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Constantin II et la monarchie grecque

« Mes prédécesseurs ont pris le chemin de l’exil à cause de révolutions, jamais à cause du peuple. Le peuple de Grèce est monarchiste de sentiment. Tous les rois sont revenus. »

Κωνσταντ?νος Β? της Ελλ?δας (2017)

 

30« Je ne suis pas l’ancien roi Constantin, je suis le roi Constantin, fin de l’histoire ! » (Γλ?ξμπουργκ: “Τελε?α και πα?λα. Ε?μαι ο Βασιλε?ς Κωνσταντ?νος).

Le ton de sa voix est à la fois doux et combatif mais ne laisse pas de place aux doutes. Lorsqu’il répond aux questions du journaliste, qui l’interviewe pour une chaîne de la télévision grecque (Skai TV) le 31 mai 2016, celui qui a régné de 1964 à 1974 sur le pays de Périclès assume pleinement encore sa charge de monarque en dépit du lourd poids de l’exil. « Cela ne change rien en soi que je sois qualifié d’ancien souverain, de vestige du passé ou même que l’on m’appelle encore roi de Grèce,  il n’en demeure pas moins que je suis et je demeure le roi Constantin ».  Son pays est alors en pleine crise institutionnelle doublé d’une forte instabilité économique qui frappe cette nation, socle fondateur de la démocratie, de plein fouet. « Si les grecs souhaitent le retour de la monarchie, alors je l’accepterais » déclare-t-il.

C’est dans la nuit du 13 au 14 décembre 1967 que la famille royale de Grèce a pris le chemin de l’exil. Sixième souverain d’une dynastie montée sur le trône hellène un siècle auparavant, Rome sera la première destination d’une maison qui a régné chaotiquement sur un pays où « les rois reviennent toujours » avait dit, par bravade, à un officier putschiste trop pressé, la reine-mère Frederika de Hanovre. 8 mois après le putsch des colonels qui était censé mettre fin à la crise politique et qui avait imposé au souverain un gouvernement composé de civils et d’officiers militaires, le roi Constantin II avait tenté depuis la province de Thessalonique d’organiser un contrecoup d’état afin de restaurer cette démocratie si chère à Socrate et Platon. Il avait le soutien de l’armée de l’air et de la marine prête à bouger et bombarder le Pirée, ce port célèbre d’Athènes. Mais ce descendant de vikings n’avait pas souhaité faire couler le sang de ses concitoyens. Trop de tergiversations, trop d’indécisions pour ce sportif de 27 ans désormais menacé par une colonne de char qui se dirigeait à vives allures vers la ville de Kavala où il s’était réfugié avec ses partisans. Marié à une de ses cousines, Anne-Marie du Danemark, le palais de Tatoï ne devait plus entendre les rires de la princesse Alexia ni les pleurs du diadoque Paul encore dans ses langes.

31Laminé, le parti monarchiste était en décomposition. Sans rois, sans leaders, la plupart emprisonnés par les militaires qui avaient toutefois pris soin de ne pas abolir la monarchie encore trop populaire mais qui s’empresseront rapidement de faire approuver une nouvelle constitution réduisant fortement ses pouvoirs. Désormais, Constantin II n’est plus qu’un roi aux pouvoirs honorifiques d’un « régime monstrueux ».  Les émeutes estudiantines entre janvier et mars 1973, décidément trop favorables au roi, poussent la junte à regarder de plus près le dossier « Glücksbourg » comme on appelle avec mépris le roi. Et lorsque deux mois plus tard, la Marine tente un coup d’état pour renverser ces colonels aux lunettes de soleil trop noires  afin de le restaurer, la junte décide du sort de la monarchie. Le 1er Juin, le colonel Papadopoulos ne s’embarrasse plus de détails et proclame la République en toute illégalité. Les putschs succèdent aux putschs. Lorsqu ‘en novembre 1973, le général Phaidon Ghizikis et le commandant en charge de la Sureté, Dimitrios Ioannides prennent le pouvoir à Athènes, ils annoncent que la constitution est illégale et remettent temporairement l’ancienne en vigueur. Constantin II dépêche le vice-amiral Marios Stavridis, ancien aide de camps de son père, pour mener des négociations qui n’aboutissent à rien. La crise chypriote gangrène tout espoir de retour de la monarchie et le leader de l’opposition, Constantin Karamanlis (Nouvelle démocratie, conservateur) n’entend pas le rappeler.

33 2« Γιαλ?, γιαλ? πηγα?ναμε, κι ?λο για σ?να λ?γαμε » (Sur le rivage, sur le rivage nous marchons, Et parlons tout le temps de toi) disent les paroles de cette musique traditionnelle grecque et que va populariser sous le titre « Yalo, Yalo », la chanteuse Nana Mouskouri. Le 8 décembre 1974, en dépit d’une campagne télévisée où apparait le souverain, un référendum truqué confirmera à 70%  la fin de la monarchie face à un faible 31% de non (dont 45% dans le Péloponnèse et la Thrace, les scores les plus hauts pour les monarchistes. On peut citer également dans certaines circonscriptions électorales des taux élevés en faveur du roi comme en Laconie 59,52%, en Rodopi 50,54%, en Messénie 49,24, Ilia 46,88 ou en Argolide 46,67%). Les listes civiles du roi et de sa famille sont supprimées, ses biens mis sous séquestre, le roi doit quitter l’Italie pour Londres. « ?λληνες και Ελλην?δες. Πιστ?ς στη διακ?ρυξ? μου, επαναλαμβ?νω ?τι προ?χει η εθνικ? εν?τητα χ?ριν της ομαλ?τητας, της προ?δου και της ευημερ?ας της Χ?ρας και ε?χομαι ολ?ψυχα οι εξελ?ξεις να δικαι?σουν το αποτ?λεσμα που προ?κυψε απ? τη χθεσιν? ψηφοφορ?α » (« Grecs et grecques. Fidèle à ma mission, l’unité nationale reste importante  comme le progrès et la prospérité du pays et j’espère de tout cœur que l’évolution de la situation justifiera le résultat du vote d’hier ») annonce le communiqué du roi « qui meurt d’impatience de revenir chez lui » et qui va devoir entamer un nouveau chapitre de sa vie couronné, néanmoins par la naissance de 3 autres enfants entre 1969 et 1986.

Pour les royalistes, il s’agit de se reconstituer en parti politique. Le parti de l’Alignement national dirigé par l’ancien premier ministre Stephanos Stephanopoulos devient le 5ème parti d’opposition aux élections de 1977. Officiellement royaliste, ses 6 députés sur 300 dans l’hémicycle ne pèsent guère dans le jeu politique qui se bipolarise entre les conservateurs de la Nouvelle Démocratie (lequel compte aussi de nombreux ténors de la droite royaliste) et le parti socialiste (PASOK) de la famille Papandhréou qui voue une haine tenace au roi. Privé brièvement de sa citoyenneté (1974-1975), le roi est de nouveau  officiellement autorisé à revenir dans le pays à condition qu’il ne fasse pas de politique.

34Et qui refuse. En fait, Constantin II ne reposera les pieds dans son pays  avant le 12 février 1981, le temps d’accompagner le cercueil de sa mère à Tatoï. La république a fait des « pieds et des mains » pour autoriser son monarque à entrer en Grèce et Constantin II peut remercier alors son beau-frère, le roi d’Espagne, qui est personnellement intervenu dans cette affaire. Si le gouvernement fera tout pour ne pas médiatiser cette venue, ce sont des milliers de grecs qui ovationnent la famille royale.

Ce regain de popularité irrite le gouvernement qui le prie de quitter un pays qui renoue avec ses crises institutionnelles à répétition. En février 1988, coup de tonnerre dans la classe politique grecque. Bien qu’opposé personnellement à la restauration de la monarchie, le leader de la Nouvelle Démocratie (ND), Constantin Mitsotakis, critique publiquement et ouvertement la légalité supposée du référendum qui avait mis définitivement fin à la monarchie en 1974. Mais si le PASOK perd les élections avec 123 sièges face à la Nouvelle Démocratie qui en obtient 148, la droite est loin d’obtenir une majorité stable qui permet à  Andreas Papandhréou de se maintenir au pouvoir (depuis 1981). Fils de premier ministre, l’homme est connu pour avoir été compromis dans une tentative de putsch organisé par des éléments militaires de gauche en 1965 (dit de l’Apostasie)  qui provoquera la chute de son père et à court terme l’avènement de la junte. Et c’est alors qu’il est hospitalisé, qu’une nouvelle affaire de corruption éclabousse cette famille de phanariotes qui finit par tomber une nouvelle fois. Constantin Mitsotakis, élu premier ministre, entame alors de nouvelles négociations avec le roi Constantin II.

Le 9 août 1993, le roi revient en Grèce. Durant tout un mois, Constantin II et son épouse parcourt le pays et c’est un triomphe qui finit par gêner ses nouveaux alliés. Autant que les socialistes qui dénoncent ces manifestations monarchistes avec en fond de toile le palais de Tatoï que le souverain espère récupérer. Le PASOK organise des contre-manifestations, les royalistes font le coup de poing dans les rues entre deux sirtakis, et les socialistes déposent même une plainte pour haute trahison envers le roi au parquet de Salonique

 a venue du roi, vécue comme une menace de la stabilité de la république (le yacht royal est entouré en permanence de bâtiments militaires), est alors écourtée le 23 août suivant. Constantin II repart avec la promesse de revenir rapidement. De nouveau au pouvoir en 1994, Papandhréou s’empresse de faire annuler les accords pris entre le ND et le roi, pire, lui enlève sa nationalité et renationalise ses biens récupérés. Un long conflit s’engage entre le roi et le gouvernement devant le tribunal des droits de l’homme qui condamne la Grèce à verser 12 millions d’Euros de dédommagement au souverain. Que Constantin II place dans un fond qui se chargera de redistribuer en faveur de causes caritatives ou utilisées dans le cadre de catastrophes naturelles.  Le conflit entre le roi et la PASOK atteint son paroxysme lors du mariage du prince Paul avec Marie-Chantal Miller (juillet 1995). Lorsque les socialistes apprennent la présence de députés du ND qui félicitent le roi chaleureusement,  ils exigèrent sur le champ la démission immédiate des élus.

35Ce n’est qu’en août 2004 que Constantin II débarque une nouvelle fois en Grèce. L’organisation des jeux olympiques a été le prétexte pour le roi de venir dans son pays mais sous couvert d’un passeport danois et sous le nom de Constantin de Grèce. Ce que ne manquera pas de railler l’opposition qui le surnomme par un habile jeu de mots « Constantin disgracié ». Les « rois reviennent toujours ». L’histoire a démontré de nombreuses fois la véracité de cette maxime. En 1920, Constantin Ier, qui avait eu l’outrecuidance de s’afficher sa neutralité lors du premier conflit mondial mais surtout le tort d’être le beau-frère du Kaiser pour les pays de l’Entente, est remis sur son trône. Tout comme son fils, Georges II qui sera par deux fois rappelé en 1935 et 1946. République et second conflit mondial obligent, la famille royale avait connu les contraintes d’un exil difficile. Le 24 décembre, le président Costis Stéphanopoulos, ancien député royaliste en 1964,  reçoit officiellement le roi au palais présidentiel. Une reconnaissance. Il faudra cependant attendre 2013 avant que le roi n’annonce enfin son retour officiel en Grèce.

Le pays vit une profonde crise économique qui a mis fin au pouvoir hégémonique des deux partis de droite et de gauche. Le roi peut-être une alternative ? L’Europe y songe en 2012, mais sous pression, renonce à l’idée. Constantin II, qui a fini par reconnaître les résultats de 1974, assure aux médias qu’il n’entend pas faire de politique mais reste à la disposition des grecs qui le souhaitent. « Quelques personnes viennent me dire naturellement  qu'ils ont voté contre moi lors du référendum qui a aboli la monarchie » dit le roi avec sourire au journaliste espagnol d’ABC qui l’interviewe.  « Je leur répond que je n’ai aucune rancune, que nous vivons dans un pays libre. D’ailleurs, je n'ai pas besoin de savoir qui a voté contre moi » s’en amuse t-il. Constantin II, nouvelle épine du gouvernement ? Non, il ne souhaite pas créer de mouvement monarchiste mais compte uniquement sur le désir des grecs de le voir remonter sur le trône.

36 1Et si le 21 avril 2007, un sondage réalisé par le journal « To Vima » avait révélé que seuls 11.6% des grecs souhaitaient le retour de la monarchie,  le royalisme grec s’incarne à travers le souverain encore charismatique, ses partisans inondant les réseaux sociaux de photos et actualités en tout genre sur la famille royale. Plus de 8000  personnes suivent quotidiennement la vie des « royaux de Grèce », en particulier celle de la nouvelle génération friande d’instagram. A un tel point, que le fils aîné du prince Paul, Constantin âgé de 20 ans , a été obligé de retirer des photos jugées trop …dénudées de son compte pour ne laisser de lui qu’une véritable image princière. Dans les urnes, le sulfureux mouvement royaliste, « Espoir national » n’a guère dépassé les 1% de voix avant d’être interdit de se représenter aux élections de janvier et septembre 2015. A diverses reprises, les princes Paul et Nicolas ont annoncé vouloir mettre en place un mouvement démocrate mais excepté quelques déclarations de politique intérieure, leur parti n’a toujours pas vu le jour. Il est vrai que le roi avait sérieusement recadré ses fils en leur demandant d’éviter toutes prises de positions politiques, Paul ne cachant pas sur son compte Twitter son opposition et son aversion au mouvement d’extrême-gauche Syriza, au pouvoir depuis août 2015 (Constantin II a avoué en juin qu’il avait rencontré Alexis Tsipras dans un salon de l’aéroport international d’Athènes mais n’avait pas souhaité lui donné de soutien). Quant à Nicolas, en avril 2016 il a fini par annoncer que ce « n’était plus à l’ordre du jour », dénonçant la multiplication des partis politiques.

 « Un monsieur comme tout le monde »   finira par titrer la presse internationale à propos de Constantin II dont la santé est déclinante. On évoque son nom comme possible ambassadeur à l’instar de Giorgos Karatzaferis, leader du mouvement d'extrême-droite « Unité politique » qui s’en fera l’écho et qui annonce qu’il souhaite travailler avec le roi. Qui ne donnera pas suite à cette proposition. Le président Prokópis Pavlópoulos  (ND) va même l’appeler « votre majesté » devant les caméras et le visage abasourdi des députés du PASOK (25 avril 2016). Même le ministère de la culture grecque y va de son  laïus en annonçant, en février 2017 que le palais de Tatoï sera rénové et restauré. « Mes prédécesseurs ont pris le chemin de l'exil à cause de révolutions, jamais à cause du peuple. Le peuple de Grèce est monarchiste de sentiment. Tous les rois sont revenus » déclare alors  le roi Constantin II qui a pu goûter son degré de popularité lors des funérailles de premier ministre Konstantinos Mitsotakis  en juin 2017 ou encore à celles de Zoï Láskari, ancienne miss Grèce et conseillère municipale..

37Aux cris de « vive le roi », Constantin II a été submergé par les larmes, accompagné par son fils cadet,  devant ce millier de grecs venus l’accueillir pour ces deux événements. Et la presse nationale de s’en faire l’écho.

Appelé à se prononcer en janvier dernier dans le conflit qui oppose la Grèce et la Macédoine sur le nom porté par cette dernière, ex-province yougoslave devenue indépendante, le roi Constantin II apparaît toujours comme une référence de neutralité et une alternative possible pour les grecs. Dans un communiqué, l’ancien monarque a alors conseillé fermement « aux enfants du Pirée» de « trouver rapidement un terrain d’entente avec leurs voisins au nom de l’unité », jugeant  « important que les deux parties en conflits » « achèvent de trouver (…) cet équilibre nécessaire». Tout en rappelant toutefois et fermement que « le caractère grec de la Macédoine ne saurait être compromis par la sélection de quelques noms que ce soit ». Royal !

 « Son fils aîné, le diadoque Paul de Grèce, qui assume son futur rôle, avait  quant à lui rapidement relayé sur son compte Twitter autant le communiqué de son père que son soutien officiel aux manifestants en affichant même le drapeau national sur son compte Instagram. Tout un symbole pour un pays qui a abolit sa monarchie en 1974.  Une position nationaliste qui a été largement appréciée en Grèce qui a retrouvé pleinement sa famille royale dont tous les membres sont désormais installés dans le pays. Dernier acte en date de la maison royale, les messages de soutiens aux sinistrés, victimes d’incendies spectaculaires durant l’été dernier. En Grèce, les rois reviennent toujours.

 

Copyright@Frederic de Natal

02/11/2018

Date de dernière mise à jour : 18/07/2022

Commentaires

  • Alain monier

    1 Alain monier Le 01/11/2020

    L Grece a besoin de notre compassion et aide et le roi Constantin II en est une ube composante Monier [/b]undefinedL Grece a besoin de notre compassion et aide et le roi Constantin II en est une ube composanre Monier [b]

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