Ancienne province de la Yougoslavie défunte, le Monténégro a recouvré son indépendance perdue en juin 2006. République couronnée, elle a reconnu un statut officiel aux membres de son ancienne dynastie royale destituée en plein conflit mondial. Jouet des anciennes puissances européennes, le Monténégro est à la croisée des chemins entre l’Est et l’Ouest. Secouée par de violentes affaires de corruption et une criminalité en hausse, la république est la proie de nouvelles guerre d’influences. Les plus nationalistes des serbes ne cachent pas leurs intentions de récupérer cette province, les russes de tenter d'arrimer le pays au pouvoir du Kremlin. Pour beaucoup de monténégrins, un homme reste la solution qui saura préserver l’intégrité de leurs frontières : le prince Nikola (II) Petrovi?-Njegoš.
Le 21 avril 2017, c’est dans les locaux du ministère des Affaires étrangères, que le prince Nikola Petrovi?-Njegoš a été décoré de la croix de la Légion d’honneur. Une haute distinction remise à l’héritier d’une des plus vieilles dynasties des Balkans et dont la particularité a été de se succéder? quasiment sans interruptions, d’oncles en neveux. D’abord comme prince-évêques (Vladikas) en 1696, puis comme princes héréditaires en 1852 et enfin comme roi du Monténégro en 1910. Le prince Nikola est un homme simple, accessible, souriant, s’arrêtant volontiers pour discuter avec ceux qui le reconnaissent, ne revendique rien mais assume totalement l’héritage qu’il détient.
D’ailleurs, durant des décennies, cet architecte de formation a ignoré ou s’est peu intéressé au Monténégro. Né en 1944 à Saint-Nicolas-du-Pélem, il est le fils du prince Michel (1908-1986) et de Geneviève Prigent. Membre du conseil royal du roi Pierre II de Yougoslavie, le prince Michel avait assisté à la chute de sa maison, enfant. L’exil n’en avait pas moins été doré dans le sud de la France alors que son pays sombrait doucement dans la guerre civile, entre partisans de la monarchie (parti vert ou Zelenaši) et ceux du rattachement à la Yougoslavie naissante (Parti blanc ou Bjelaši), cadeaux du traité de Versailles au royaume de Serbie. C’est d’ailleurs la France qui mettra fin à la tentative d’insurrection (dite de Noël) des monarchistes monténégrins (1919-1924) qui avaient tenté d’obtenir des renforts de l’Italie voisine dont le roi avait épousé une des filles du roi Nikola Ier. Une reine, Hélène du Monténégro, qui va comploter depuis Rome pour restaurer l’indépendance de son pays de naissance. Le 12 juillet 1941, un royaume est proclamé, vaste monarchie fantoche dirigée par les fascistes mussoliniens que le prince Michel refusera d’occuper, choisissant de rester prisonnier des allemands jusqu’en 1943. Date à laquelle il est libéré, alors atteint d’une tuberculose rénale, grâce à Hélène d’Italie qui avait fini par faire taire ses rancunes.
Une histoire que n’a pas vécue le prince Nikola mais qui le rattrape un matin de 1989. La Yougoslavie se fracture, suite des conséquences inéluctables de la chute du mur de Berlin qui symbolisait l’antagonisme idéologique Est/Ouest depuis 1945. Il découvre les réalités d’un pays qu’Hergé avait illustré dans son album «le sceptre d’Ottokar». C'est à ce moment précis qu’une délégation vient le prier de conduire la manifestation qui rapatrie les restes du roi Nicolas Ier (1910-1918) et de sa famille. L’ancien étudiant de mai 1968 devenait soudainement le prétendant au trône d’un Monténégro en devenir. «A l'école, ce nom bizarre faisait rire mes copains et je crois que j'aurais préféré alors m'appeler Dupont» déclarait-il en 1995 lors d’une interview au journal « Libération », ajoutant à celui de Ouest France, «Je n’ai pas du tout été élevé dans un milieu monarchiste, même si je savais que mon père était le dernier roi du Monténégro ». Étonnante déclaration d’un homme qui se retrouve parmi plus de 50 000 personnes venues assister au retour de la famille royale en octobre 1989. Une véritable révélation pour ce père de deux enfants, aujourd’hui grand-père.
Il exècre toute idée ou forme de nationalisme, s’inquiète de l’expansionnisme russe (dont l’histoire des 2 pays ont été étroitement liés durant près de deux siècle) et son cœur balance volontiers du côté de «la gauche bisounours» comme il le disait lui-même très ironiquement en 2014. Lui qui considère le titisme comme «ce socialisme à visage humain » apprend rapidement le serbo-croate, s’investit politiquement mais refuse de faire le jeu partisan des différents mouvements politiues qui le courtisent. «J’en appelle à tous les hommes de bonne volonté mais surtout aux Monténégrins, à tous ceux pour qui mon nom, peut-être, signifie quelque chose» proclame-t-il en guise de manifeste ; «Contribuez par votre exemple personnel à faire cesser ce conflit honteux» conclue-t-il alors que la guerre civile secoue cette partie de la Mitteleuropa ! L’homme qui vit à Paris vient de se muer en souverain en attente.
30 ans plus tard que reste-t-il des espérances monarchistes monténégrines ? Le prince Nikola appelle à voter oui au référendum à l’indépendance en 2006 mais ne demandera pas la restauration de la monarchie en dépit du soutien de plusieurs anciens apparatchiks du parti socialiste. Encore moins, ne voudra se battre pour la restitution des anciennes propriétés de sa famille. L’Europe y est même favorable alors qu’elle a contribué à la destruction de la Yougoslavie, cette «Scandinavie du Sud » que le prince aurait souhaité voir naître avec un Monténégro associé. Accusé d’être une marionnette du parti par l’opposition naissante, Nikola Petrovi?-Njegoš repart en France, monte des associations culturelles en faveur de son pays et tente de changer les mentalités, notamment sur les questions écologiques à travers la fondation qui porte son nom. Le premier ministre Milo ?ukanovi? multipliera les gestes en faveur des partisans de la monarchie. Le 7 janvier 2008, date anniversaire de l’insurrection de 1919, il réhabilite officiellement les résistants monarchistes. Le gouvernement qui siège à Cetinje, «ancienne capitale royale que l’on nomme encore le siège du trône» rétablit la couronne de sa dynastie sur son drapeau national. Puis le 12 juillet 2011, enfin, le parlement du Monténégro adopte une loi en faveur de sa maison. Largement reconnu moralement et financièrement, le prince Nikola bénéficie désormais d’un bureau permanent dans la capitale, un statut hors-norme qui fait de lui un ambassadeur itinérant (il est reçu par le pape François comme un véritable chef d'état en 2016) et une autorité exerçant de plein droit ses devoirs. Il n’hésite pas à prendre position. Ainsi en mai 2018, il s’indigne publiquement de l’attentat perpétré contre la journaliste Oliveri Laki? qui enquêtait sur une vaste affaire de corruption qui vise divers membres du parti au pouvoir, le Parti démocratique socialiste du Monténégro (DPS).
Il n’y a pas de parti monarchiste officiel au Monténégro. De multiples associations historico-politiques continuent d’assurer la mémoire de la dynastie et le prince bénéficie toujours de soutiens au sein du gouvernement qui a entamé en décembre 2019 des démarches avec la France, l’Italie et l’Autriche pour rapatrier les restes des membres exilés de la famille royale. «L'histoire séculaire de la dynastie Njegoš Petrovi? est au cœur de l'histoire et de l'identité monténégrines. Il y a cent ans, un processus de destruction violente de cette identité a commencé. (…) C'est pourquoi il est de notre devoir (…) d’honorer notre dette envers notre glorieuse dynastie » a déclaré le ministre de la culture pour justifier sa demande qui s’est accompagnée d’une polémique. Le métropolite de Cetinje, l’ancienne capitale royale, Amfilohije Radovi? n’a pas caché publiquement son irritation. Connu pour ses positions très conservatrices, il n’a pas hésité à critiquer le projet, craignant que le gouvernement n’enterre les corps dans de nouvelles tombes, sans respecter le vœu initial du roi Nicolas Ier. Même l’historien Alexandre Stamatovic y a été de son petit laïus et a attaqué publiquement cette « autre performance exhibitionniste du régime actuel, (…) utilisée à mauvais escient dans le but d'établir une nouvelle identité monténégrine, antithèse complète du rôle historique de la dynastie Njegoš Petrovi? ». Le principal concerné a préféré temporiser. Interrogé par la télévision à propos de cette polémique, le prince Nicolas semble toutefois hésiter à cautionner le retour des princes Danilo, Mirko, Pierre et Michel au Monténégro. « En raison des réactions sans précédents de l'Église orthodoxe du Monténégro, je pense qu'il vaudrait peut-être mieux attendre que la cérémonie se déroule dans une atmosphère plus paisible. Je ne pourrais pas supporter que ma famille soit une source de division des Monténégrins, ou la cause des réactions violentes qui nuiraient à l'image de notre pays, de nos institutions, et surtout à nos concitoyens » a expliqué le prétendant au trône qui a toutefois averti le ministère de la culture. Le monastère de Cetinje ou rien !
Nikola II, qui a toujours été très proche de la Nouvelle action royaliste (NAR) avec qui il entretient des liens étroits, ne revendique aucun trône mais ne se dérobera pas à celui-ci, si demain les monténégrins réclamaient son retour. Il entend cependant et seulement « mettre le nom et l’histoire de la dynastie au service du pays». Sans oublier la France pour autant. Durant l’Eté 2017, le prince a fait une visite médiatisée à Lannion pour honorer la mémoire de sa mère, ancienne résistante. Un court séjour, organisé par un obscur « Légitimiste » en mal de reconnaissance, mais qui avait fait longuement parlé de lui dans une Bretagne qui cultive encore le souvenir des chouans. Un esprit de résistance qui résume tout le caractère de Nikola Petrovi?-Njegoš et que l’Hexagone a pu redécouvrir dans un long reportage qui lui a été consacré par France 2, dans son émission « Complément d’enquêtes », il y a deux ans. Hier, il a souhaité dans un bref communiqué, une bonne fête de l’indépendance aux monténégrins. Radule Novovi?, député du DPS et président de la commission de l'éducation, des sciences, de la culture et des sports à lui-même souligné l’importance de se souvenir du dernier souverain du Monténégro et de son esprit de tolérance religieuse, vague allusion au conflit épiscopal actuel entre son pays et la Serbie voisine.
«Prince écolo’», Nikola Petrovi?-Njegoš ne cache pas ses convictions. Lors de la crise du covid-19, il a appelé ses concitoyens à la solidarité nationale et à se poser les bonnes questions sur ce que sera le monde après la crise sanitaire. Le prétendant au trône du Monténégro leur a ainsi demandé de songer à se réunir autour d'un « véritable projet d'un état écologique qui, à mon avis, est le seul projet qui aurait du sens demain après cette crise sanitaire et économique ». «Mais comment m’avez-vous reconnu ?» me demande interloqué le prince Nikola alors que je l’abordais sur une des voies de la gare de la Part-dieu un matin de mai 2018, à Lyon. Une ville où réside son fils, le prince héritier Boris. Il a même assisté l’année dernière à la fête des Consulats avant de rentrer dans une deux-chevaux vintage. Un sourire, des mots échangés, se prêtant au jeu des selfies, s’excusant même d’être en « bleu de travail », un prince qui s’amuse toujours que l’on l’appelle « Altesse royale » ou qui vous remercie chaleureusement de l’intérêt que vous lui portez. Car Nikola Petrovi?-Njegoš, c’est tout cela en même temps. Indubitablement un homme qui a su rester proche du peuple, royal dans la simplicité. Un exemple à suivre.
Copyright@Frederic de Natal