«Je suis français et national. Je serais envoyé en Allemagne ou libéré en France, sans conditions ou concessions, avec mes camarades ». Emprisonné à Fresnes, le prince Louis Napoléon vient d’éconduire sèchement le Sous-lieutenant Roland Nozek, venu lui extirper un soutien au régime nazi. Nous sommes en 1942, le prétendant impérial au trône de France va bientôt marquer de son sceau l’histoire de Résistance.
Il a 12 ans quand il devient officiellement le prétendant impérial au trône de France, en 1926. Descendant direct du roi Jérôme Bonaparte, éphémère roi de Westphalie et frère de l’empereur Napoléon Ier, l’adolescent porte déjà sur ses épaules l’héritage de deux empires (1804/1814-1815 et 1852-1870) et incarne les espoirs des bonapartistes, réunis au sein du mouvement «L’appel du Peuple». Louis Napoléon cousine avec toutes les maisons royales d’Europe. De la France, il ne connaît que des photos et les descriptions que son père, le prince Victor Napoléon. lui faisait de son vivant. En 1886, l’Assemblée nationale a voté une loi exilant tous les princes issus de maisons ayant régné sur la France, les Napoléon comme les Orléans ont dû passer la frontière.
Les cadres du parti comme sa propre mère, la princesse Clémentine de Belgique, pressent Louis Napoléon de s’investir en politique. Le jeune homme n’a pas l’âme d’un césar et déteste les intrigues qu’il perçoit au sein du milieu bonapartiste où chacun place ses pions. Pis, le général Koechlin-Schwartz qui représente ses intérêts dans l’Hexagone flirte allégrement avec l’extrême-droite, une tendance politique qu’exècre le prince. Dans une déclaration en 1935, il a exalté l’idée de « démocratie napoléonienne » avant d’annoncer un an plus tard, à la veille des élections qui vont mener au pouvoir le Front Populaire, son retrait de toutes activités politiques. C’est la douche froide pour les bonapartistes qui se retrouvent orphelin de leur «empereur», plus occupé à remporter le grand prix automobile de Berne, en 1938.
Le prince rebelle va bientôt tracer ses pas dans ceux de ses illustres ancêtres. En mars 1939, le chancelier allemand, Adolf Hitler, a ordonné à ses armées de pénétrer en Tchécoslovaquie. Louis Napoléon a compris que l’Europe n'allait pas tarder à connaître des heures sombres et un avenir incertain. Deux aigles se font face à la veille du déclenchement de la seconde guerre mondiale. Celui des Napoléon s’oppose à celui du Reich allemand. «(…) Je suis désireux de servir mon pays de toutes mes forces ». Louis Napoléon enverra 3 lettres au président du Conseil, Edouard Daladier, afin de lui demander l’autorisation de s’engager dans l’armée française. La république campe sur ses positions et lui rappelle la loi d’exil. Il tente même la Royal Navy mais personne au sein du gouvernement britannique ne souhaite avoir la mort d’un second « Loulou » (le fils de Napoléon III mort en 1879, en Afrique du Sud) sur la conscience. Le prince s’entête et par le truchement d’amis au sein de l’armée, parvient malgré tout à rejoindre la Légion étrangère au camp de Sathonay, dans le Rhône. Reconnu par un officier instructeur, Paris n’a plus le choix que d’accepter ce géant d’un mètre 98 comme soldat de deuxième classe. Pour ses camarades, il n’est que Louis Blanchard, matricule 94707.
Toutes les associations et mouvements bonapartistes avaient été dissous. Louis Napoléon craignait qu’en cas de défaite, les nazis ne s’en servent et utilise l’image de l’empereur Napoléon pour leur propagande. Pour le prince impérial, la guerre, ce sera en Algérie française. Le 29 mars 1940, il embarque à Oran pour y faire ses armes au sein du régiment de marche, localisé à Saïda. Il brûle d’aller au combat. Le gouvernement français a ordonné à sa hiérarchie de le cantonner dans cette partie de l’Afrique du Nord où il va faire le planton pour un officier autrichien. L’armistice signé en juin suivant, il est libéré de son engagement 4 mois plus tard. Les bonapartistes se divisent, certains tentés par Vichy, d’autres par la Résistance. Il circule en France avec une fausse carte d’identité, songe à partir à Londres alors qu’il a été prié de rentrer en Suisse. Louis Napoléon est un anti-vichyssiste affirmé. L’entrevue entre Hitler et le maréchal Philippe Pétain va le révulser.
Adolf Hitler est un amoureux de Napoléon. Il est venu admirer le tombeau de l’empereur aux Invalides. L’ambassadeur allemand Otto Abetz propose au chancelier allemand de rapatrier les cendres de l’Aiglon, le fils de Napoléon Ier qui repose dans la crypte des Capucins. Et de mettre à la tête de la France occupée, le prince Louis-Napoléon. Contacté par les allemands, le prétendant refuse d’être mêlé à cette double folie qui sera un échec patenté pour la politique de collaboration initiée par le président du conseil, Pierre Laval. Ce dernier tente d’associer le maréchal à cette cérémonie mais Pétain refuse de s’y présenter. On lui parle du prétendant impérial, le vainqueur de Verdun s’étonne d’apprendre son existence. Tout au plus connaît-il le comte de Paris dont il se débarrassera d’ailleurs sans ménagement au cours d’une entrevue. Le 15 décembre 1940, dans un froid glacial, celui qui a été empereur de France durant 15 jours en 1815, retrouve son père escorté par des gendarmes français, l’amiral Darlan, le dauphin de Pétain, et des soldats de la Wehrmacht. La princesse Clémentine accompagné de quelques membres de l’ancienne aristocratie impériale et partisans de l’empire, est venue assister au retour du duc de Reichstadt, Napoléon II. Elle n’en gardera pas un souvenir mémorable.
L’année 1942 est un tournant dans la Seconde guerre mondiale. Elle amorce le début de la fin pour le régime nazi. Louis Napoléon n’a pas renoncé à combattre. Il souhaite rejoindre Alger, capitale de tous les complots. Dans sa tentative de rejoindre la Légion, présente en Algérie, le prince Louis Napoléon est capturé le 22 décembre. Après Foix, Bordeaux, il est incarcéré à Fresnes. Deux jours plus tard, l’amiral Darlan est assassiné par un jeune monarchiste, Bonnier de la Chapelle et le comte de Paris, Henri d’Orléans, tentera en vain de se faire reconnaître à la tête d’un gouvernement d’union nationale. Le prince impérial est interrogé par la Gestapo qui avertit Paris et Berlin de sa présence dans la prison. On lui dépêche alors un des espions du Reich, Roland Nosek, qui appartient à la Section de Sécurité (SS). Sa cellule voisine avec celle du ministre Georges Mandel, il a pour compagnon Pierre de Gaulle et le colonel de la Rocque. Nosek tente de persuader le prétendant de rallier la cause allemande. En vain. Transféré à Paris, en janvier 1943 et mis en résidence surveillée, il fut finalement relâché en avril suivant avec obligation de résider dans la capitale française.
En novembre 1943, il s’échappe de Neuilly où il est confiné, à la barbe et au nez des allemands grâce aux réseaux de la Résistance avec lesquels il a pris contact. Il effectue déjà des missions pour le compte du Bureau central de renseignements et d'action (BCRA). Intégrant le bataillon des Forces françaises de l’Intérieur (FFI) du maquis « Carol » comme simple soldat (et à sa demande), il prend le nom de Monnier. A ses côtés, le prince Joachim Murat, le descendant du célébré maréchal et roi de Naples. Lors du débarquement de juin 1944, sa section participe aux combats de l’intérieur. La Libération est proche. Le 24 août, il est mandaté pour une mission de reconnaissance qui, selon les rapports, est sans dangers. Sur la route, son camion est l’objet d’une fusillade nourrie. Des cinq hommes présents avec lui, seuls 3 d’entre eux parviennent à le rejoindre dans le fossé. Un mois auparavant, son cousin Murat avait été la malheureuse victime des balles de la division Das Reich. Il échappe de peu à la mort, mais reste blessé aux épaules et reçoit un éclat d’obus dans la jambe. Le « chasseur Monnier » n’a pas démérité de ses ancêtres qui se sont illustrés sur les champs de bataille. Il a démontré des qualités de chef et de bravoure qui forcent le respect de ses camarades. Y compris celui du Général Charles de Gaulle.
L’homme du 18 juin, celui qui a appelé les français à résister, entend parler des actes de bravoure du prince impérial et part à sa rencontre le 29 octobre. Il le nomme Lieutenant et l’autorise à continuer son service militaire au sein des chasseurs alpins de l’Armée des Alpes. «Décoré de la croix de guerre, il rejoignit sa compagnie en janvier 1945 et fut chargé de négocier avec le général Guizman, chef des forces armées suisses, l’approvisionnement des troupes française de montagne » racontera son fils, Charles Bonaparte, dans un ouvrage consacré à sa famille*. Le prince Louis Napoléon avait rejoint les grands noms du Gotha, ces résistants à l’occupant et gagné ses galons de héros de la nation. Le destin du prince ne devait cependant pas s’arrêter ici et le nom de Napoléon devait encore briller dans le firmament de notre roman national, auréolé de la Légion d'Honneur. Mais cela est encore une autre Histoire.
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