« Nous attendons une position claire du prince Charles-Xavier. Et si celle-ci n'est pas donnée avec la clarté et la force nécessaire, il n'y a pour le moment que deux candidats à la couronne qui conservent a priori leur légitimité doctrinale : Don Sixte-Henri de Bourbon-Parme et après lui, Louis-Alphonse de Bourbon- Martínez Bordiú ». Alors que l’Espagne est secouée par une crise politique, sociale, sanitaire et monarchique, les carlistes fidèles aux principes traditionalistes ont exigé que le prince Charles Xavier se prononce clairement sur ses ambitions au trône et renonce au carlisme autogestionaire. Faute de quoi, au décès de son oncle, les droits au trône d’Espagne passeront au duc d’Anjou.
Lorsque le roi Ferdinand VII (1784-1833) décide de faire de sa fille Isabelle, son successeur direct, sa décision soulève une tempête de protestations de la part de son frère, Charles (1788-1855), héritier présomptif du trône, qui va finir par se soulever avec ses partisans. Le carlisme est né. Tout au long du XIXème siècle, l’Espagne va être marquée par trois guerres successives où les prétentions des princes carlistes vont se mêler à celles au trône de France. Les fidèles de la monarchie française, tombée en 1830, n’hésitent pas à traverser les Pyrénées et se porter au secours des tenants hispaniques de la Tradition. Les bérets rouges deviennent alors le symbole d’un monde qui s’étiole doucement. En 1876, les derniers espoirs des carlistes de s’emparer du trône d’Espagne disparaissent. Ephémère roi d’une partie de l’Espagne, Charles VII (1848-1909) s’exile en France où l’attendent ses partisans, drapeau blanc au vent. Carlisme et légitimisme se confondent alors tant ils se ressemblent dans leur vision surannée de l’Ancien régime. Il faudra attendre la politique anti-cléricale de la Seconde république pour que le carlisme retrouve une seconde aura. Les « Dieu, la Patrie et le Roi ! » et « Vive Christ Roi ! » retentissent dans toute l’Espagne. La « Communion traditionaliste » va aligner une véritable armée qui va suppléer aux franquistes du général Franco. Mais leur refus d’intégrer la Phalange après la victoire définitive du Caudillo en 1939 sonne le glas de la rupture entre les carlistes et les franquistes.
Au sein même du carlisme, la division règne. Franco ayant annoncé le retour de la monarchie, chaque mouvance avance son prétendant espérant qu’il sera retenu par le généralissime. Les Bourbon-Parme ont recueilli la succession carliste à la mort du dernier descendant direct de Charles, le prince Alphonse–Charles (dit le « vieux prétendant ») en 1936. Les deux fils de François-Xavier, Charles Hugues et Sixte n’ont pas la même vision du carlisme. Le premier souhaite le muer en un mouvement autogestionnaire proche de la gauche, le second entend le maintenir dans la tradition catholique tel qu’il a été initié à sa naissance. Les carlistes se déchirent et vont s’affronter à Montejurra en 1976. Face à ce triste spectacle, certains décident de rallier le comte de Barcelone, fils d’Alphonse XIII, d’autres vont courtiser le prince Alphonse de Bourbon qui a épousé la petite-fille de Franco. Un mic-mac dynastique qui va affaiblir le carlisme toujours aussi divisé aujourd’hui en différentes tendances.
Le départ d'Espagne de l'ancien chef de l'Etat, Juan Carlos de Bourbon semble avoir réactivé les mouvements monarchistes les plus réactionnaires. D’autant que la question de la succession du carlisme traditionaliste incarné par Sixte-Henri de Bourbon-Parme se pose désormais. Affaibli par la maladie, âgé de 80 ans, il demeure sans enfants. Pour ses partisans, il semble peu probable qu’il rallie les prétentions de Charles-Xavier qui a repris la ligne politique de son père, Charles-Hugues. Dans une lettre ouverte, ils ont d’ailleurs sommé le prince de se positionner car selon eux, le trône de l’isabelin Felipe VI est sur le point de vaciller. Enfin, hors de question de soutenir un souverain qui a nommé sa fille Léonor, héritière du trône. Le carlisme, devenu minoritaire, va-t-il connaître une troisième résurrection ?
Gardien de la tradition catholique, refus du du mariage pour tous, de l’avortement ou de la PMA-GPA, le prince Louis-Alphonse de Bourbon ne cache pas son rejet du progressisme ambiant qui règne tant en Espagne qu’en France dont il est aussi le prétendant depuis 1989. Ses récentes prises de positions publiques et ses participations au Congrès des Familles ont conforté la mouvance carliste, qui depuis « l’affaire Franco en 2019, considère ce » prince bleu » comme son nouveau champion. Chez les traditionalistes, ce descendant de Louis XIV apparaît désormais comme le nouveau successeur de Felipe VI. De Louis XX en France à Luis II en Espagne, il n’y a qu’une petite frontière que certains n’ont pas hésité à franchir. Les appels en sa faveur commencent, timidement, à se multplier. Ils mettent même au pied du mur, le prince Charles–Xavier de Bourbon–Parme. « Nous attendons une position claire du prince Charles-Xavier. Et si celle-ci n'est pas donnée avec la clarté et la force nécessaire, il n'y a pour le moment que deux candidats à la couronne qui conservent a priori leur légitimité doctrinale : Don Sixte-Henri de Bourbon-Parme et après lui, Louis-Alphonse de Bourbon- Martínez Bordiú ». Que le neveu de Sixte-Henri abandonne sa lignée autogestionnaire et revienne aux vrais valeurs du carlisme et il sera reconnu comme seul prétendant. A défaut, les carlistes avertissent que ce sera Louis-Alphonse de Bourbon, duc d’Anjou, qui bénéficie de l’appui de Vox, le parti du député Santiago Abascal. Lequel est aussi sensible aux sirènes de ce carlisme qui se place à la « derecha de la derecha ». « Nous ne défendons pas la légitimité de Juan Carlos ni ne défendons la transition politique qui a été mise en place avec lui, ni les effets pervers de la Constitution de 1978. Il est évident que l'Espagne a besoin d'un changement, mais d'un changement qui ne peut se faire par le biais d’une nouvelle constitution, ni par l'établissement d'une république laïque, féministe, homosexuelle, avorteuse, divorciste et tyrannique » déclarent les carlistes traditionalistes. Avec à peine moins de 5% lors d’élections locales ou européennes, ils peinent pourtant à se frayer un chemin dans les urnes et convaincre.
« L'Espagne a besoin d'un changement, mais ce changement doit signifier un retour à son régime historique traditionnel, il doit signifier un retour à un véritable système monarchique, un respect sincère des libertés civiles et la configuration d'un système social avec le plus grand des respects de la loi naturelle et la saine doctrine catholique » peut-on encore lire dans le communiqué. Publié sur le site officiel de « Tradición Viva“ qui arbore le Sacré-Cœur comme emblème, il n’hésite pas à faire l’apologie du franquisme, un héritage qu’assume le duc d’Anjou, arrière-petit-fils du Caudillo. Une course à la succession qui s’est accélérée depuis l’interview au journal El Espanol de Jesús María Aragón, secrétaire-général du Parti Carliste, qui a soulevé la question de la légitimité de Felipe VI sur son trône en début de ce mois et positionné le prince Charles Xavier comme potentiel héritier du trône d'Espagne. Des déclarations qui ne peuvent avoir été fâites sans l'avis préalable de l'intéressé. Un prince qui s'est fait remarquer en décembre dernier en venant prêter serment sur les Fueros à l'intérieur de la cathédrale Sainte-Marie de Valences. En dépit de l'interdicton de l'archevêché.
Une succession qui n’est pourtant pas aussi aisée pour Louis-Alphonse de Bourbon. Car si le duc d’Anjou pourrait être tenté d’accepter ce qui lui revient de droit depuis que son grand-père Jacques-Henri a été écarté de la succession par Alphonse XIII en raison de sa surdité, il n’a pas fait aucun commentaire sur ce qui reste encore de la spéculation. Bien que Vox fasse discrètement campagne en ce sens. Du côté de Sixte-Henri, cette perspective de voir le prince Louis-Alphonse de Bourbon ne paraît guère l'enchanter Non seulement, il ne reconnaît aucun droit à son cousin, aîné de la Maison de Bourbon, mais depuis quelques années, il s’est lancé dans une surenchère à tout va contre les prétendants de la Légitimité dont les partisans lui rendent bien son animosité. Sur les réseaux sociaux, les deux secrétariats des princes respectifs ne cessent de tenter de démontrer lequel est plus catholique et traditionaliste que l'autre. Sixte-Henri bénéfice toujours de solides réseaux en France. Proche de la branche dissidente de l’Action française dirigée par maître Elie Hatem, Civitas ou du Parti national français d’Yvan Benedetti, c’est un ami de Jean-Marie Le Pen, fondateur du front national. Y compris en Espagne où il a fait ses classes dans la Légion étrangère. Certains d'entre eux reconnaissent d'ailleurs Louis-Alphonse de Bourbon comme seul roi légitime des deux côtés des Pyrénées. Deux prétendants qui se regardent tout en s’ignorant l’un et l’autre, évitant de se croiser comme aux commémorations du 21 janvier où les carlistes ont délogé les partisans du fils d'Alphonse de la place de la Concorde. Toutefois dans cette guerre fratricide que se livrent les carlistes pour un hypothétique trône déjà occupé par un cadet, il est plus que probable que ce soit le prince Louis- Alphonse qui remporte cette manche à long terme. A 46 ans, père de 4 enfants, la succession au béret rouge semble assurée en sa faveur. A moins que le représentant du carlocativisme, une autre branche minoritaire du carlisme traditionaliste, l’archiduc Dominik de Habsbourg, ne vienne s’inviter dans le débat et n’arrive à lui voler la vedette ?
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