Alors que l’Italie n’a toujours pas de gouvernement, un mois et demi après les élections législatives du 5 mars dernier, c’est la Ligue du Nord qui a surpris tout un pays en rendant hommage appuyé au Grand-duché de Toscane, disparu dans la tourmente du Risorgimento le 17 avril 1859. Dans un communiqué publié à l’occasion du 159ème anniversaire du plus autrichien des états italiens, le conseiller national de la Ligue du Nord pour la Toscane, Marco Cordone, a appelé les étudiants de la « botte » à revisiter leur histoire y compris de celle qui fut «un état indépendant durant plus de 3 siècles, d’abord avec les Médicis, puis avec les Habsbourg-Lorraine ». L’Italie en proie à l’anarchie politique depuis la proclamation de la république en 1946, ils sont encore une petite minorité à rêver de la résurrection du Grand-duché défunt.
L’histoire de la Toscane se mélange avant tout avec celle des Médicis qui vont régner quasiment sans interruption de 1434 à 1743. Symbole par excellence du siècle « Rinascimento », cette dynastie patricienne de banquiers va marquer de son sceau l’Europe de la Renaissance, tant dans le mécénat, les arts que la politique. Seigneurs de Florence, qui tenait plus de la monarchie que de la république dont elle portait le nom, ils donneront deux papes au Vatican et marient leurs filles avec les plus belles familles royales de l’époque. La France n’échappera pas à cette toile tissée par cette famille influente à qui elle donnera deux reines, Catherine et Marie de Médicis. C’est enfin au XVIème siècle que qu’ils obtiendront le titre prestigieux de duc. Alexandre le Maure, enfant illégitime de Laurent II et d’une servante mulâtre, va donner aux Médicis tout ce caractère princier qui les caractérise depuis des générations. Pour autant, elle n’échappe pas à ses vices. Sa mort, sur laquelle plane encore l’ombre du moine Savonarole mis au bûcher, sera à l’image de ces Médicis, tout dans la violence et le romanesque sulfureux. Le 6 janvier 1537, il est assassiné par Lorenzino de Médicis qui n’est autre que son cousin. Et son amant avec qui il partage la couche. La faction républicaine de Florence n’aura pas le temps d’exploiter ce meurtre dont elle a été à l’origine. Les « Palleschis » s’empressent de mettre sur le trône, Cosme Ier, un cadet que nul ne connaissait L’histoire monarchique de la Toscane (il est nommé alors Grand-duc) et celle des Médicis va brutalement s’arrêter avec le règne de Jean-Gaston. Monté sur le trône en 1723, ce débauché qui se laisse gouverner par ses amants et ses mignons n’aura pas de descendance en dépit d’un mariage qui ne l’intéresse guère. Alcoolique notoire, il se laisse manipuler par la France qui récupère ses droits au trône dans un tour de passe-passe royal. En échange de la Lorraine, le duc François III Etienne récupère la Toscane et cède son duché au roi de Pologne détrôné, Stanislas Leszczy?ski, beau-père du roi de France.
Et voici comment les Habsbourg-Lorraine devinrent les nouveaux souverains de cet état italien sans que les toscans n’aient eu leur mot à dire L’archiduc Sigismond de Habsbourg-Lorraine a aujourd’hui 52 ans. Il a suivi la tradition des Médicis, c’est un banquier qui a passé sa jeunesse en Uruguay où sa famille s’était installée en 1951, un catholique convaincu. Il porte en lui l’héritage de 5 Grands-ducs de Toscane qui ont traversé les siècles et les affres de ceux-ci. Parmi lesquels, la révolution française ou l’empire de Napoléon qui placera sa sœur Elisa à la tête du gouvernement général des départements de Toscane entre 1809 et 1814. Monarchie absolue devenue parlementaire en 1848, le Grand-duché sombre dans l’anarchie et connaîtra même une éphémère république …dictatoriale. L’Autriche interviendra, la monarchie restaurée pour une décennie mais au prix de l’abdication de son souverain. Le 21 juillet 1859, Ferdinand IV succède à son père. Marié à une Bourbon- Parme, le Risorgimento aura raison de son trône en mars 1860.
C’est dans les années 1980 que la famille grand-ducale fera son retour. « Léopold III » (né en 1942), le père de l'actuel Grand-duc, est reçu en grandes pompes à Florence le 16 mars 1985 par le président de la région, Gianfranco Bartoloni. La ville se couvre de drapeaux horizontaux aux couleurs rouges blanches rouges, la foule rassemblée cria d’une seule voix : « Viva il granducato » (vive le Grand-duché). Un succès qui sera suivi par des manifestations honorant le Grand-duc et sa famille jusqu’à la fin de l’année suivante. Mais peu exploitées par la maison grand-ducale. En 1994, « Léopold III » décide d’abdiquer en faveur de son fils Sigismond après son second mariage civil. Place à la nouvelle génération. Du moins officiellement car officieusement, c’est l’archiduc Otto de Habsbourg-Lorraine, alors chef de la maison impériale d’Autriche qui lui rappellera les règles dynastiques auxquelles il est soumis de par sa naissance et son nom.
Le nouveau grand-duc est aussi grand-maître de l’ordre de Saint-Etienne et de celui Saint-Joseph. A cette dynastie sortie des pages jaunies de l’histoire tumultueuse de l’Italie, manque un parti pour la soutenir. Ce sera chose faîte le 13 novembre 2000. Porté sur les fonts baptismaux par Luigi Cartei , le mouvement Toscana Granducale tente rapidement l’aventure politique. Ce proche du Vatican souhaite le rétablissement de la famille grand-ducale des Habsbourg-Toscane au sein d’une vaste confédération d’états autonomes dans une Italie indépendante. Mais les résultats ne sont pas à la hauteur de ses espérances. Participant régulièrement aux élections régionales en son nom propre ou allié de circonstance à Forza Italia (2013), Toscana Granducale n’arrive pas à dépasser les 5 %. Bien peu pour convaincre de la nécessité de restaurer une des monarchies, la première d’une longue série à être tombée sous les balles des garibaldiens et d’un vote populaire.
Quel regard porte alors celui qui est Sigismond Ier pour ses partisans concernant l’éventualité d’un retour de la monarchie grand-ducale ? Aucun ! Le Grand-duc se veut réaliste, comme il l’indiquait lors d’une interview à « Il Tirreno » en 2014, assume certes ses prétentions et visite parfois cet état dont il est l’héritier mais dont il parle peu la langue. Reconnu, quelques mains serrées aux nostalgiques présents, ce père (divorcé) de 3 enfants et qui cousine par mariage avec la duchesse de Cornouailles, porte néanmoins son combat ailleurs. Celui de la reconnaissance de sa titulature au sein de la maison impériale, le soutien à la construction d l’Europe dont il est un défenseur et la gestion de son patrimoine en Amérique du Sud.
Très curieusement, les Habsbourg-Lorraine alors au pouvoir à Vienne ont toujours considéré cette branche comme de simples gouverneurs de l’état Toscan. Plus autrichiens qu’italiens, les Habsourg-Toscane s’étaient d’ailleurs engagés sous l’uniforme austro-hongrois durant la première guerre mondiale. Pas plus l’archiduc Otto de Habsbourg-Lorraine que son fils Karl ne reconnaissent le titre que porte leur cousin. Une famille qui est entourée autant de mystères qu’elle avait profondément agacé l’archiduc Otto de son vivant avec ses prétentions carlistes en Espagne. Pour le Grand-duc Sigismond, sa maison est aussi équivalente en rang que celle de Vienne. Et de faire le siège du prétendant au trône austro-hongrois afin qu’il scinde en deux entités distinctes l’une de l’autre, ces deux branches la maison impériale. Jusqu’ici, l’archiduc Karl a toujours refusé de céder aux injonctions de son cousin, le priant de rester à sa place et lui rappelant que l’empereur François-Joseph Ier avait déjà accepté de les ré-intégrer dans la hiérarchie dynastique après avoir été contraint de reconnaître que l’Autriche avait perdu toute influence sur l’Italie. Un geste amplement suffisant au prétendant au trône autrichien.
Un combat éloigné des préoccupations de cette minorité monarchiste toscane qui semble sur le déclin (une page facebook qui n’est plus mise à jour, un site qui a disparu d’internet) et qui se désespère du non intérêt que lui porte son prétendant. Sigismond de Habsbourg-Toscane ne prend même plus la peine de mettre lui-même à jour le site officiel de sa maison (lui qui se définissait pourtant comme un « grand-duc 3.0 » dans une interview donnée en 2014). Une nostalgie qui s'étiolerait doucement ? Oui sauf qu' à regarder de plus près , un mouvement inattendu a fait son apparition sur la scène politique italienne lors des élections communales de 2017.
Présentant 2 candidats (11% des votes) , le tout nouveau Partito Indipendentista Toscano (créé en septembre 2016) a repris le combat monarchique (dans une lettre du 2 février dernier, ils ont demandé au Grand-duc l'autorisation d'arborer l'ancien drapeau grand-ducal comme emblème officiel) , s'affirmant comme étant le seul mouvement représentatif des intérêts de la Toscane comme de ceux du prétendant dont le portrait et les nouvelles s'affichent régulièrement sur leur page facebook dédiée et leur site surchargé.
Seules quelques gerbes de fleurs déposées chaque année au mois d’avril dans la nécropole de San Lorenzo où reposent quelques membres de la famille grand-ducale rappellent encore aux Florentins que jadis, il y’a deux siècles de cela, la Toscane rayonnait encore dans l’Europe des monarchies. L'avenir de la Toscane ? Il passe indubitablement par la restauration de la famille grand-ducale affirment les jeunes du Partito Indipendentista Toscano Comment ? Par un référendum ajoutent-ils , sourires en coin.
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Publié le 5 mai 2018