver le trône dont son ancêtre Louis-Philippe Ier a été spolié par une révolution en 1848 ? Tant d’acteurs au sein d’une nébuleuse que Vichy va devoir détricoter afin d’identifier les véritables responsables de ce qui va être un de ces épisodes marquants de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale.
Lorsque la mobilisation générale est décrétée en septembre 1939, Henri d’Orléans est un prince exilé. Sa famille a été exilée en 1886 après que la République a craint un soulèvement royaliste lors des fiançailles de la princesse Amélie d’Orléans et le prince dom Carlos du Portugal à Paris. Ou peut-être vexé de ne pas avoir été invité, la majorité parlementaire avait décidé du destin des maisons ayant régné sur la France. Le descendant de Philippe d’Orléans, le frère de Louis XIV, est un dauphin qui meurt d’envie de servir son pays. Il a 31 ans. Mais pas plus le gouvernement du président Albert Lebrun que le gouvernement du roi Georges VI n’acceptent ses demandes d’incorporation à l’armée française ou britannique. Toutefois, il a été discrètement approché par le gouvernement français qui lui confié la tâche de sonder la position des pays voisins, des monarchies, alors que l’Europe sombre doucement un conflit armé mondial. Le rapport qu’il remettra aux représentants français sera en accord avec ceux de toutes les ambassades du monde. Chaque pays s’arme pour une longue guerre et se positionne de part et d’autre des pays acquis ou opposés au national-socialisme du chancelier Adolf Hitler.
Lors de la débâcle des forces françaises en juin 1940, le comte de Paris sollicite de nouveau le gouvernement français afin de pourvoir s’engager sous les couleurs tricolores. Cette fois–ci, mourante, la république défunte accepte et Robert Orliac (tel qu’il sera connu) entre dans la Légion étrangère rejoignant le camp de Sathonay (vers Lyon), le 2 juin. Bien qu’on lui ait interdit de dévoiler son identité, il sera reconnu à plusieurs reprises. Le prince est loin d’être un inconnu. L’appel du Général Charles de Gaulle le 18 juin, Henri d’Orléans n’y a pas prêté attention. Pas plus que la majorité de la population française qui ne l’entendra pas. D’ailleurs, le fils de Jean d’Orléans, duc de Guise, alors prétendant au trône, raille volontiers les discours radiophoniques de celui que le premier ministre Winston Churchill a surnommé « la Jeanne d’Arc ». Et comme ses « sujets », le cœur du dauphin s’oriente vers le maréchal Pétain qui vient de signer l’armistice. Un homme « qui n’a pas quitté le navire en détresse » et dont l’arrivée au pouvoir sera vue comme « une divine surprise » par Charles Maurras, chantre du mouvement monarchiste Action française. Le régime de Vichy vient d’être mis en place, il va bientôt signer à Montoire l’acte qui plongera la France dans la collaboration au régime nazi. La France !? Le prince affirme l’incarner. Un soutien au vieux maréchal de 84 ans, certes mais en filigrane. Il pense déjà à lui succéder. Mais pour l’heure, le comte de Paris encore sous les drapeaux entend diriger un embryon de résistance qui se monte en Provence. Il sonde même le général Maxime Weygand, ministre de la Défense, qui passe pour être proche des milieux monarchistes et qui bien que pétainiste est aussi foncièrement antiallemand. Weygand lui oppose une fin de non-recevoir et lui rappelle qu’il fera appliquer la loi d’exil, une foi qu’il sera démobilisé. Le décès soudain du duc de Guise en août 1940 le contraint à renoncer à ses projets et le prince décide de repartir au Maroc espagnol. Pour l’anecdote, le comte de Paris racontera que lorsqu’il était parti solliciter une place d’avion pour le Maroc à la préfecture de Marseille, il avait été alors introduit dans le cabinet du préfet. Un homme sortant à reculons, pensant avoir affaire à un de ses admirateurs, lui serra chaleureusement la main. Henri d’Orléans venait de rencontrer par coïncidence l’acteur français de cinéma connu sous le nom de Fernandel.
Mers-el-Kébir, 3 juillet 1940. Le comte de Paris, Henri VI pour ses partisans, apprend la trahison des britanniques qui ont ouvert le feu sur la flotte française stationnée en Algérie française. Craignant que celle-ci ne tombe aux mains des Allemands, Londres avait ordonné le bombardement de ses alliés. Un cynisme qui irrita le prétendant au trône et qui fait part publiquement de son ressenti : « Vichy n’a pas encore étalé son jeu. À quoi bon lui chercher si tôt querelle » écrit Henri d’Orléans. Une position ambiguë qui divise les royalistes français mais qui renforce les convictions du prince qui se voit comme cette alternative à Vichy. L’Algérie française est avant tout une œuvre de Charles X et de son gouvernement ultra-royaliste. La conquête des côtes barbaresques a été effectuée sous un prétexte fallacieux et sous la volonté avouée de redorer le blason d’une monarchie critiquée et qui va finalement tomber en août 1830, victime d’une révolution. La branche des Orléans, qui a succédé à Charles X sur le trône, finira le travail avec un duc d’Aumale qui s’empare de la smala de l’émir Abdel Kader (1843). À Alger, on est monarchiste et on ne le cache pas. L’Union nationale et sociale d’Algérie (UNSA), ex-Action française, est influente. Dirigée par le maire de Coléa, François Gabet, on compte par exemple dans la seule fédération de Constantine plus de 800 membres. On retrouve des monarchistes dans tout l’appareil d’État du pays comme le chef de cabinet du préfet d’Alger qui va se distinguer en 1938 avec un essai intitulé Vocation monarchique de la France. Des officiers militaires présents dans la capitale française d’Algérie ne prennent même pas la peine de cacher leurs sympathies monarchistes au cours de « popotes » comme celle devenue célèbre de l’hôtel Aletti. Les départements français d’Algérie française vont devenir très rapidement le lieu de tous les complots et les opportunismes politiques.
Mais pour l’heure, le comte de Paris va jouer la carte de Vichy. Il entend être une possible troisième voie entre le vieux maréchal et l’ambitieux général de Gaulle. En juillet 1941, il écrit un « message aux monarchistes français » leur demandant de soutenir ouvertement le maréchal Pétain et dont certains passages concernant les « chantiers de la jeunesse » ressemblent à s’y méprendre à un appel à reconnaître les bienfaits de la Révolution nationale. Au sein du gouvernement de Vichy, qui s’inspire largement des préceptes de l’Action française de Charles Maurras à bien des points de vue, il bénéficie d’un soutien de poids qui fait du lobby auprès du maréchal Pétain. Raphaël Alibert (1887-1967), ministre de la Justice à Vichy, mène campagne pour le prétendant auprès du maréchal Pétain. Ce catholique convaincu est l’ancien précepteur du comte de Paris pour les questions de droit et l’économie politique. Deux mois plus tard, le comte de Paris écrit au maréchal, lui renouvelle son soutien à sa politique et lui fait part de ses « espérances politiques compatibles avec les siennes ». Par égard à son statut, Philippe Pétain lui fait parvenir une réponse via l’amiral Darlan, alors vice-président du Conseil des ministres depuis février 1941.
Darlan est le fils d’un député républicain. Il est agnostique, proche des milieux radicaux-socialistes. C’est un patriote laïc mais pas hostile aux milieux catholiques pour autant. À l’armistice, on lui doit l’évasion de mille tonnes d’or mises en sécurité dans la colonie du Sénégal. Il tente de continuer la lutte puis se ravise. Il n’a jamais réellement navigué, son titre « d’amiral de la Flotte » a été taillé sur mesure pour lui après une brillante carrière d’officier à terre qui va le porter vers la collaboration intégrale après une entrevue avec le chancelier Hitler. Le comte de Paris, il n’en a cure. D’ailleurs, il lui oppose un refus poli. Il n’y a qu’un seul dauphin et il le fait savoir au prétendant au trône. Henri d’Orléans accuse le coup mais reste persuadé que le maréchal Pétain entrevoit une voie plus royale pour la France à la fin des hostilités. Vichy certes, mais le prétendant au trône n’en oublie pas les Alliés et les nazis pour autant. Au cours du printemps 1941, il a acheté une villa à Rabat en toute discrétion afin d’être au plus près de l’Algérie française. (1876-1971) est alors commandant en chef des troupes françaises en Afrique du Nord. Nommé par le président du Conseil, Léon Blum, en 1936, il est aussi le gendre de l’ancien ministre des Affaires étrangères (1898-1905), Théophile Delcassé. Bien qu’il soit un partisan de la continuation de la lutte contre les Allemands, il se résigne à accepter l’armistice de juin 1940. Les Américains déçus par Pétain ont d’abord misé sur cet homme qui a fait sa carrière militaire dans le Rif marocain. Il est réputé proche du général Hubert Lyautey, un monarchiste qui éprouve une certaine adoration à la limite fétichiste envers le comte de Chambord et qui fut résident général du protectorat entre 1912 et 1916. Lyautey entretiendra des liens étroits avec la famille d’Orléans au Maroc tout en maintenant son ambiguïté face au régime républicain qu’il servira fidèlement. Noguès n’ignore pas les contacts entre son mentor et les Orléans mais adhère-t-il pour autant ? L’homme finit par choisir le légalisme et condamner le général Charles de Gaulle pour son appel à la désobéissance civile mais ne veut pas soutenir cet Orléans dont les activités politiques l’agacent.
Les clauses de l’armistice signé entre la France et l’Allemagne préservent autant la flotte française, cette « Royale », que l’empire de la République française. Des soldats allemands ou des italiens, l’Algérie française n’en entendra pas le bruit des bottes qui ont déferlé sur l’Europe. Fin décembre 1940, Robert Murphy (1894-1978) a débarqué à Alger. C’est l’agent américain du président Franklin Delano Roosevelt. Il a très vite compris tout le potentiel de cette partie de l’Afrique et pense que le nouveau délégué général du gouvernement en Afrique française, le général Maxime Weygand semble être l’homme de la situation. Cet anglophobe assumé, qui a été l’artisan de l’échec de l’union franco-britannique au moment de la défaite, entend pourtant appliquer les règles imposées par l’armistice. Il refuse toute résistance depuis les colonies et va s’employer à briser toute dissidence gaulliste sur le continent africain. « C’est un ramassis de nègres sur lesquels vous n’aurez plus de pouvoir dès que vous serez battu » déclare-t-il à un député nationaliste qui lui propose de soulever les colonies. Il a adhéré à la Révolution nationale mais déteste les Allemands. Tout est dans la contradiction d’un officier à la naissance entourée d’un mystère. Et c’est justement cela avec lequel veulent jouer les services secrets américains. Vichy reste pour les Américains le gouvernement légal et entre deux livraisons de nourriture, un réseau d’agents venus des États-Unis se met en place et quadrille toute la capitale. Le complot d’Alger s’organise avec chacun des protagonistes cités. D’autres sont à venir.
Le comte de Paris prend contact avec Londres tout en snobant la « Jeanne d’Arc » via le consulat britannique à Tanger. Il n’a pas tort, le vent lui est favorable. Il sait que le Foreign Office entretient des rapports désastreux avec le général Charles de Gaulle et pense que la solution monarchique est une option viable qui permettrait une réconciliation entre les forces d’Afrique et les gaullistes. Parmi les Anglais les plus favorables à cette solution se trouve Sir Alexander Cadogan, sous-secrétaire permanent du Foreign office qui écrit au Premier ministre : « L’essentielle ligne politique du Foreign office doit être, dans plusieurs pays, d’y favoriser une évolution vers la monarchie ». Un ancien officier de la Marine marchande française, Mittelmann, est alors chargé par le Foreign Office de présenter les perspectives d’une restauration de la monarchie en France. C’est aussi un agent de l’Intelligence service basé à Gibraltar qui va rencontrer le comte de Paris. D’ailleurs, c’est une solution à laquelle lui-même souscrit dans un rapport qui sera adressé le 30 décembre 1940 à Lord Cranborne : « La seule voie de salut est une restauration monarchique accomplie sur le territoire nord-africain tant que celui-ci est encore français ». Et de dénoncer le « bolchévisme latent du général de Gaulle ». Quant à ce dernier, le Foreign Office envisage même l’hypothèse que la voix de la France Libre se rallie à cette idée, voire se « soumette au prétendant ». Dès lors que ce dernier se sépare du soutien qu’il semble donner à Vichy. Car là est le problème pour le gouvernement britannique. Des rapports affirment à raison que le comte de Paris chercherait en parallèle un rôle de premier plan avec le régime du maréchal Pétain.
Et cette conclusion, le Foreign Office n’est pas le seul à la tirer. Maxime de Roquemaure, un spécialiste des questions musulmanes qui pense un temps rallier le général de Gaulle avant de s’apercevoir que sa légitimité repose sur peu de bases solides, la solution monarchique est celle qui semble la plus consensuelle. D’ailleurs, dans la Marine nationale, la plupart des officiers sont monarchistes comme un certain nombre dans l’armée de terre et il suffirait de peu pour qu’ils soutiennent un putsch en ce sens. Le 19 juillet 1941, il avait écrit au comte de Paris afin de lui faire part de son projet et qui en retour lui avait donné son accord pour l’organisation d’un « coup d’État », « une question d’opportunité à saisir » selon Henri d’Orléans dans sa réponse. Une rumeur agite rapidement les milieux en tout genre, enfle. Bien que totalement infondée, elle affirme que le Général de Gaulle est finalement prêt à reconnaitre le comte de Paris si celui-ci condamne officiellement le régime de Vichy depuis l’Afrique du Nord… que l’on sait pourtant très maréchaliste. Le 2 juin 1941, de Gaulle se croit obligé d’envoyer même un télégramme à René Pleven, alors directeur des affaires économiques extérieures, pour démentir le « sacre du comte de Paris en Afrique du Nord ». De Roquemaure devient dès lors un nouvel artisan du complot et prend contact avec le diplomate Robert Murphy et lui expose son plan : Weygand (Vichy), de Gaulle (France Libre), le comte de Paris (la monarchie), le triplé gagnant selon lui à soutenir pour donner toute la légitimité au prétendant à la couronne qui monterait sur un trône sous le signe de la réconciliation nationale.
Une nouvelle fois, le 12 septembre 1941, Henri d’Orléans écrit à Darlan et le sonde sur l’idée d’une restauration de la monarchie après le départ du maréchal Pétain au vu de son grand âge. L’amiral reste évasif sur la question mais s’enquiert des soutiens monarchistes qui gravitent autour du prétendant au trône. La question n’agite guère Vichy alors plus préoccupé de se dégager de l’Allemagne via les États-Unis. C’est dans ce contexte que secrètement le 27 décembre 1941, Roosevelt écrit à Pétain afin de lui assurer que la France garderait son intégrité nationale à la fin de la guerre tout en précisant qu’elle n’entendait pas laisser les territoires de l’Afrique du Nord entrer dans le giron de l’occupant. Les événements s’enchaînent rapidement, imprévisibles. C’est sur demande expresse des Allemands (qui décidemment ne l’apprécient pas, lui reprochant de ne pas mettre en application leurs décrets) que Maxime Weygand est finalement limogé de son poste et rappelé en France (novembre 1941). Pire, Murphy qui est allé voir le comte de Paris à Larache revient avec une nouvelle qui ruine les espoirs de Roquemaure. La duchesse Isabelle de Guise a persuadé son fils de ne pas tenter cette aventure qu’elle juge trop risquée. Et l’avenir va lui donner raison. Maxime de Roquemaure est arrêté le 29 décembre 1941 par le lieutenant-colonel Niel, chef du Service de renseignements français. Dans les papiers de son bureau, le double d’une lettre adressée au comte de Paris datée du 19 août. Le complot est éventé et il ne sera libéré (avec sa femme) que peu après l’opération Torch.
L’idée de restauration de la monarchie n’est pas abandonnée pour autant. En décembre 1941, par l’entremise du Père Théry, fondateur de l’Institut Saint-Gabriel qui devait accueillir trois des filles du prince, les réseaux de résistance d’Alger et Oran prennent contact avec le prétendant. À la veille du débarquement des Alliés en Algérie française, la deuxième phase du complot se met progressivement en place. Que compte faire alors le prétendant au trône ? La découverte de cette lettre le gène. Il tente d’effacer cette trace sur son curriculum vitae de dauphin en devenir de Vichy. Parallèlement, les États-Unis qui suivent aussi les affaires du comte de Paris, reçoivent un dossier de J. Rives Child, chargé d’affaires à Tanger avec la mention confidentiel et rends compte des intentions d’Henri d’Orléans à vouloir se faire reconnaître par Vichy et de ses inquiétudes d’une possibilité par les Allemands d’imposer le prince Louis Napoléon sur un trône (celle-ci échouera d’ailleurs). Joue-t-il un double jeu ? Les multiples cartes abattues par le comte de Paris lors de ce conflit mondial n’ont jamais permis véritablement de répondre à cette question. Quoiqu’il en soit, le 12 février 1942, le consul allemand basé à Casablanca passe la soirée avec le comte de Paris dans sa résidence de Larache. Henri d’Orléans, le prie alors de remettre à la Wilhelmstraß, l’équivalent du Quai d’Orsay, une lettre où il mentionne « sa volonté de collaboration en vue de mettre fin à la guerre et de procéder à la reconstruction de l’Europe ».
Il n’hésite pas à évoquer avec le consul la restauration de la monarchie, critique ouvertement les réformes sociales de Vichy et affirme son dégoût des Anglais devant le diplomate visiblement conquis. Le consul général Auer envoie alors un télégramme en six points au ministère des Affaires étrangères à Berlin, qui est toujours conservé actuellement dans les archives allemandes. Le 19 février 1942, suite à son entretien à Larache, il écrit que le comte de Paris se proposait « le moment venu d’offrir au Führer, par sa personne et par l’histoire de sa maison qui le liait au peuple français, les garanties pour l’avenir dont l’Allemagne, elle aussi, avait besoin d’un peuple voisin de 40 millions d’habitants pour établir en Europe un ordre nouveau ». Dans le point trois, Auer rappelle que le comte de Paris ne cherche pas le soutien de l’Action française « qu’il a désavoué » (le mouvement monarchiste était foncièrement antinazi) mais rappelle au Reich « qu’il compte d’innombrables partisans, tous conscients du grand passé de la France et qui cherchent dans une royauté rétablie leur rétablissement national et moral ». Le 3 mars, Berlin câble enfin sa réponse à Auer et lui fait savoir que pour l’instant, le ministère ne donnerait pas de suites à la proposition du prétendant au trône (en mai 1982, le comte de Paris condamnera les accusations de collaboration dont il fit l’objet à la suite de la parution de la reproduction dudit courrier adressé au ministère des Affaires étrangères du Reich dans le journal Le Figaro. Il peinera à donner des explications claires sur le sujet, démentant ce rapport qui se basait sur des interprétations de sa conversation avec le consul.
Difficile de dire si le régime de Vichy a été courant de cette entrevue mais le comte de Paris n’abandonne pas pour autant alors que vient tout juste de débarquer Alain Darlan, que son père a mandaté pour être son relais avec Robert Murphy. Cette affaire est prise au sérieux par les Américains et les Anglais dont les consuls ou agents n’hésitent pas à venir voir le prétendant au trône « pour lui tirer les vers du nez » dira-t-il à l’historien Philippe Delorme à l’occasion d’entretiens parus post-mortem en 2006. Henri d’Orléans tente d’influer sur Pétain pour qu’il se retire. Il arrive par avion à Clermont-Ferrand entre le 6 et 8 août 1942. « Je voulais savoir ce qu’il [le Maréchal Pétain, N.D.L.R.] avait dans le ventre ; je n’avais rien à proposer » se défendra plus tard Henri d’Orléans lorsqu’on lui évoquera cette rencontre mais qui reconnaîtra que de nombreux monarchistes, comme le docteur Ménétrel, Raphaël Allibert, du Moulin de Labathète ou René Gillouin gravitaient autour du chef de l’État. Les rumeurs d’une restauration de la monarchie commencent à parcourir les rues de la capitale de l’État français. Le comte de Paris précisera en avoir fait la remarque au vieil officier, qu’il rencontre au château de Charmeil, ajoutant : « Voyez, je prépare l’avenir ». Henri d’Orléans lui parle d’une alliance entre « les deux France-Londonienne et vichyste ». Pétain semble encore croire que la victoire totale des Allemands est inéluctable, il ne veut pas entendre parler de de Gaulle et refuse de croire à ces informations qui lui arrivent sur un prétendu débarquement des Alliés sur les côtes nord-africaines. Dépité par son rendez-vous, sur l’insistance de Pétain, il rencontre Pierre Laval dans un restaurant de Riom. Le président du Conseil lui propose de prendre la tête du ministre du Ravitaillement, il s’en offusque. Quelques soutiens tentent bien de faire apparaître le prince comme une alternative auprès de Pétain mais en vain. Ainsi approché, l’ancien militant de l’Action française et désormais chef de la Milice, Joseph Darnand, refusera les avances qui lui sont faites de soutenir le prince. La dernière démarche du comte de Paris le conduira à Rome où il est reçu par Pie XII à qui il annonce ses intentions et « sa volonté de reconquérir le trône de ses ancêtres, au besoin par la force ». Tout à son excitation, le comte de Paris ne l’ignore pas. Les Alliés ne vont pas tarder à débarquer en Algérie française. Une ultime carte à jouer dans lequel il va être au centre d’un vaste complot aussi complexe que nébuleux.
Le consul Auer n’avait pas été le seul dignitaire que le comte de Paris avait rencontré. En Italie peu avant son entrevue avec le Pape, il avait sollicité une entrevue avec le prince von Bismarck, ambassadeur nazi à Rome et petit-fils du chancelier éponyme. Ce dernier lui avait aussi proposé de rencontrer des hauts-dignitaires du Reich mais aucune suite n’avait été également donnée à cette proposition. Au cours de l’été 1942, le comte de Paris entre alors en contact avec un groupe de résistance nommé le « groupe des Cinq ». On y trouve le diplomate Jacques Tarbé de Saint-Hardouin (1899-1956, adjoint de Weygand), le commandant cagoulard des chantiers de jeunesse en Afrique du nord et colonel Alphonse Van Hecke (1891-1980, grand-père de l’acteur Thibault Vaneck qui joue dans la série Plus belle la vie), le militant royaliste ami de Pierre Laval et directeur général des huiles Lesieur, Jacques Lemaigre-Dubreuil (1894-1955 dit « Crusoé », assassiné mystérieusement) flanqué de deux royalistes, son adjoint le journaliste et directeur du quotidien de droite, Le Jour-Écho de Paris, Jean Rigault (en dépit de l’opposition de Van Hecke qui le décrit comme un escroc opiomane trop porté sur les amours masculins), et le lieutenant (maurassien) Henri d’Astier de la Vigerie qui après sa démobilisation en 1940 avait rejoint Alger. C’est à ce moment que ce dernier va rencontrer Henri d’Orléans et qui l’informe qu’il a noué des contacts avec les anglo-saxons. L’entrevue a été réalisée par Alfred Pose, véritable agent de liaison à Alger du comte de Paris. Les convictions monarchistes de ce directeur pour l’Afrique, de la banque nationale du commerce et de l’industrie ne sont plus à démontrer. Il a la république en dégoût, c’est un ami de Robert Murphy et de Lemaigre-Dubreuil et pour Pose, le comte de Paris est clairement l’homme de la situation.
Enfin, il y a l’abbé Pierre-Marie Cordier qui est un second point de liaison du groupe. C’est un personnage mystérieux, surveillé par la police algéroise. Des rapports émanant de celle-ci font état de pratiques peu catholiques de la part du prélat. On lui attribue quelques pendaisons nocturnes qui lui vaudront le sobriquet ou le nom de code de « cravate » au sein de la Résistance. C’est un fidèle du comte de Paris. Tout ce petit monde va mettre en place chacun des rouages du complot le plus célèbre, organisé par la résistance en Afrique du Nord et qui par sa composition est clairement d’obédience monarchiste. La solution pour associer la légitimité du comte de Paris dans cette opération ? La Loi Tréveneuc qui avait été promulguée en 1875 et qui stipulait qu’en cas d’occupation d’une partie du territoire national, les conseils généraux des départements restés libres pouvaient former un gouvernement. C’est Paul Saurin, président du Conseil général d’Oran qui en avait eu l’idée – rappelle le comte de Paris dans ses mémoires – et qui recueillit l’adhésion de Robert Murphy.
Durant la nuit du 21 au 22 octobre 1942, à Cherchell les envoyés américains (soit l’adjoint du général Eisenhower, le général Mark Wayne Clark ou encore le consul Robert Murphy) rencontrent Henri d’Astier de la Vigerie accompagné lui-même de quelques officiers militaires français. Le nom de De Gaulle est clairement écarté sur demande de Roosevelt qui voit en lui un « futur dictateur ». Les Américains restent persuadés que sa présence à Alger provoquera des émeutes et qu’il ne fait pas l’unanimité. Les actions décidées prévoient la rupture de toutes communications, l’arrestation des principaux chefs vichyssistes et l’occupation des états-majors. Et Giraud comme principal commandant en chef civil et militaire de l’Afrique du Nord. Mais qui est Henri Giraud ? Né dans une famille bourgeoise à la sensibilité monarchique et patriotique, il avait été destiné très tôt à l’armée. Doté d’un sens profondément religieux, il avait élevé dans le devoir de venger la défaite de la France en 1870. Mais le peu d’intérêt qu’il portait aux différents sujets culturels de son époque était aussi son principal handicap. Il déteste la politique mais on le dit proche de « La Gagoule », cette organisation dont les membres étaient issus d’une scission de l’Action française et qui se caractérisa par des attentats dans les années 1930. Il est le nouveau « chouchou » des Américains qui pensent le manipuler aisément. Pour le général Giraud, la solution serait d’unifier la résistance (chez qui il est populaire depuis son évasion retentissante en avril 1942 de la prison de Königstein) au maréchal Pétain dont il croit l’action entravée par la pression exercée par les nazis. Il a l’appui des royalistes et Henri d’Astier de la Vigerie (1897-1952), flanqué de ses deux frères Emmanuel (1900-1969, ex-d’Action française qui deviendra un compagnon de route du parti communiste par la suite) et François (1886-1956,) font office de relais entre cette résistance, Giraud et les américains. C’est d’ailleurs sur ces royalistes que va reposer le succès de l’opération Torch. Dans la nuit du 7 au 8 novembre 1942, de la Vigerie fait déployer 400 civils dirigés par des officiers de réserve et fait arrêter les principaux officiers trop fidèles à la collaboration. Deux jours auparavant, l’amiral Darlan est arrivé à la hâte dans la capitale nord-africaine au prétexte de venir voir son fils malade. Il est embastillé avec le général (futur maréchal) Alphonse Juin (1888-1967) qui avait succédé à Charles Noguès (muté au Maroc et qui accueille les Alliés à coup de canons). Pour ce dernier, c’est l’humiliation. Ceux qui sont venus le mettre aux fers sont encore au Lycée, commandés par un aspirant de réserve.
Giraud a manqué le coche. Il est resté à Gibraltar alors que les Alliés investissent dans les jours qui suivent toute l’Afrique du Nord. Darlan va se retrouver subitement propulsé à la tête de l’Algérie française par les Américains qui le sortent de sa prison. Il manque un chef de haut rang à ce débarquement, ce sera le dauphin de Pétain qui se va se réfugier derrière la rupture de l’armistice et l’invasion de la zone sud par l’Allemagne (27 novembre). Un casus belli opportun, une épine dans le pied pour les royalistes qui comptaient à contrario imposer la figure du comte de Paris. Darlan est sous pression face au lobby royaliste qui reste important. Les Américains lui demandent de nommer dans « son gouvernement » des membres du groupe de cinq, renforçant la position d’Henri d’Astier de la Vigerie qui n’en demeure pas moins écœuré par ce « coup de Trafalgar » américain (il est nommé secrétaire-adjoint à l’Intérieur du nouveau Haut-Commissariat de France en Afrique aux côtés de Pose nommé Secrétaire aux Finances et de Jacques Tarbé de Saint-Hardouin aux Affaires étrangères). Son frère François, général d’armée aérienne a réussi, quant à lui, à s’enfuir de Vichy peu après l’invasion de la zone libre par les Allemands et a rejoint le général de Gaulle (dont sa belle-sœur fait d’ailleurs peu de cas, accusant la voix de la France libre « d’être un égocentrique et un m’as-tu-vu incorrigible ») qui apprend ce débarquement dont il n’a pas été tenu au courant (il dira alors dépité : « Eh bien ! J’espère que les gens de Vichy vont les foutre à la mer ! On n’entre pas en France par effraction »).
Peu après le débarquement du 8 novembre, l’abbé Cordier déclare à Marc jacquet, alors directeur des services économiques de la banque nationale pour le commerce et l’Industrie, qu’il ne reste plus qu’une solution pour en sortir : faire venir le comte de Paris (entretien avec L’Aurore du 7 novembre 1972). Jacquet d’ailleurs dira que c’est à partir du 19 novembre qu’il a réalisé « l’action monarchiste proprement dite » du complot. Dans les Mémoires du comte de Paris, les deux hommes se rencontrent mais chacun avance des versions différentes de cet entretien. Pour l’historien Alain Decaux, la « version du prince semble bourrée d’inexactitudes » (1979). Face à l’anarchie, le prétendant se pose de suite en prince fédérateur. Dernier chapitre du complot d’Alger qui en est finalement à ses balbutiements. Début décembre, il fait distribuer des tracts à Alger : « Français, je ne viens pas en partisan. Je me place au-dessus de nos vieilles querelles, au-dessus de nos vieilles discussions. Je ne tiens aucun autre drapeau que celui de notre commune patrie abattue et blessée […]. Je suis le fédérateur de toutes les énergies françaises, de toutes les formes de patriotisme français […], je suis la voix de la continuité française qui vous ordonne de vous arracher aux dissensions de l’heure pour vous unir dans le respect de votre commune grandeur ». Alger se couvre de rumeurs, le comte de Paris prendrait la tête d’un gouvernement libre dit-on dans certains milieux de la Résistance. Pour d’Astier de la Vigerie, il faut impérativement se débarrasser de l’amiral Darlan afin de mettre le prétendant à la tête d’un comité de transition, ce « seul personnage (par essence au-dessus des partis) qui pourra réconcilier les deux factions en présence et unir ainsi les fidèles du général de Gaulle et ceux de Giraud qui est entré au gouvernement de Darlan ».
Il appelle Henri d’Orléans et organise son arrivée à Alger le 10 décembre 1942. Henri d’Astier de la Vigerie lui explique que l’amiral Darlan a cristallisé les haines autour de lui dans cette capitale de l’Afrique du Nord. Le nom du Comte de Paris serait sur toutes les lèvres pour lui succéder. Henri d’Orléans est enthousiaste et se met à recevoir diplomates et officiers militaires présents à Alger. Mais les Américains persistent à soutenir Darlan (surnommé « l’expédiant provisoire »). Le 14 décembre, c’est Pierre Alexandre, le représentant des Juifs de France qui apporte un soutien au projet en faveur du comte de Paris mais exige que Giraud et De Gaulle appartiennent au nouveau gouvernement dont la liste laisse apparaître des noms prestigieux. Le comte de Paris, chef du gouvernement et de Gaulle son vice-président, Catroux à la guerre, Louis Joxe à l’information. Henri d’Orléans, cheval de Troie des gaullistes ? Dans son Rapport sur l’affaire monarchiste, Jacquet devenu directeur de cabinet de Pose en est persuadé, ce complot sentait l’arôme des fleurs de lys.
Le comte de Paris loge d’abord chemin Beaurepaire, chez le comte de Tocqueville puis rue Lafayette chez les d’Astier de la Vigerie. Il participe à la vie de la maison, fait la vaisselle, prie devant le petit autel portatif que l’abbé Cordier a ramené de l’église Saint-Augustin et le soir venu… complote. Le comte de Paris a rallié autour de sa personne. Le clergé catholique d’Alger est enthousiaste, le Vénérable de la Loge d’Alger est favorable à son arrivée au pouvoir y compris le Conseil représentatif juif. Le général Juin lui-même ainsi qu’une grande partie de l’armée présente dans les départements français sont sondés et se disent prêts à soutenir la création d’un Conseil d’Empire présidé par Henri d’Orléans. Il est même prévu une date, le 18 décembre 1942, pour annoncer à Darlan qu’il est démis, mettant ainsi les Américains devant le fait accompli. Le comte de Paris imagine d’ores et déjà une cérémonie de réconciliation entre les Français le 24 décembre au soir qui serait bénie par un Te deum. Les murs se couvrent progressivement de tags hostiles à Darlan dont le bureau est inondé de rapports affirmant que l’on a déjoué tel et tel attentats contre lui. Henri d’Astier est particulièrement efficace dans la transmission des dossiers. C’est au même moment que débarque François d’Astier de la Vigerie, mandaté par le général de Gaulle. C’est inattendu et dans son sac, certes l’ordre d’élimination de Darlan mais aussi la remise en cause du projet de proclamation du comte de Paris et se prise de pouvoir sans effusion de sang.
L’assassinat de l’amiral François Darlan. Un sujet dont discute de la Vigerie et le comte de Paris qui soutient le projet. Madame d’Astier confessera ceci suite à la rencontre de son mari avec le prétendant : « Alors que le comte de Paris nous avait par jusqu’à présent été un peu velléitaire et sans grande initiative, son attitude décidée et tranchante nous a tout de suite frappés. Il semblait transformé. Nous nous tenions debout autour de lui. Mon mari à droite du lit, Cordier de l’autre côté et moi appuyée à ce meuble comme je le suis maintenant. Le prince nous a déclaré sans préambules : ‘‘j’ai maintenant la certitude que Darlan est un traître. Son maintien au pouvoir empêche toute solution. Je vous donne l’ordre de l’éliminer […] par tous mes moyens’’. » Mais alors, qui pour perpétrer cet assassinat historique ? Fernand Bonnier de La Chapelle est un jeune universitaire. Il a été autant surpris par le débarquement des Alliés qu’il en a ressenti une vive frustration de n’avoir pas été invité à y participer. Le monarchisme, il va y venir progressivement, rencontrer l’abbé Pierre-Marie Cordier qui va le former. C’est aussi un exalté, un passionné qui va intégrer le Corps franc d’Afrique dirigé par d’Astier de la Vigerie avec qui il se lie d’amitié. Pour les comploteurs, quatre noms se distinguent des autres. Othon Gross, Robert Tournier, Philippe Ragueneau (futur président fondateur de la seconde chaine de l’ORTF) et le jeune Fernand. Tiré à la courte paille, c’est ce dernier qui est désigné pour presser sur la détente.
Mais quel jour ? Ce sera le 24 décembre. Tout est dans la symbolique. Le plan est rapidement monté et c’est le prince Jacques d’Orléans qui se charge de nous le raconter : « Il est extrêmement simple. Muni de faux-papiers et d’un laissez-passer, Fernand Bonnier de la Chapelle devait se rendre au palais d’été. Il devait attendre l’amiral dans le couloir menant à son bureau et lui tirer deux à trois balles, à bout portant, dans la nuque. Profitant de la panique, Bonnier se précipiterait dans le bureau de Darlan et de se jeter par la fenêtre qui aura été laissée ouverte. Dans la rue, une voiture devait s’occuper de l’évacuer. » Le comte de Paris est averti de l’action mais tombe subitement « malade » et ne se rend pas disponible. Le 23 décembre, alors jeune journaliste, Pierre Boutang arrive du Maroc pour rencontrer Jean Rigault et croise Henri d’Astier. Boutang déplore « la présence de Darlan qu’il tient pour lier aux idéologies de la IIIe République et de la Franc-maçonnerie ». Pour d’Astier, Darlan n’est plus un problème : « La monarchie est faîte », lui confie-t-il. Une absolution plus tard, le jeune monarchiste se présente au palais d’Eté. La suite est connue. Bonnier essaye le révolver à l’extérieur d’Alger en compagnie de Mario Faivre, son chauffeur et de Jean-Bernard d’Astier. Lors du premier coup, il s’enraye, les deux autres essais sont concluants mais comme prudence est mère de sûreté, il décide de changer pour un 7.65 Rubis qui semble plus performant. Ce sera ce pistolet qui mettra fin à la vie du dauphin de Pétain. Deux spahis se jettent sur lui, le ceinture, l’assomment et le jettent en prison.
Le soir de l’assassinat de Darlan, le général Jean Bergeret (1895-1956, en charge de l’aviation dans le gouvernement Darlan, poste qu’il avait déjà occupé en septembre 1940 en lieu et place du maurassien Maurice Pujo jusqu’en avril 1942) invite à dîner le commissaire à l’économie nationale Alfred Pose, dans sa villa à El-Biar. Discutant de la situation critique, Pose déclare que la seule solution est de donner le pouvoir au comte de Paris et lui annonce qu’il s’est déjà entretenu avec ce dernier qui arrivera à Alger dans la nuit. Un mensonge censé préparé Bergeret à accueillir le prétendant au trône. D’ailleurs, le lendemain, Henri d’Orléans s’est empressé d’aller le voir à la demande d’Alfred Pose. « Je viens me mettre au service du pays » annonce-t-il de suite avant de rajouter « non comme prétendant mais comme arbitre ». Bergeret évoque les réactions des anglo-saxons susceptibles de rejeter sa candidature et qu’un échec pourrait ridiculiser la France. « Qui ne tente rien n’a rien » lui rappelle alors Alfred Pose. Et bien que Bergeret se laisse tenter par l’aventure, il n’en demeure pas moins réaliste selon le témoignage du commandant Chassin, présent lors de cette entrevue. Pour le commandant Chassin, Bergeret avait jugé la posture du comte de Paris « inopportune » et que les « Français accepteraient difficilement un chef arrivé en France dans ces conditions […] dans le cadre d’une opération qui aurait gâché ses chances d’avenir. »
Le 26 décembre au petit matin, vers 6 heures, Pose téléphone au général Giraud (qui a pris les rênes du Haut-Commissariat) et lui demande s’il peut le recevoir de toute urgence dans ses bureaux, accompagnés d’un ami dont il ne donne pas le nom. Le rendez-vous est fixé cinq heures plus tard. D’Astier de la Vigerie a prévenu le comte de Paris. Giraud ne le soutiendra pas mais le prétendant persiste. Il entend convaincre l’homme des Américains à Alger. Lorsque Pose et le comte de Paris entrent dans son bureau à l’heure dite, Giraud est saisi par l’étonnement et ne sait quoi dire face à cette situation qu’il ne maîtrise pas. « Vous ne reconnaissez pas son Altesse !? » dit Alfred Pose au général Giraud. L'entrevue devient rapidement glaciale. Henri d’Orléans lui soumet d’emblée ses propositions et tente de le convaincre qu’il est le parfait arbitre entre Vichy, Londres et Alger. Buté, le général décide finalement de conclure cet entretien qui l’irrite. « Un rassembleur qui s’appelle Henri de France ne camoufle pas si aisément la personnalité du prétendant. Sa désignation passerait pour un essai de restauration, qu’il le veuille ou non ! » lui déclare-t-il. Le comte de Paris insiste, en vain. Giraud lui explique que le meilleur service qu’il peut rendre à son pays est de quitter Alger dans les meilleurs délais avant de lui proposer un poste d’aspirant dans l’armée.
Le comte de Paris proteste et lui fait remarque qu’en tant que prince, il doit être nommé général ou tout au plus deuxième classe, lui rappelant qu’il a servi dans la légion étrangère. Giraud encaisse sans broncher la mauvaise humeur du prétendant au trône avant de lui asséner sèchement : « Sachez que si je suis monarchiste, je vous demande de partir ! ». Stupéfait, Henri d’Orléans refuse d’obéir et lui annonce qu’il maintient sa candidature, ce jour même devant le conseil de l’Empire. Giraud lui rétorque « que l’aventure royaliste, j’emploie le mot à dessein, ne doit pas être tentée à l’heure actuelle. Nous sommes en guerre […]. Le peuple n’est pas mur pour une restauration monarchique. Qu’il y ait des monarchistes convaincus dans toutes les classes de la société, je l’admets. Que la monarchie présente dans les conditions actuelles des avantages réels, je le concède. Qu’elle puisse s’installer sans discussions, sans polémiques, sans troubles plus ou moins sérieux, je suis sûr du contraire». Henri d’Orléans ne peut décrocher un mot devant un tel aplomb. Le général Giraud, qui n’est plus avare d’un commentaire, finit par renvoyer le prétendant à la fin de ses illusions : « Et si cette conviction qui m’impose à moi, commandant en chef, responsable de la conduite de la guerre pour la France, de dire au prétendant à la couronne de France, qu’il ne doit pas actuellement faire acte de prétendant et que son devoir de Français lui interdit de troubler le pays… Actuellement j’ai autre chose à faire que de jouer le rôle de Monk. » Le comte de Paris se lève, suivi d’Alfred Pose, salue le général et tourne les talons pour quitter le bureau, dépité face à un Giraud satisfait de sa prestation et qui accrédite ici la thèse du complot monarchiste contre Darlan. Dehors, le comte de Paris ne décolère pas. Il avait proposé à Giraud de constituer un gouvernement qui inclurait le général de Gaulle, Pleven ou même Catroux. Mais le général Giraud, qui voyait dans De Gaulle un retour du Front populaire, s’y était opposé. « Je n’ai jamais vu un général aussi con. Il y a de quoi devenir républicain » dit-il à Pose. Une conversation que le comte de Paris relate dans ses Mémoires d’exil et de combats, se plaignant de cette morgue affichée de Giraud qui semblait faire peu de cas du « brigadier » de Gaulle quand lui était un « divisionnaire », en somme son supérieur. Henri d’Orléans ne put s’empêcher de lui rétorquer : « Mon général, vous vous oubliez que, sous les étoiles, il y a l’homme politique, qui, lui s’imposera à vous ». Prophétique. Le « giraudisme » ne fera pas long feu en Algérie française.
Lors de la réunion du conseil impérial, la question du comte de Paris est débattue. Il apparaît que tous les membres du conseil avaient été déjà sondés et une grande majorité d’entre eux semblait pencher en sa faveur (au général Noguès qui s’était enquis auprès du directeur des affaires étrangères du Maroc des chances du comte de Paris, la réponse de celui-ci fut des plus péremptoires : « Mon général, un roi de France se sacre à Reims ou à Paris, pas à Alger »).Peu après la visite d’Henri d’Orléans, Giraud avait alerté le gouverneur-général (vichyssiste) de l’Afrique occidentale française Pierre Boisson (1894-1948) qui était particulièrement hostile à cette solution monarchique. Ce dernier ne s’était pas fait prier pour convaincre du danger d’un soutien au prétendant au trône de France. Le vote à deux scrutins s’avéra défavorable au comte de Paris et le général Bergeret, qui avait pourtant promis de favoriser Henri d’Orléans, retira à la dernière minute son soutien militaire au projet
Et les Américains ? Le colonel Dostert, chef de la section politique du Général Eisenhower avait averti les Français que le président Franklin Delano Roosevelt ne voulait pas entendre parler de cette candidature royaliste : « Ne mettez pas le doigt dans cette affaire. Ike a pris contact avec Roosevelt et c’est un non catégorique qui lui a été donné, avec ordre, si nécessaire d’utiliser la force. » Il ne fait que confirmer la visite d’Henri d’Astier de la Vigerie et de ses amis qui avaient été sonner à la porte du consul américain le soir du meurtre afin de lui proposer de soutenir le comte de Paris mais celui-ci avait sèchement refusé. « Si le comte de Paris doit être amené au pouvoir, ce sera par les urnes et la volonté du peuple » déclare-t-il faussement pour se débarrasser des comploteurs. En prison, Bonnier de la Chapelle avait écrit à l’abbé Cordier de l’aider. Sur une carte de visite, il avait écrit « intervenez toute de suite, il faut agir vite, très vite ». Elle ne lui parviendra jamais. Les heures s’écoulaient et son père tentait encore de le sauver, implorant le général Bergeret de lui laisser voir son fils. « Je suis sûr que mon fils n’a été qu’un instrument dans ce drame » affirmait-il devant l’officier de marbre qui lui répondait : « votre fils affirme avoir agi seul ». Eugène Bonnier de la Chapelle devra repartir avec la promesse que rien ne serait fait avant qu’il voit son fils. Bergeret devait ne pas tenir une nouvelle fois sa promesse. Bonnier de la Chapelle avait été la mèche à exploser du complot ; vivant il était un témoin dont une cour martiale allait décider du sort funeste. Cordier et d’Astier de la Vigerie s’étaient, quant à eux, préoccupés de son sort sitôt son arrestation effectuée, essayant de planifier une évasion. En attendant sa condamnation à mort prononcée très expéditivement le jour de Noël, le jeune homme conserva le plus grand calme, se contentant de dire : « Notre mouvement est fier […] Pour l’unité de la France, j’ai fait mon devoir ».
Pose tente de faire différer l’heure d’exécution tant il croit encore que Giraud se démettra en faveur du prince une fois l’entretien achevé entre les deux hommes. Mais en vain. Au sein de l’état-major, on se renvoie la balle. Noguès (alors doyen du Conseil impérial qui se proclame haut-commissaire par intérim) accepte de faire sursoir à l’exécution de 24 heures que si Giraud l’approuve. Et qui s’y opposera ! Dans sa cellule, Fernand Bonnier de la Chapelle ne dormira pas, passant son temps à admirer la nuit étoilée et à se confier au capitaine Gaulard, chargé de le surveiller : « L’impression qui se dégage de cet entretien à bâtons rompus […] fut la suivante : l’assassin a eu en vue le rétablissement de la royauté ; il parlait beaucoup du comte de Paris » indique son geôlier. Et Bonnier de la Chapelle de fermer les yeux pour l’éternité de l’histoire, à 7 heures du matin à Hussein Dey. Alors que Fernand Bonnier de la Chapelle tombe sous les balles du pelletons d’exécution, le commissaire Garidacci avait décidé de ne pas remettre le long procès-verbal qui désignait les coupables du complot au juge Rondreux nommé pour présider le procès à charge contre le jeune homme et dont l’issue avait été décidée bien avant le jugement définitif. L’enquête devait se poursuivre. Elle visait désormais les principaux protagonistes de cette affaire.
Giraud doit s’allier à De Gaulle qui va bientôt devenir enfin incontournable. D’Astier de la Vigerie brièvement arrêté sera finalement décoré par le général Giraud dont l’étoile décroît au fur et à mesure que le conflit mondial prend un tournant favorable aux Alliés (il poursuivra une carrière de député après 1945). Le comte de Paris, Henri d’Orléans, prié de quitter le territoire algérien le 16 janvier 1943. Et avec lui ses espoirs d’incarner une alternative et de reconnaître le général de Gaulle qui s’en trouve ravi. Charles Noguès devra bientôt démissionner de son poste de résident général au Maroc, Weygand arrêté par les Allemands en 1942 et libéré en 1945, sera jugé pour collaboration avec un non-lieu, fréquentera les milieux royalistes de Nation française ou nationalistes en tentant de réhabiliter la mémoire du maréchal Pétain.
Réhabilitation… Arrêt du 21 décembre 1945 de la chambre de révision de la cour d’Appel d’Alger : « Attendu que, d’après différentes lettres se trouvant dans le dossier… la dernière lettre de F. Bonnier de la Chapelle écrite quelques instants avant son exécution et enfin d’après les documents qu’on a découverts depuis la Libération de la France, il apparaît certain que l’Amiral Darlan agissait contre les intérêts de la France […]. Pour ces motifs… annule le jugement du tribunal permanent d’Alger, siégeant en cour martiale le 25 décembre 1942 qui a prononcé la peine de mort contre Bonnier de la Chapelle ». Mais alors le comte de Paris a-t-il réellement donné l’ordre d’assassiner comme l’écrit Jacques Soustelle dans son livre Envers et contre tout ? Arnaud de Chantérac, qui rencontre Henri d’Orléans à Chantilly le 16 février 1988, lui pose directement la question. « Non ! » répond l’intéressé qui marque un temps d’arrête puis semble avouer « que dans un moment d’exaspération, il aurait pu dire : il faut à tout prix se débarrasser de l’amiral. » Le complot d’Alger ? Assurément monarchiste.
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Date de dernière mise à jour : 28/06/2020
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