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Les Savoie, à l'heure de la réconciliation ?

Aux funérailles du prince Victor-Emmanuel de Savoie, fils du roi Umberto II, les deux branches rivales de la Maison royale d’Italie se sont embrassées chaleureusement devant le cercueil. Un moment immortalisé par la presse. L’événement sonne-t-il réellement la fin de la querelle dynastique qui opposent les Savoie aux Savoie-Aoste pour la couronne d’Italie ?   

Le 10 février 2024, l’Italie a rendu un ultime hommage à sa monarchie défunte. Têtes couronnées d’Europe, autorités locales, monarchistes ou simple curieux se sont rassemblés autour du cercueil du prince Victor-Emmanuel de Savoie, décédé à l’âge de 86 ans. Bien que la cérémonie ait été largement couverte par la presse écrite, elle a bénéficié d'une couverture télévisée limitée. Parmi les moments poignants de cette cérémonie empreinte d'émotion, les journalistes ont capturé l'étreinte chaleureuse entre le prince Emmanuel-Philibert de Savoie et le prince Aimone de Savoie-Aoste, tous deux prétendants au trône d'Italie, à la fin des funérailles.Un jeune Emmanuel-Philibert avec le roi Umberto II et la reine Marie -Jose

Une question dynastique en sommeil, ravivée par l'abrogation de la loi d'exil

La question dynastique a suscité des débats intenses depuis le mariage du prince Victor-Emmanuel de Savoie avec Marina Doria, championne de ski nautique (1970). La position du roi Umberto II à ce sujet n'a jamais été totalement transparente. Certains avancent que le dernier monarque d'Italie aurait déchu de ses droits son fils héritier, soulignant qu'aucune titulature n'a été conférée à son petit-fils. D'autres affirment que le roi Umberto II (dont le décès est survenu en 1983) aurait reconnu le mariage. Jusqu'à l'abrogation de la loi d'exil en 2002, la question de la succession avait été largement éludée, la plupart des monarchistes italiens reconnaissant l'autorité de Victor-Emmanuel de Savoie. Cependant, avec la possibilité que Victor-Emmanuel de Savoie et Emmanuel-Philibert de Savoie soient contraints de prêter serment de fidélité à la République italienne, proclamée après le référendum controversé de 1946, la question dynastique a resurgi de manière inattendue.

Emmanuel-Philibert de Savoie et sa fille Vittoria

Un prétendant au trône controversé

Fondé par Umberto II, le Conseil des Sénateurs du Royaume, chargé du respect du statut Albertin datant de 1848, régissant la loi de succession au trône, s'est réuni à la veille du retour des Savoie en Italie. Des dissensions ont émergé rapidement au sein du Conseil, le divisant en deux entités distinctes qui se sont mutuellement anathématisées. Certains membres ont estimé que Victor-Emmanuel de Savoie, en se mariant sans le consentement de son père, rendait sa branche inapte à revendiquer la couronne. Les droits seraient alors automatiquement passé à la branche cadette des Savoie-Aoste, représentée par le prince Amédée de Savoie-Aoste à cette époque. Les affaires judiciaires, la récente décision de Victor-Emmanuel de Savoie de modifier les lois de succession, en accordant le droit aux femmes de monter sur le trône au détriment de la primogéniture masculine exigée par le statut Albertin (2020), a renforcé l'antagonisme entre les deux branches, qui se sont mutuellement critiquées par voie de presse.

Aimone de Savoie et son père dans ses jeunes années

Arguments versus contre-arguments 

Cependant, les partisans de Victor-Emmanuel de Savoie estiment que les mariages égaux ne sont plus obligatoires depuis la promulgation de la Constitution républicaine, considérant ces règles comme dépassées et reposant sur d'anciennes normes nébuleuses. Selon les Savoie, le roi Umberto II aurait reconnu les droits de son fils et de son petit-fils, notamment en lui conférant oralement le titre de prince de Venise, bien que cela ne soit étayé par aucun document vérifiable ni acte signé. Lors d'un entretien accordé au magazine Point de Vue, la reine Marie-José avait balayé tout argument en faveur des Aoste, déclarant en 2006 : « Le roi Umberto ne s'est jamais exprimé sur cette question d'Amédée (qui a eu des déclarations contradictoires sur la question de la succession - ndlr), elle était inexistante. En effet, dans les dernières semaines de sa vie, il fut très proche du petit Emmanuel-Philibert qu'il considérait comme le successeur de la dynastie et comme un possible roi d'Italie ».

Emmanuel-Philibert et Aimone, deux cousins a l unisson

Deux cousins à l'unisson

Avec le décès du prince Amédée de Savoie-Aoste en juin 2021, son fils Aimone de Savoie-Aoste a repris les prétentions au trône d'Italie. Soutenu par la principale association monarchiste italienne, l’Union Monarchique d’Italie (UMI, qui revendique 70 000 membres dans tout le pays, son pedigree royal fait de lui un véritable concurrent à Emmanuel-Philibert de Savoie. Marié avec une princesse royale, descendante des rois de Grèce, père de trois enfants (dont deux garçons), ayant occupé professionnellement des postes à hautes responsabilités, un blason a occupé deux couronnes et une vice-royauté, pour une majorité de monarchistes, il répond à tous les critères requis par le statut Albertin. Cependant, malgré la rivalité apparente, les deux cousins ne se détestent pas et entretiennent d'excellentes relations. Leurs éclats de rire capturés en photo lors du mariage du Grand-duc Georges Romanov et de la princesse Victoria (Rebecca) Romanovna ont fait la une des magazines people italiens. Lors d'une interview accordée à OGGI, le prince Aimone de Savoie-Aoste a confirmé qu'il n'entendait pas alimenter davantage cette querelle. Il a déclaré : « Pour moi, peu importe qui est le chef de la Maison de Savoie. Ce qui est fondamental, c'est que la mémoire et le rôle de notre dynastie dans l'histoire de l'Italie soient protégés. En tant que membres de la Maison de Savoie, nous devons essayer d'établir une continuité entre ce qu'était la Monarchie et la République, qui est aujourd'hui l'institution qui gouverne notre pays. Et cela dans l'enseignement du roi Umberto : l'Italie avant tout. Il n'y a pas de royaume, donc si quelqu'un veut discuter de qui est le meilleur représentant de la famille, qu'il le fasse. Je ne m'intéresse qu'à l'Italie et au bien de notre pays », a délaré ce descendant de Victor-Emmanuel II, le roi du Risorgimento.

Emmanuel-Philibert de Savoie embrasse son cousin Aimone de Savoie-Aoste

Des funérailles qui sonnent la fin de la querelle dynastique ?

Invité aux funérailles du prince Victor-Emmanuel de Savoie-Aoste, le prince Amédée de Savoie-Aoste a joué un rôle significatif. Accompagné de quatre autres chevaliers de l'Ordre suprême de l'Annunziata, il a été chargé de placer le drapeau ducal sur le cercueil et de tenir la corde jusqu'à l'autel de la Cathédrale de Turin. Positionné derrière le prince Emmanuel-Philibert de Savoie et sa famille, le prince Amédée de Savoie a marqué la cérémonie par sa dignité. C'est également lui qui a guidé le cercueil lors de sa sortie. Peu de temps auparavant, les deux cousins s'étaient chaleureusement embrassés sous les flashs des photographes, un geste semblant marquer le début d'une réconciliation officielle entre les deux branches, sans pour autant remettre en question leurs prétentions au trône d'Italie. Ce moment pourrait-il inaugurer un nouveau chapitre pour les Savoie, caractérisé par l'apaisement ? La question se pose légitimement pour une dynastie qui porte encore le poids de sa compromission avec le fascisme d’autant que ce semblant de réconciliation n’est pas le premier du genre à faire les titres de la presse. Par le passé, Emmanuel-Philibert de Savoie a lui-même appelé à la fin de cette querelle. « Je veux pouvoir travailler avec tous les monarchistes désireux d’unir et qui ne cherchent pas à diviser (…) à travers de vaines polémiques inutiles, ceux qui souhaitent sincèrement le bien de notre institution et de notre chère Italie » , avait d’ailleurs déclaré le nouveau chef de la Maison royale à ce propos.

Malgré une pluie battante qui a inondé toute la place du Duomo, de nombreux nostalgiques de tous âges ont tenu à suivre la cérémonie, diffusée sur deux écrans géants. « L'attrait de la monarchie renaît », confie l'avocat Alessandro Sacchi, à la tête de l'Union monarchiste italienne, tandis que la république, selon lui, semble stagner. « Qui sait si un roi reviendra au Quirinal », soupire Sacchi. Un souhait qui fait écho à une prophétie énoncée par le père-béatifié Pio da Pietrelcina, décédé en 1968, laissant entendre que l'institution royale fera son retour dans la botte de l'Europe sous la seule égide d'un Savoie-Aoste, après que la lignée directe masculine des Savoie se soit éteinte  d'elle-même. Selon un sondage réalisé en 2018, 15% des Italiens souhaitent le souhait du retour de la monarchie. Une institution qui doit désormais reconquérir le coeur des Italiens à la condition que se taisent les querelles qui persistent malgré les souhaits des deux prétendants.

Copyright@Frederic de Natal

Date de dernière mise à jour : 16/02/2024

Commentaires

  • Spiller-Bellantonio

    1 Spiller-Bellantonio Le 17/02/2024

    Merci pour ce bel article, plein de précision comme toujours. Je reste certain qu'une monarchie regroupe plus le peuple qu'une république, en Italie comme dans d'autres pays

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