Le bicentenaire de la mort de Napoléon Ier est l’événement attendu par tous les bonapartistes, amoureux de l’empire et autres nostalgiques d’une période de l’histoire de France qui continue de faire polémique. En marge des commémorations qui s’annoncent impériales avec la présence attendue du prince Jean-Christophe Napoléon, c’est un autre événement qui a sonné le début des festivités. Hier et en présence du prince Joachim Murat et du Grand-duc Georges Romanov, la Russie et la France ont conjointement rendu un hommage aux soldats de deux empires qui sont affrontés lors de la Campagne de Russie en 1812. Dans l’antichambre de ces inhumations, les restes du général Charles-Etienne Gudin de la Sablonnière attendent patiemment de revenir en France afin de reposer auprès de Napoléon Ier, son empereur et ami, à l’Hôtel des Invalides.
«Il était un des officiers les plus distingués de l’armée ; il était recommandable par ses qualités morales autant que par sa bravoure et son intrépidité ». C’est dans les bras d’un Napoléon en larmes que le général Charles-Etienne Gudin de la Sablonnière s’éteint en août 1812, blessé mortellement après un affrontement avec les russes à Smolensk. L’un et l’autre s’étaient connus à l’Ecole de Brienne où le futur empereur de la République française faisait ses premières classes. Il sera de toutes les batailles. Ou presque. Le général Gudin ne verra pas la prise de Moscou par la Grande Armée le mois suivant ni cette Bérézina qui va accompagner la folie impériale et qui précipite le destin du Premier empire. Enterré, il faut attendre presque un siècle avant que le nom du général Gudin ne refasse surface et brille au firmament des grands héros du panthéon napoléonien. Son nom est gravé sur l’Arc de Triomphe, son coeur repose déjà au cimetière du Père-Lachaise. On doit la découverte de ses restes à Pierre Malinowski, directeur de la Fondation pour le développement des initiatives historiques franco-russes, passionné d’archéologie et ami du président russe Vladimir Poutine. Des tests ADN sur les descendants de ce comte d’Empire ont vite confirmé l’identité du général Gudin qui va pouvoir rejoindre son empereur et ami à l’Hôtel des Invalides, le 5 mai prochain. La date n’est pas anodine, elle coïncide avec le bicentenaire de la mort de Napoléon Ier qui devrait être fêtée en grandes pompes en dépit d’esprits chagrins qui ont fait part de leur opposition à ces festivités organisées en hommage à « l’ogre corse ».
Hier au cimetière de Viazma, on était loin de toutes polémiques stériles et on préférait privilégier l’idée de réconciliation nationale entre la Russie et la France. Les restes de 126 personnes décédées dans ces lieux lors de la retraite de la Grande Armée, en novembre 1812, ont été ré-inhumés sous le regard du général de Brigade Ivan Martin, attaché militaire à l’Ambassade de France en Russie. A ses côtés, les princes Joachim Murat et Georges Romanov. Ils sont les représentants de deux empires qui fascinent encore de Paris à Moscou. Il fait un froid polaire, quinze degrés en dessous du thermomètre, la neige ne cesse de tomber et Viazma raisonne de chants liturgiques catholiques et orthodoxes accompagnés par les notes d’un orchestre. Une centaine de passionnés du Premier empire ont revêtu leurs costumes d’époque, entourent les princes qui sont pris d’assaut pas les médias nationaux et internationaux. En Russie, les reportages se multiplient sur le sujet. Les télévisions ont accordé un traitement important à cet événement qui rappelle à tous les grandes heures de la « guerre patriotique », une fierté dans ce pays qui cultive une certaine admiration pour Napoléon. D’ailleurs il existe même des associations pro-bonapartistes et on ne compte plus les reconstitutions historiques qui se jouent chaque année.
La campagne de Russie, le déclin de l’Aigle ? « C’est le Blocus [continental-nldr] qui est indiscutablement à l’origine du conflit entre les deux alliés de Tilsit » affirme l’historien Jean Tulard. La perte de l’Oldenbourg avait profondément irrité l’état-major du Tsar Alexandre Ier dont Napoléon avait voulu vainement épouser la sœur. Le duché n’était qu’une bagatelle pour l’empereur des français mais pour les russes, il fixait les limites de son empire à la Baltique. Trop proche de Saint-Pétersbourg. Et il y’avait cette Pologne dont il avait recréé un semblant d’état. Insupportable pour les officiers du Tsar qui pressent Alexandre Ier de reprendre les armes, poussés par la Prusse et l’Autriche. Napoléon n’est pas dupe mais charge Armand de Caulaincourt, son ambassadeur, de tempérer les émissaires de son alter-égo impérial Négociations, ultimatums, la guerre finit par éclater et Napoléon se dirige vers la Russie avec ses 600 000 hommes. La prise de la capitale russe sera un leurre. L’Hiver arrive, implacable, en face de lui le Maréchal Koutouzov qui harcèle les troupes de Napoléon, peu préparées au froid glacial. L’officier russe est populaire parmi ses soldats pour ses … défauts, les femmes, la boisson et la bonne chère. C’est lui qui va initier la pratique de la « terre brûlée » afin d’affamer les soldats de Napoléon. Lors de sa retraite, le passage de la Bérézina est une catastrophe prédite par le maréchal Murat. Ses relations avec son beau-frère ont été assez houleuses tout au long de la campagne. Le roi de Naples a quitté de mauvaise grâce son état mais comme à son habitude charge avec bravoure et ne ménage guère ses chevaux qui meurent en grande quantité. Son caractère tranche avec celui des autres maréchaux qui s’agacent de ses prises d’initiatives et qui semblent dépassés par son « tempérament de commandant en chef » écrit Fréderic Hulot dans une biographie qu’il a consacré à ce maréchal d’Empire. En octobre 1812, il manque de décéder au combat, blessé par un lancier, à la bataille de Winkowo, la « der des der » pour lui. Murat constate le désastre qui s’offre à lui et comprend rapidement qu’une nouvelle coalition ne va pas tarder à se lever afin de mettre fin au règne de l’Aigle qui n’a pourtant rien perdu de sa superbe ni de son aura.
« Soldats français des 24e, 30e, 55e et 106e régiments d'infanterie et autres unités, reposez à nouveau en paix (...), que votre mort soit le symbole de la de paix et de fraternité » déclare dans son discours le général de Brigade Ivan Martin qui a inauguré une stèle commémorative à cette occasion. La neige balaye la plaine qui va accueillir russes et français dans les mêmes tombes. Interrogé sur le sentiment que lui inspire ce moment historique, le Grand-duc George Romanov, prétendant au trône de Russie, confie qu’il « s'agit d'un moment important de l'histoire de notre pays ainsi que pour nos deux nations ». « Au fil du temps, la mort et le temps ont fini par rassembler tout le monde» n’hésite pas à renchérir Youlia Khetrovo, arrière-arrière-petite fille du maréchal russe Mikhail Koutouzov, considéré par ses compatriotes comme ce héros national qui a repoussé Napoléon. Faisant face aux caméras, le prince Joachim Murat ne cache pas son enthousiasme. « Je ressens beaucoup d’émotions d’être à Viazma où je peux saluer la mémoire des soldats de Napoléon. Que votre paix soit aussi celle de nos peuples, que votre fraternité soit aussi celle de nos Nations » déclare à son tour et avec beaucoup de solennité le descendant du maréchal. « Cet événement nous permet de maintenir l'amitié avec la Russie » n’hésite pas à ajouter Pierre Malinowski, interrogé par l’agence TASS. « Bien sûr, il s'agit d'un événement très important. Il a une signification symbolique. Il fait partie de l'histoire commune de nos pays. C'est aussi un honneur rendu aux militaires français décédés. ici et que nous allons ré-Inhumer avec tous les honneur » conclu général de Brigade Ivan Martin alors que retentit l’hymne national russe. Un moment d’histoire que l’on va bientôt retrouver à Paris. Reste à savoir si le président de la République, Emmanuel Macron, saura donner la juste mesure qu’il faut à cette cérémonie où devraient être présents le prétendant au trône impérial, le prince Jean-Christophe Napoléon et des milliers de français qui attendent que la France retrouve enfin ses lettres de noblesse.
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