Tour à tour colonie, Territoire d’Outre-Mer (TOM) puis département, l’île de Mayotte est actuellement au cœur de l’actualité. Cet ancien confetti de l’Empire français, situé dans l’Océan Indien, a été jadis un puissant sultanat qui conserve une maison royale oubliée des livres d’Histoire.
C'est au cours du XVe siècle qu'un navigateur arabe mentionne pour la première fois l'île de Mayotte, également appelée "Mawutu". À cette époque, elle est déjà sous l'influence d'une aristocratie musulmane, les Shirazi, qui prospère grâce à ses activités commerciales et à la pratique de l'esclavage, faisant ainsi la renommée de l'île. Les Portugais établissent rapidement des contacts avec les dirigeants locaux, les "Fanis". Grâce à des alliances matrimoniales successives, la principauté va être unifiée sous un seul lignage princier. Dès 1530, Mayotte entre dans une période de prospérité incontestable. La chute de Constantinople a entraîné la fermeture des routes maritimes reliant l'Europe à l'Orient, faisant du canal du Mozambique, où est située l'île, un passage incontournable pour tout navire souhaitant faire escale et mener des affaires. Ainsi, Mayotte devient un acteur central dans le commerce maritime de la région.
Jeux de pouvoir à Mayotte
En 1680, le décès du sultan Omar Sultan Ben Ali déclenche une série de guerres de succession, où chaque prétendant au trône cherche à s'approprier pleinement le pouvoir en provoquant des "révolutions de palais". Ces incessantes batailles plongent Mayotte dans la ruine, la rendant vulnérable aux pirates européens et malgaches qui s'y installent en toute impunité, pillant le sultanat. En face, le sultanat d'Anjouan ne cache pas ses ambitions expansionnistes, visant à conquérir cette île affaiblie par ses jeux de pouvoir. Le souverain d'Anjouan, Salim Ier (1707-1741), intervient et renverse le dirigeant de Mayotte, Aboubakar Ben Omar, qui peine à résister. Anjouan impose alors son propre candidat, le neveu du précédent, Salimou ben Mwé Fani. Un véritable jeu de pouvoir à la "Game of Thrones" va se dérouler à Mayotte. Aboubakar, ayant renversé la reine Mwanao, sa sœur, en 1720, néglige le prince héritier, qui prépare sa vengeance. Sept ans plus tard, Aboubakar doit céder sa place à Salimou Ier. Les deux sultanats maintiennent des relations cordiales jusqu'à leur détérioration en 1742, à la mort de Salim d'Anjouan. Salimou Ier tente de gagner son indépendance, déclenchant une nouvelle guerre. Sa résistance farouche va permettre d’assurer la succession à son fils Bwana Kombo Ben Salim à son décès une décennie plus tard. Le dernier de sa lignée.
Une île devenue l'ombre d'elle-même
En 1790, la couronne de Mayotte passe entre les mains du gendre du souverain, Saleh ben Mohammed, qui prend le nom de Salim II. Rapidement, il fait face aux razzias des Malgaches, ce qui le contraint à déplacer la capitale sur l'îlot de Dazoudzi,. Il entreprend de renforcer les défenses de la nouvelle capitale, accueille les Mahorais fuyant l'occupation malgache de Grande Terre, et permet ainsi à Mayotte de retrouver son faste et son commerce, bien que ce répit soit de courte durée. En 1806, Salim II est victime d'un complot, potentiellement orchestré par le cousin de son beau-père, Soilihi bin Salim, qui lui succède. Ce règne débute dans la violence et la paranoïa, marqué par l'exécution d'opposants, l'exil de sa propre famille de la cour, et la nomination d'un de ses serviteurs à la tête de ses armées. Sans le savoir, Soilihi dessine sa propre tragédie, celle de son assassinat. Avec l'aide de la sœur du souverain, Aamadi, le nouveau chef des armées, organise un coup d'État en 1817 et s'empare de la couronne. Mayotte replonge alors dans les guerres civiles, chaque faction de la maison royale cherchant à réclamer le sceptre qu'elle estime être légitimement sien. Aamadi lui-même est assassiné par son propre fils, Boina combo bin Amadi, en 1829, bien que des doutes subsistent sur cette théorie.
La monarchie Sakalave, la dernière de Mayotte
La couronne gît à terre. Boina Combo trouve refuge au sein du royaume malgache Sakalave du prince Andriantsoly, qui l'aide à reconquérir son trône. Cependant, en échange de son retour, Boina Combo doit accepter que son allié dirige la moitié de l'île. La cohabitation s'avère difficile, et la rivalité dégénère en une nouvelle guerre, remportée par Andriantsoly en 1832. Un nouveau chapitre de l'histoire de Mayotte s'ouvre, marquant la fin douce de la monarchie désormais aux mains d'un étranger, peu en mesure de se défendre contre les attaques incessantes des Malgaches et d'Anjouan. À peine un an après son installation à la tête du sultanat de Mayotte, Boina Combo doit fuir et connaît un exil qui perdure jusqu'en 1835. Restauré en tant que simple gouverneur du sultanat de Moheli, qui a annexé l'île, il négocie un traité avec Anjouan en 1836, obtenant le retour de ses regalia et l'indépendance de Mayotte après des négociations épuisantes. Une fois les fastes passés, Andriantsoly réalise qu'il n'a aucune armée et est à la merci de ses ennemis. Il doit trouver un allié d'urgence, et ce sera la France, déjà intéressée par Madagascar. Le 25 mars 1841, Andriantsoly vend simplement Mayotte à la Monarchie de Juillet en échange d'une confortable rente. Les ordonnances royales succèdent aux ordonnances royales signées par le roi Louis-Philippe Ier, décidant de moderniser sa nouvelle possession et interdisant même la pratique de l'esclavage en 1846. Les Français s'installent progressivement à Mayotte, qui obtient le statut de colonie. La monarchie a vécu, et son dernier représentant subit le triste sort de nombreux "sultans batailleurs" renversés les uns après les autres. En 1847, plongé dans l'alcoolisme et déconsidéré par ses sujets, il est lâchement assassiné sur un chemin de Petite-Terre.
Une lignée royale réfugiée sur la Grande île
Qu'est-il advenu des descendants du sultan Andriantsoly, membre de la maison royale Sakalave ? Lorsque ce dernier perd son trône en 1824, destitué par le roi Radama Ier, c'est sa sœur Oantitsy qui lui succède entre 1832 et 1836. Le royaume Sakalave, longtemps rival de la monarchie Merina, est également en déclin. Tsiomeko, nièce d'Andriantsoly, succède à sa mère mais ne peut empêcher l'intrusion de la France dans son royaume. Contrainte de fuir à Nosy Be en 1837, elle laisse le trône à un usurpateur. Le sort des deux enfants du sultan déchu, pourtant promis à la protection française et envoyés à l'île de la Réunion, demeure inconnu. L’histoire de cette dynastie ne va plus se jouer à Mayotte mais sur son île d’origine.
Un destin royal intraséquement lié à la République de France
Sous le Second Empire, la lignée d'Andriantsoly est restaurée en urgence dans un royaume Sakalave en proie à l'anarchie totale. Sa cousine, la princesse Andriamandrambiarivo (1869-1879), est couronnée avant de passer le relais à sa fille, la reine Binao (1861-1927), une figure marquante qui règne désormais ur un petit territoire dès 1881. Elle tisse des liens avec les Français dans l'espoir de diriger Madagascar, mais en vain. Son royaume est intégré après la conquête de la Grande île, permettant à la République française de devenir une puissance dans l'océan Indien avec les Comores (dont Mayotte) et la Réunion. Devenue Gouverneur de son royaume, les relations entre Binao et la France se détériorent après la Première Guerre mondiale. Elle est destituée en 1927 et remplacée par son demi-frère, le prince Amada, qui règne sur les Sakalaves de manière traditionnelle jusqu'en 1963. Actuellement, son petit-neveu, le roi Soulaiman Andriantsoly, dirige cette ethnie malgache depuis 1993, bien qu'il soit théoriquement prétendant au trône de Mayotte sans avoir jamais revendiqué ce droit.
Intimement liée au destin des Comores, Mayotte a fait le choix de demeurer française, tandis que les îles voisines, sous la direction des descendants des sultans, optaient pour l'émancipation de l'Hexagone. La volonté des Mahorais de rester Français a été confirmée lors d'un référendum, où 99% des voix ont exprimé ce choix. Bien que les Comores continuent de revendiquer Mayotte comme faisant partie de leur territoire, il faudra attendre 2011 pour que l'île devienne un département français en 2011. Malgré son intégration à la France, Mayotte demeure marquée par des tensions sociales, étant considérée comme l'une des régions les plus pauvres du pays. L'idée monarchique, jadis présente, a été complètement oubliée par les Mahorais, qui font peu de cas de ce passé et qui n'envisagent pas de la rétablir.