Restauration du palais de Tatoï, remise à neuf des carrosses royaux, articles de presse élogieux, expositions ou réceptions officielles au palais présidentiel, la famille royale de Grèce bénéficie d’un certain regain de popularité depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement conservateur en juillet 2019. Pourtant, la question du retour de la monarchie dans la patrie de Périclès ne semble pas plus envisagée par les grecs que celle-ci est sur l’agenda du premier ministre Kyriákos Mitsotákis. Entre le roi des Hellènes et les grecs, une relation ambigüe qui se poursuit encore et qui laisse peu de chances à une restauration des Schleswig-Holstein-Sonderbourg-Glücksbourg sur un trône qu’ils ont occupé tumultueusement durant un siècle, entre 1863 et 1974.
Fin avril, le ministère grec de la Culture a annoncé que les carrosses et autres voitures royales, entreposés au palais de Tatoï depuis la chute de la monarchie en 1974, allaient faire l‘objet d’une restauration totale. Il n’a pas fallu longtemps pour que les réseaux sociaux monarchistes grecs ne s’embrasent dès l‘information connue et qui fait écho à celle tout aussi officielle de la prochaine réouverture du lieu de naissance du denier monarque de Grèce. Contraint à l’exil peu de temps après le putsch organisé en avril 1967, par une faction de colonels désireux de mettre fin à l’anarchie politique qui régnait dans la monarchie, Constantin II, devenu apatride, va s’employer à incarner l‘image d’un espoir puis d’une alternative crédible à la république, proclamée à l’issue d’un référendum controversé en 1974. Le seul de toute l’histoire grecque qui n’aura pas rappelé au pouvoir ses souverains. Cousins des monarques d’Europe, Constantin II est finalement revenu s’installer dans son pays en 2004, dans le Péloponnèse, une province qui demeure attachée à une dynastie montée sur le trône en 1863. Loin d’être absent des enjeux politiques de son pays, il a accordé de nombreuses interviews qui ont laissé dubitatifs plus d'une fois les grecs, une nation qui continue de regarder sa maison royale avec des yeux teintés d’ambiguïtés.
Il faudra attendre la nomination de Konstantínos Mitsotákis (père de l’actuel chef de gouvernement) comme Premier ministre en 1990 pour que les tensions entre la famille royale et le gouvernement ne s’apaisent. A cette époque, se proposant comme solution crédible alors que le mur de Berlin commençait à peine à montrer ses premières fissures, Constantin II avait profité d’une interview accordée au New York Times pour se rappeler au bon souvenir de ses compatriotes, provoquant un tollé parmi les députés du PASOK (Parti socialiste) opposés à son retour. En dépit de l’échec de négociations entre la famille royale et le gouvernement de la Nouvelle Démocratie (ND) sur la restitution d’objets et propriétés ayant appartenu au souverain, le gouvernement avait autorisé le roi des Hellènes et sa famille à revenir en Grèce en 1993. Un voyage couronné de succès, peut-être trop pour la droite qui n’avait pas prévu que des milliers de personnes se précipiteraient à leur chevet ni que des ministres ou officiers militaires viendraient présenter leurs hommages à un souverain déchu. Lorsque des députés du ND s’étaient montrés au mariage du diadoque Paul avec Marie-Chantal Miller deux ans plus tard, le PASOK (revenu aux affaires du pays) avait émis une violente protestation, accusant une droite d'être trop indécise vis à vis du monarque et de donner un caractère trop officiel au fils de « Monsieur Glücksbourg ».
La crise économique de 2008 a permis à Constantin II de ré-émerger au centre du jeu politique grec, laissant naître diverses spéculations. Un certain degré de normalité a pu même être établi entre la famille royale et le gouvernement. Preuve en est que le mariage de son second fils, Nicholas, célébré en Grèce, n’a provoqué aucun émoi politique. Et bien qu’il ait donné un blanc-seing à la politique du premier ministre d’extrême-gauche Alexis Tsipras (2015-2019), lequel a reconnu dans une interview avoir rencontré le roi entre deux salons d’aéroports, ou que l’Europe ait pensé à un éventuel retour, finalement resté lettre morte en 2012, le souverain reste encore une personne clivante aux yeux des grecs. Selon une enquête publiée par le journal TO VIMA en avril 2007, seuls 12% des grecs souhaiteraient le retour de la monarchie. Avec des royalistes qui ont été jusqu’ici incapables de se rassembler au sein d’une mouvance structurée. La seule formation se réclamant du roi, provenant de l‘extrême-droite, Espoir National, n’a pas dépassé les 1% lors de sa participation au scrutin législatif de 2012 (sa candidature a été rejetée par la suite de toutes les élections suivantes). C’est donc sur les réseaux sociaux que les partisans du roi se gargarisent de photos, de reportages rappelant les grandes heures de la monarchie défunte ou d’articles distillés ci et là avec ses spécialistes reconnus de l‘histoire monarchique grecque. Quelques événements commémoratifs trahissent pourtant ce calme relatif au sein d’une mouvance qui attend d’éclore totalement mais qui reste marqué par un manque de soutien total du roi, désormais affaibli par la maladie.
Les grecs reprochent également aux membres de leur famille royale, leur côté très « bling-bling », le comportement trop jouissif de la nouvelle génération de princes et princesses qui se pavanent sur Instagram (ce qui a contraint d’ailleurs le diadoque Paul à obliger son fils aîné de retirer toutes ses photos où il apparaît à moitié nu) ou Tik Tok. Quand ils ne montrent pas une vie parfois trop luxueuse, éloignée des soucis de leurs compatriotes qui peinent encore à remonter financièrement la pente dans un pays livré à l’appétit des chinois et laissé exsangue par la crise migratoire. Et si le prince Nicholas, qui a songé un temps à créer lui-même un parti politique avant d’abandonner l‘idée, ne cesse de « mettre en exergue le patrimoine du pays et de donner une image positive de la Grèce » à l’international, leurs compatriotes restent toutefois très sceptiques. Ils n’ont pas oublié que le gendre du souverain a été l’objet de soupçons de corruption avant d’être blanchi. Dans un pays où cette pratique douteuse est un sport national qui semble difficile à endiguer, cette histoire avait entachée l’aura de la maison royale.
D’après Régine Salens qui a consacré un article à cette question en 2015, « les membres de la famille royale ne bénéficient pas de la popularité qu’un prince Alexandre de Serbie peut avoir actuellement en Serbie ou d’une reconnaissance d’un statut particulier comme le roi Michel de Roumanie et sa famille ». « Soucieux du meilleur pour sa patrie, Constantin de Grèce reste malgré tout très en marge, vivant sa vie paisiblement et ne s’investissant que par le bais de sa fondation Anna Maria sur le terrain, ce qui fait qu’au jour d’aujourd’hui le sentiment monarchiste soit extrêmement limité » confirme la journaliste sur son blog « Noblesse et Royautés ». Et pourtant les Schleswig-Holstein-Sonderbourg-Glücksbourg restent l‘objet de toutes les attentions des médias locaux qui épient le moindre geste des membres de sa famille royale adulée, courtisée ou détestée. Dernièrement, le Premier ministre Kyriákos Mitsotákis et la présidente Ekateríni Sakellaropoúlou ont reçu officiellement la reine émérite d’Espagne, Sofia de Grèce, rentrée dans son pays mais sans… son frère de souverain qui a fêté ses 80 ans en famille.
Une relation mi-figue, mi-raisin entre le gouvernement, les grecs et Constantin II qui ne permet pas d’envisager à court terme la restauration de la monarchie dans la patrie de Périclès et de Démosthène. Quand même bien si les « rois reviennent toujours », comme l'avait fait remarquer la reine Frederika de Hanovre, le retour de Constantin II sur son trône, c'est encore « Οχι ! » (non !).
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