«Nous ne souhaitons pas restaurer la monarchie mais seulement redonner à une dynastie qui a fait la grandeur de Naples, toute la place qu’elle mérite dans notre histoire». Créée en 1993, l’Associazione Culturale Neoborbonica (Association Culturelle Neo-Bourbon) connaît un regain de popularité dans une Italie qui a bien du mal à faire face à ses multiples crises. Bien qu’elle se défende de toute activité royaliste, ces nostalgiques de la monarchie défunte des Deux-Siciles rêvent secrètement de couronner la botte italienne et de retrouver leur indépendance perdue.
«Nous devions être 80 …nous avons été 400 à nous réunir ce jour-là !» se rappelle Gennaro De Crescenzo, le président de l’Associazione Culturale Neoborbonica (Association Culturelle Néo-Bourbon), heureux d’avoir fait la une du journal «Le Figaro» de l’époque. C’est le 7 septembre 1993 que l’association a été portée sur les fonts baptismaux avec la ferme intention de réhabiliter l’histoire d’une monarchie emportée dans le tourbillon du Risorgiminento. Aujourd’hui, ils sont plus d’un millier à avoir adhéré au mouvement néo-bourbon se félicite Gennaro De Crescenzo, satisfait de ce pied de nez historique fait à la maison de Savoie. Le succès ne se dément pas comme l’affirme le webzine indépendant « 2duerighe ». Le président du «Movimento Neoborbonico» ne se lasse d’ailleurs pas de raconter dans quel enthousiasme les napolitains avaient accueilli le retour dans sa patrie du prince Ferdinand IV de Bourbon- Sicile (1926-2008), descendant de Louis XIV et prétendant au trône.
«Nous fûmes les Guépards, les Lions ; ceux qui nous remplaceront seront les petits chacals, les hyènes.[.] et tous ensemble, Guépards, chacals et moutons, nous continuerons à nous considérer comme le sel de la terre.» avait déclaré dans le film à succès de Luchino Visconti, «Le Guépard», l’acteur Burt Lancaster campant un impeccable «prince Fabrizio Corbera de Salina, un aristocrate sicilien vieillissant et lucide». Rien ne fut plus vrai. C’est au soir du 6 septembre 1860 que le roi François II quitte sa chère Napoli en compagnie de son épouse, Marie-Sophie de Bavière, quelques aristocrates, princes, officiers de l’armée. Le royaume des Deux-Siciles, qui avait vécu tant de soubresauts durant son existence, faisait face à son destin et aux chemises rouges de Guiseppe Garibaldi. Gaète allait être le dernier acte d’un opéra tragique commencé en 1720 avec la conquête des anciens états angevins par le roi Charles VI d’Espagne et que viendra perturber un temps, Napoléon Ier et le maréchal Murat. Autour du jeune roi de 24 ans, divers diplomates représentant les maisons royales et impériales d’Europe, venus lui témoigner un simple soutien…oral. Le siège fut épique mais acculé, le roi avait dû se rendre à l’évidence que la partie était terminée. Après 102 jours de la résistance héroïque, il avait décidé de déposer les armes en février 1861. «Viva il Re ! » furent les derniers cris que le souverain bourbon et son épouse entendirent, couverts par le bruit des canons saluant le courage du roi et de la reine, sur le chemin d’un exil vers Rome ou le pape Pie IX les prendra sous sa protection.
La chute de Gaète est une date anniversaire que les néo-bourbons ne manqueraient d’ailleurs pour rien au monde. Chaque année, en costume d’époque, on refait l’histoire, on assiste aux messes de commémorations, on organise des conférences afin de faire re-découvrir l’histoire et le mode de vie des siciliens et des napolitains et on dénonce l’illégalité d’un référendum qui avait rattaché le royaume au reste de l’Italie. «Une guerre brutale de conquête menée par la Savoie, avec le soutien des grandes puissances européennes» affirmait lors d’une interview en septembre 2016, Gennaro De Crescenzo qui n’hésite pas à qualifier cette invasion de «viol par le Piemont-Sardaigne ». D’ailleurs, il accuse la famille royale d’Italie d’avoir mis en place de véritables camp de concentrations contre les siciliens et la maison de Savoie d’avoir sciemment fait déporter et mourir des milliers d’italiens du Sud qui refusaient de prêter serment au nouveau roi Victor-Emmanuel II.
Entre les partisans de l’indépendance du Sud et les partisans de l’unité italienne, on règle ses comptes à coup de communiqués dans la presse locale. Lors de la visite en janvier 2018 du prince Emmanuel-Philibert de Savoie, les néo-Bourbons n’avaient pas hésité à manifester leur mécontentement de manière publique. Dans une longue lettre au journal «Il Mattino», Gennaro De Crescenzo avait rappelé les «crimes perpétrés par la maison de Savoie dans le sud de la botte et contre une nation qui avait été prospère». Peu d’historiens d’ailleurs remettent en cause cette réalité. Très avancé dans les domaines technologiques, scientifiques et industriel (elle avait été la première à monter un pont suspendu), le royaume des Deux-Siciles possédait la 3ème marine militaire du continent, la première commercialement parlant. Économiquement et en dépit de ses faiblesses sociales, elle représentait 66% des finances publiques de la péninsule italienne.
Le monarchisme néo-bourbon n’a pas réellement disparu de l’histoire italienne. De nombreux mouvements seront actifs à la fin du XIXème siècle. L’association des conservateurs catholiques (1866), le Cercle Ferdinand-Pie de Bourbon associé au mouvement des Jeunes légitimistes (1896), l’Union du Sud...seront tous favorables aux Bourbon-Sicile et esayeront en vain de récupérer ce qu’ils ont perdu. Avant de disparaître dans la première décennie du XXème siècle. En décembre 2000, l’association a tenté de déposer une plainte contre la famille royale de Savoie auprès de la Cour des Droits de l’homme à Strasbourg «pour qu’elle la juge sur les crimes commis en leur nom dans le Sud de l’Italie». Une plainte qui n’a pas abouti. Et quand les Savoie avaient été autorisés à revenir dans leur pays après l’abrogation de la loi d’exil en 2003, leur visite à Naples ne s’était pas fait sans heurts. Drapeau de l’ancien royaume claquant au vent, le prince Victor-Emmanuel de Savoie et sa famille avaient été copieusement insultés par les habitants.
«La renaissance culturelle et politique néo-bourbonienne n’a rien d’absurde, nous sommes fiers de notre identité » affirme Gennaro De Crescenzo, agacé que son mouvement soit taxé de folklorisme et de révisionisme par ses détracteurs. Lors du G7 organisé à Naples en 1994, le mouvement avait envoyé une lettre de protestation aux présidents étrangers et au président du Conseil en leur reprochant l’utilisation des Palais royaux sans rendre le moindre hommage à la famille royale. Une publicité qui avait fait la notoriété de l’association. Avant de précéder une autre tout aussi retentissante. Le 18 mai 1995, lors du match Milan–Naples, 20 000 drapeaux de l’ancien royaume avaient été déployés dans le stade qui accueillait ce match de football. Tout un symbole. Depuis, il est assez fréquent de voir des drapeaux de l’ancien royaume lors de compétions sportives.
Le mouvement s’est développé. On le trouve à Rome et à Milan, voir même en Amérique du Sud.. Politiquement, il est autant proche de la Ligue du Sud (autonomistes) que de Forza Italia (avec qui il s’était allié lors des élections régionales de 2015) que du mouvement populiste 5 étoiles (qui a fait voter le 3 septembre 2019, dans deux conseils régionaux italiens, les Pouilles et Basilicate une loi décrétant le 13 février comme «Journée du souvenir des victimes de l'unification italienne»). Ce dernier a curieusement fait ses meilleurs scores dans le sud de l’Italie et le vote en sa faveur n’a pas été sans rappeler les frontières de l’ancien royaume s’est même amusé à comparer la presse. «Le Roi actuel [François II] n'était qu'un séminariste habillé en général. Et, à vrai dire, il ne valait pas grand-chose » avait dit un amer prince de Salina. Le dernier souverain des Deux-Siciles est décédé en 1894. En décembre, l’Associazione Culturale Neoborbonica a annoncé qu’elle avait déposé une demande de béatification à la stupéfaction de tous. Un véritable coup de communication qui en dit long sur l’influence des néo-bourbons.
Dynastiquement, l’Associazione Culturale Neoborbonica est proche du prince Charles de Bourbon, duc de Castro, qui a ses assises dans cette partie de l’Europe. Bien qu’elle affirme avoir peu de contacts avec le prétendant et qu’elle n’ait pas pris position dans la crise de succession à venir, ces néo-bourbons le soutiennent très ouvertement. Comme en 2018 où lors d'un rassemblement, on a pu voir une princesse héritière, Marie-Caroline, agiter le drapeau du royaume des Deux-Siciles. Une division au sein de la maison royale qui ne favorise toutefois pas l’émergence du royalisme néo-Bourbon dans le Sud de l’Italie, cantonné au rang de mouvement mineur. L’indépendance du Sud de l’Italie ? 44% des siciliens et des napolitains y songeaient encore en 2014. «Si nous comparons nos deux histoires, le sud s'en sortirait aujourd'hui bien mieux sans le nord » achève de dire Gennaro De Crescenzo, un brin souverainiste, qui réclame la mise en place d’un parlement du Sud qui se voudrait «une initiative de caractère civico-culturel afin que celui-ci puisse débatte des nombreux problèmes irrésolus par le gouvernement républicain dans le Sud de l’Italie » et qui songe désormais à présenter ses propres candidats aux prochaines élections.
Copyright@Frederic de Natal