La cérémonie d’investiture est quasi royale. Le 16 décembre, c’est dans l’ancienne résidence royale du roi Héraclius, située dans la ville médiévale de Telavi, que Salomé Zourabichvili, 66 ans, a prêté serment sous le blason couronné de Saint Georges. Parmi les invités, de nombreux chefs d’états, d’anciens présidents comme Nicolas Sarközy de Nagy-Bocsa, ou encore les membres du gouvernement. Mais également l’héritier d’une maison royale, les Bagration, dont le destin a été étroitement mêlé à l’histoire de la Géorgie, un pays du Caucase qui a repris en 1991, son indépendance de la Russie.
L’endroit n’a pas été choisi au hasard par cette ancienne ministre des affaires étrangères pro-européenne. Telavi a été la capitale du royaume de Kakhétie, un des plus grands centres politiques et économiques de l’état géorgien avant de devenir après la capitale Tbilissi, la deuxième ville du royaume de Géorgie. Ici trône en majesté sur son cheval, une épée à la main en guise de croix, la statue du roi Héraclius II qui unifia sous son règne, au cours du XVIIIème, diverses parties du royaume siècle. A la croisée du monde musulman et orthodoxe, la petite Géorgie excite les appétits féroces du géant russe qui finira par l’annexer en 1812. « Le roi Héraclius s'est battu pour permettre le développement et l'unité du pays. Il a créé une armée géorgienne moderne et a remporté plusieurs batailles. Il a jeté les bases d’un état européen » a déclaré dans son discours d’investiture la nouvelle dirigeante.
Pourquoi une telle référence à ce roi qui a marqué de son sceau l’histoire d’un pays où les rois et les reines n’ont rien à envier à la France dont est aussi originaire Salomé Zourabichvili ? La cinquième présidente de la république de Géorgie n’a jamais caché ses préférences monarchiques et son patriotisme anti-russe. En octobre 2007, elle était parmi un certain nombre de députés et de politiciens à réclamer ouvertement le retour d’une monarchie dans le pays. « J'ai toujours soutenu une monarchie constitutionnelle, en tant que forme de gouvernement appropriée pour la Géorgie » avait –elle alors publiquement déclarée. Avec l’arrivée au pouvoir de Salomé Zourabichvili, « allons –nous assister au retour de la monarchie ? » titrait le 13 décembre dernier, l’édition anglophone de Georgia Today.
Pour le journal, les signes sont flagrants. Le fait qu’elle ait déplacée la cérémonie d’investiture dans cet ancien palais royal en lieu et place de l’habituelle présidence, dans une ville attachée à la mémoire de l’ancienne monarchie, la présence des membres de la maison royale et du Patriarche Ilia II, soutien inconditionnel de la restauration de la monarchie, sont autant de preuves qui pourraient ramener de nouveau la Géorgie au centre de ce débat institutionnel qui agite le pays depuis une décennie. Sans que pour autant la question n’ait été tranchée. Lors de son discours, Salomé Zourabichvili a même remercié la mémoire du président Zviad Gamsakhurdia, premier président du pays, connu pour avoir associé étroitement à son pouvoir les monarchistes de l’Union des Géorgiens traditionnalistes en leur octroyant entre 1990 et 1992, la vice-présidence et la présidence du parlement. C’est à cette même époque (1995) que le père de l’actuel prétendant, le prince Georges XIV Bagration-Moukhraneli (1944-2008), avait fait un retour remarqué en Géorgie.
Invités pour assister à la cérémonie d’investiture, les princes David et Ugo Guram (photos) se pressent autour du Catholicos Ilia II. A 85 ans, le patriarche n’a rien perdu de sa verve. C’est un infatigable combattant du retour de la monarchie. Dans toutes les crises politiques que le pays a traversées, sa voix fait foi. Il n’hésite pas à sermonner les politiciens qui se précipitent pour lui faire la révérence protocolaire. C’est un traditionaliste qui ne supporte pas que l’on remette en cause l’ordre établi. Dieu et les Bagration sont indissociables. En 2007, alors que le président Mikheïl Saakachvili est fortement contesté par l’opposition, il jette un pavé dans la mare et réclame que la monarchie soit restaurée. L’annonce surprend tout le monde mais à le mérite d’ouvrir le débat jusqu’au plus haut niveau. Alors présidente du parlement, Nino Bourdjanadze annonce qu’elle va mettre en place une commission consultative et parlementaire afin de discuter de l’opportunité de restaurer la monarchie. Et l’idée recevra de nombreux soutiens parmi lesquels on peut citer, le député conservateur Zviad Dzidziguri, le leader du parti travailliste, Shalva Natelashvili, celui du parti de la Liberté, Konstantine Gamsakhourdia, ou encore celui du Parti de la nouvelle droite. Parmi toutes ces voix qui s’élèvent pour demander un référendum, l’actuelle présidente de la république.
Et si on estime entre 30% et 40%, le nombre de géorgiens qui souhaiteraient le retour de la monarchie (selon un sondage réalisé par Kavkasia TV en 2013), la classe politique reste toujours divisée sur le sujet. En juin 2017, alors que le patriarche Ilia II a de nouveau réitéré ses propos lors d’un sermon, le porte –parole du parlement, Irakli Kobakhidze, déclare que « restaurer la monarchie amènerait de sérieux avantages au pays mais nécessite que celle-ci soit approuvée par les géorgiens », reconnaissant qu’il a rencontré le Catholicos à ce sujet. Mais de référendum promis sur le sujet par le gouvernement, le parlement a préféré débattre de la réforme de la Constitution afin de vider de tous ses pouvoirs le poste de président pour le transformer en un simple rôle protocolaire.
En juin 2017, l’ancien président Giorgi Margvelashvili, leader du parti du Rêve géorgien (qui a par ailleurs soutenu Zourabichvili, élue au second tour avec 59.52% des voix) avait déclaré qu’il était tout à fait « confortable » avec l’idée d’amener progressivement les géorgiens vers le chemin de la restauration de la monarchie, ce qui permettrait de « supprimer automatiquement le problème le plus douloureux de l'ordre du jour - les pouvoirs du chef de l'Etat ».Pour Georgia Today, qui voit l’ombre du patriarche derrière toutes ces manœuvres, c’est une autre preuve que cette modification pourrait amener la présidente à céder éventuellement son poste à un monarque. Et si on nage dans la pure spéculation sans fondements, l’article montre toutefois à quel point le débat monarchique est désormais profondément ancré en Géorgie.
Avec un mariage hautement médiatisé en 2009 avec la princesse Ana Nugzaris Bagration-Gruzinsky, comme son divorce 2 ans plus tard suite à une affaire d’adultère, le prince David Bagration a déjà gagné en stature internationale. Régulièrement invité par de nombreux membres du Gotha et chefs de gouvernement, lors de la guerre contre la Russie en 2008, il monte au front et partage le quotidien des soldats qui résistent aux chars du président Vladimir Poutine. La naissance de son fils, Georges, est l’image de cette unité que revendique la présidente Salomé Zourabichvili. En effet, le monarchisme géorgien est divisé entre deux branches rivales qui revendiquent le trône, avec chacun ses ordres, ses sites officiels, ses partisans et que l’on a tenté de réconcilier par des noces fastueuses. «La société géorgienne devrait réfléchir au fait que la Géorgie a été une des plus anciennes monarchies et que cette forme de gouvernement lui a toujours apporté la paix dans le pays » a déclaré le patriarche, assis aux côtés des deux princes Bagration lors du repas qui a suivi la cérémonie d’investiture. Et qui aura pu constater avec plaisir, la bonne entente entre l’héritier au trône et la présidente de la république.
« Les géorgiens ne se sont jamais soulevés contre les Bagration, n’ont jamais organisé de révolutions contre eux, ne leur ont jamais coupé la tête » a déclaré le directeur de film Georgy Khaindrava. «Notre peuple a une mentalité monarchique et ils élisent habituellement des tsars, non des présidents » avait-il surenchéri dans une interview en 2013. Dernièrement, le Catholicos Ilia II a suggéré que lors du 16ème ou 18ème anniversaire du jeune prince Giorgi, il faudrait alors proclamer la monarchie. Une attente qui mènerait le pays vers le chemin de la restauration en 2027 ou 2029. Pas sûr que Salomé Zourabichvili, déjà contestée par une opposition qui ne goûte pas cette ambiance monarchique (elle a fait revenir il y a quelques jours, un portrait unique de la reine Tamar, sainte et équivalente de notre Blanche de Castille, au palais de l’Art), ait la patience de tenir à la tête d’un pays qui attend toujours désespérément son roi providentiel.
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Publié le 18/12/2018