C'est une petite phrase prononcée lors d'un entretien accordé au quotidien Corriere della Sera qui a semé l'émoi dans le milieu monarchiste italien. Petit-fils du roi Umberto II, le prince Emmanuel-Philibert de Savoie a annoncé qu'il entendait renoncer à ses droits au trône en faveur de sa fille aînée. Une décision qui pourrait favoriser les Savoie-Aoste, la branche rivale.
Le 4 juin 2023, c'est à l'occasion d'une visite dans une école primaire de Turin, dans le cadre des activités des Ordres dynastiques de la maison de Savoie, que le prince Emmanuel-Philibert a accordé une interview au quotidien Corriere della Sera. Le petit-fils du roi Umberto II est un passionné, un amoureux de l'Italie dont il ne cesse de vanter l'excellence et la culture. « (…) C'est le plus beau pays du monde, avec au moins 50 % des merveilles mondiales » affirme d'ailleurs le prince de Venise. Pour cet héritier au trône qui s'est vainement essayé à la politique à diverses reprises, le futur de sa famille s'écrit au féminin. Il ne tarit pas d'éloges sur sa grand-mère, la reine Marie-José (1906-2001) dont il était très proche. « Il y a plus de femmes de la maison de Savoie qui sont restées dans l'Histoire que d'hommes. Ma grand-mère était extraordinaire. Elle me proposait toujours un livre à lire et ensuite nous en parlions. Elle m'a raconté les belles rencontres qu'il avait faites, de Charlie Chaplin à (Albert) Einstein en passant par (Gabriel) D'Annunzio. Elle avait une âme rock & roll. Elle a grandi à la cour de Belgique et était très ouverte culturellement » se rappelle avec émotion Emmanuel-Philibert de Savoie.
Prince Emmanuel-Philivert de Savoie : « La loi salique est anachronique, elle est dépassée »
« Les gens aiment la monarchie. On a pu le constater avec le nombre astronomique de téléspectateurs qui ont regardé à la fois les funérailles d'Elizabeth et le couronnement de Charles III. Il y a quelque chose de fascinant dans la monarchie que les gens aiment regarder, même de loin. Peut-être que lorsqu'il y a des périodes de crise, les gens y voient une présence forte, presque spirituelle, chez les rois et les reines. En Europe, les monarchies se portent très bien » fait remarquer le prince Emmanuel-Philibert au fur et à mesure des questions qui lui sont posées. Des institutions qui seront bientôt majoritairement dirigées par des femmes. Le 15 janvier 2020, le prince Victor-Emmanuel de Savoie a décidé de modifier les règles de succession de sa famille et d'autoriser la princesse Vittoria (19 ans) à monter sur le trône. Présentée officiellement en mars dernier à l'abbaye de Hautecombe, titrée princesse de Carignan et marquise d'Ivrée, la fille aînée du prince Emmanuel-Philibert de Savoie est mannequin, influenceuse, poursuivant actuellement des études d'histoire de l'art et sciences politiques en Angleterre. « Je vais renoncer et laisser une femme s'avancer encore une fois, je suis sûr qu'elle fera mieux que moi. C'est mon père qui a pris cette décision que je trouve très juste et moderne. Bientôt, en Europe, il y aura plus de reines que de rois. Tout le monde se rend compte, bien qu'un peu tard, que l'intelligence et la sensibilité des femmes responsables puissent être merveilleuses. La loi salique est anachronique, elle est dépassée. Les hommes n'ont rien de plus, sinon rien de moins » explique le prince Emmanuel-Philibert.
Une future renonciation à ses droits au trône qui a de quoi surprendre quand on sait avec quelle vigueur il se bat pour balayer les arguments des partisans de la branche rivale au trône d'Italie celle des Savoie-Aoste, qui affirme que le mariage de son père avec Marina Doria (1971) n'a pas été reconnu par le roi Umberto II. Une querelle qui perdure depuis 2003, qui continue de diviser les monarchistes italiens et qui a été renforcée avec la modification de la loi de succession. « L’abdication » prochaine du prince Emmanuel-Philibert pourrait d’ailleurs profiter au prince Aimone de Savoie-Aoste soutenu par l’Union monarchique italienne (UMI), la plus importante association royaliste de la botte de l’Europe. Avec seulement 18% d'Italiens qui souhaitent un retour de la monarchie abolie en 1946, « l'institution royale a-t-elle des chances d'être rétablie un jour ? » poser comme question le Corriere della Sera. « L’Italie est une République » répond laconiquement le prince Emmanuel-Philibert, la tête dans les étoiles, songeant qu’il aurait pu être astronaute si le destin ne l’avait pas contraint à porter sur ses épaules un lourd héritage. Une couronne de jure qu'il a décidé de transmettre au nom de l'égalité des sexes.
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