« Un matin, j’ai reçu un coup de fil d’un copain qui m’a demandé ce que ça faisait d’être roi. Moi, roi de France ? Voilà qui m’a fait plutôt rire quand on m’a appris la nouvelle. J’ai toujours su que j’appartenais à la famille des Bourbon, mais j’ignorais que j’étais le premier de la lignée». L’homme qui répond aux questions du journal « Le Figaro » en 2007, n’est ni le prince Louis-Alphonse de Bourbon ni le prince Jean d’Orléans. C’est un avocat de 62 ans au teint buriné et portant une moustache brune imposante. Autour de lui, l’air est parfumé d’épices en tout genre et chargé d’une lourde histoire coloniale. Quel est donc ce mystère qui enveloppe depuis déjà treize générations, Balthazar-Napoléon de Bourbon-Bhopal qui, aujourd’hui, souhaite obtenir des réparations pour l’injustice faîte à sa famille et qui prétend être le « chef de la maison capétienne » ?
Le début de cette énigme va nous mener directement en Inde et plus précisément à la cour de l’empereur moghol Akbar Shah. Colbert a créé la compagnie des Indes orientales et la France commence à peine à s’installer en Asie. Quelques comptoirs au début sur les côtes puis enfin en 1673 la prise de la ville de Pondichéry va permettre au Royaume de France d’assoir une présence durable qui se terminera tragiquement en 1956. Il est y alors rapporté par les officiers du roi, une anecdote qui les rend perplexes. Le commandant des forces impériales du Moghol s’appelle étrangement Jean-Philippe de Bourbon. Il en faut peu pour qu’un rapport soit commandé afin de déterminer l’origine de ce qui ressemble fort à une incongruité patronymique. L’enquête est rapide mais empreinte seulement de rumeurs qui laissent cependant le gouverneur en poste plutôt sceptique. Il envoie son rapport au roi de France Louis XIV qui aura certainement esquissé un sourire à la lecture des quelques lignes qui lui sont adressées. L’homme, métissé, se dit être le fils, fruit des amours éphémères du connétable de Bourbon avec la princesse Alaique Al Timour.
Le connétable Charles III de Bourbon (1490-1527) fut l’un des derniers grands féodaux de France à s’être opposé à l’autorité du roi. Fidèle de la monarchie des Valois, nommé à ce poste en 1521, la rivalité avec François Ier avait éclaté au grand jour quand la famille de ce dernier avait tenté de lui arracher ses biens. Humilié, il avait alors rallié les troupes de l’Empereur Charles Quint, espérant se tailler une principauté en Italie. Un coup d’arquebuse devant Rome allait mettre fin aux espoirs d’un des plus brillants soldats de France mais aussi consacrer sa légende noire de traître à la monarchie. Jean-Philippe de Bourbon affirmait avoir grandi en Navarre et fui la France après un mauvais duel avant de devoir se réfugier en Sicile. D’autres disent qu’il tenta de récupérer ses biens avec l’aide de Diane de Poitiers ou encore qu’il participa à la conjuration d’Amboise (1560). Embarqué sur un navire, il aurait été capturé par les barbaresques et envoyé en Égypte. Une aventure digne des meilleurs épisodes de la série des Angéliques tant celle-ci ressemble vaguement aux aventures de cette héroïne d’Anne et Serge Golon. Vendu au Pacha local, il aura gagné sa confiance, être nommé à des postes plus importants avant de partir en Éthiopie puis de débarquer à Gao en 1560. Introduit à la cour du grand Moghol, il aurait alors obtenu le titre convoité de Mansabdar en épousant une belle-sœur du Shah, la princesse Juliana. Des sources contraires affirment que celle-ci fut la sœur de l’épouse de Jean- Philippe et qu’elle aurait servi comme médecin dans le harem de l’empereur Akbar.
Louis XIV n’accorda pas vraiment d’importance à ce rapport qu’il délaissa assez rapidement. Tout au plus se souvenait-il qu’en effet, d’une vague histoire de famille qui parlait de ce Bourbon-Busset qui avait étrangement disparu en mer ou de ce quatrième enfant du connétable de Bourbon dont la naissance aurait été dissimulée afin d’éviter d’éventuelles représailles de la part de la cour de France. Vraies ou non, ces hypothèses ne semblaient pourtant pas aller dans le sens de celui qui se parait également du titre de comte de Clermont-en-Beauvaisis. devant les officiers du roi. Mais c’est pourtant ici que commence le mystère de ces Bourbons d’Inde qui vont étendre leurs racines de la cour moghole à l’état princier de Bhopal et dont bizarrement aucun texte d’époque ne fait mention de leur existence.
Alors que le destin de cet homme (officiellement décédé en 1592) était relégué aux oubliettes de l’histoire, le mystère allait pourtant resurgir avec le livre de Louis Rousselet (Le fils du Connétable, 1882) qui avait eu l’occasion d’avoir un entretien avec la princesse Isabelle de Bourbon, comtesse de Bourbon-Sirdar. La grâce européenne de cette princesse attisa tellement la curiosité et la flamme de ce photographe qu’il entreprit de se faire l’avocat des droits de ces Bourbons et de publier pléthore d’ouvrage ssur le sujet. C’est ainsi que l’on apprit que cette famille avait obtenu par la suite un poste de Gouverneur jusqu’à la chute de Delhi en 1739. Le prince François (Farad) II de Bourbon (1718-1778) avait reçu en compensation le titre de Rajah de Shergar avant de mourir sous les coups de son rival de Narwar. Son fils survivant du massacre, Salvator II, ses deux fils et trois cousins se réfugièrent un temps à Gwalior puis enfin dans la principauté de Bhopal. C’est là que les Bourbon d’Inde vont écrire un nouveau chapitre de leur roman mystérieux. Général des armées au côté d’un autre français, Jean-Baptiste Filose, brillant stratège, il fit reculer les britanniques qui avaient pénétré dans l’état.
Converti à la religion musulmane comme son père, le fils de Salvator et de Mlle Thome, Balthazar de Bourbon (Shazad Mashis, 1772-1829) fut nommé Premier ministre de 1820 à sa mort, victime d’une intrigue orchestrée par des nobles afghans. La naissance de ce prince est elle-même entourée d’un mystère. On ne sait pas s’il fut le fils de son épouse ou de sa maîtresse. Sébastien (ou Chohar, 1830-1878), son fils, fut à son tour nommé Premier ministre (1857) d’une monarchie qui commençait à faiblir sous les assauts répétés des anglais, assurant toutefois rentes et palais à sa famille. L’histoire des Bourbons de Bhopal devait dès lors se mélanger à celle d’une Inde impériale et britannique, puis indépendante. La perte de tous leurs privilèges princiers en 1971 obligera le père de l’actuel prince, Salvatore III (1917-1978), à trouver un travail. C’est d’ailleurs enore lui qui va entreprendre ce long combat pour la reconnaissance des droits de sa famille.
Le prince Balthazar IV Napoléon de Bourbon ne cache pas sa fascination pour la France, convaincu que « du sang français coule dans ses veines », et malgré qu’il ne soit pas en mesure d’avancer la moindre preuve de sa filiation, il assure être le légitime dépositaire du trône de France. « Akbar savait très bien que Jean-Philippe n’était pas un imposteur. Il a toujours accueilli des Français à sa cour, ils pouvaient témoigner de l’exactitude de ce que racontait mon ancêtre », affirme sans complexe ce prince. Dans sa résidence kitsch de Bhopal, tout rappelle d’ailleurs ce pays qu’il n’a jamais visité. Fleurs de Lys, fausses tapisseries du château de Versailles et Tour Eiffel jalonnent les couloirs de sa villa. Même l’école de 1800 élèves, dont s’occupe son épouse d’origine italienne, porte le nom de Bourbon. Pour autant, il ne parle pas un mot de Français mais se dit très fier d’être catholique (le prince Bonaventure (1848-1894) a fait construire une église) ave sa fortune personnelle. Il rappelle à juste titre que le nom de Mashis qui a été adjoint à celui de Bourbon est un dérivé du mot messie.
De nombreux livres ont été édités, de Londres à Paris jusqu’aux mémoires de l’actuel chef de cette maison, en passant par le livre-soutien du prince Michel de Grèce paru en 2007 (Le Rajah Bourbon), afin de faire découvrir au public cette branche mystérieuse et tropicale des Bourbons. Une énigme pour laquelle ce prince indien, père de trois enfants (Frederic, Michelle and Adrien), souhaite désormais un test ADN et auquel se dit prêt à coopérer le cousin du roi Constantin II. Tout en rappelant à ses différents interlocuteurs que son histoire, ses racines seront à jamais indiennes? Balthazar-Napoléon prétend-il pour autant au trône de France ? « Non » assure celui a reçu les honneurs de l’ambassade de France en mai 2013 lors d’une réception devant un représentant de la République enthousiaste. Ce haut-fonctionnaire de l’État n’avait-il pas déclaré : « C’est extraordinaire d’avoir un Bourbon, ici à Bhopal ! ». Pour le prince Balthazar Napoléon de Bourbon, il s’agit juste d’obtenir une réparation historique pour les souffrances dont son ancêtre fut la victime et pourquoi-pas le titre de « duc de Bourbon ou de France » en guise de compensation ? En février 1987, en plein Millénaire capétien, il avait écrit, dit-il, au duc de Cadix et Anjou, Alphonse de Bourbon. Rien ne transpira de la réponse éventuelle que ce dernier lui fit en retour. Et en attendant une reconnaissance, Balthazar Napoléon de Bourbon twitte et publie sur le réseau social Facebook avec une certaine prédilection pour la monarchie espagnole (à qui il donne du « mon/ma cousin(e) ») quand il ne s’occupe de son ordre, le Grand-Prieuré de Ruthenie qu’il aurait affilié à l’ordre de Saint-Lazare. « J’espère gagner un jour le cœur des Français » espère ce «roi au-delà de la mer » et qui n'aurait pas déplu au regretté Jean Raspail.
Jean-Philippe de Bourbon était–il vraiment le fils du connétable ? Trois thèses autour de ce personnage se confrontent les unes aux autres sans que l’on puisse s’accorder vraiment autour d’une théorie commune. Le mystère mérite que l’on s’y penche désormais afin de répondre à cette question et lui donner toute la place que lui doit l’histoire de France. Quelque part à Goa, se trouveraient les archives de cette maison et la réponse à toutes les questions. Qui sait si la fin de cette énigme ne réconciliera pas les royalistes français autour de celui qui affirme être actuellement le légitime chef de la maison capétienne !?
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Initialement publié sur Vexilla Galliae, remis à jour une première fois en 2016, puis sur Voie Royale en 2017 et enfin sur ce site le 11/08/2020