Utilisé depuis la fin du XIXème siècle par tous les souverain(e)s de la maison royale des Nassau et pour l’ouverture du parlement, le carrosse royal est devenu l’objet de l’ire des militants du Black Lives Matter («La vie des noirs compte»). Une pétition en ligne réclame que le carrosse en or soit renvoyé dans un musée. A leurs yeux, il incarne encore tout ce qui reste de l’histoire coloniale défunte du royaume des Pays-Bas.
Tout en or et en teck, recouvert à l’intérieur de soie et de satin, il est tiré habituellement par huit chevaux noirs. Chaque année, il conduit le roi Willem-Alexander et son épouse, ses prédécesseurs avant lui depuis 1901, du palais royal au parlement. Objet d’apparat, il symbolise la puissance de la monarchie néerlandaise et la fierté de tout un peuple. Mais pas pour tous. Les militants néerlandais du Black Lives Matter (BML) reprochent à la monarchie l’utilisation de ce carrosse sur lequel sont peintes des estampes coloniales. En particulier, ceux où des «esclaves se prosternent devant leurs maîtres blancs». Pour Karwan Fatah-Black, professeur d’Histoire à l’université de Leiden, il est temps que ce vestige incarnant la colonisation batave outre-mer soit remisé dans un musée.
Nugah Shrestha, étudiant en géographie urbaine? a mis en ligne une pétition et a déjà recueilli 6000 signatures. Dans la foulée, il a ouvert un compte Instagram afin de sensibiliser les plus jeunes néerlandais sur ce sujet. Il dénonce en particulier, un des panneaux du carrosse qui représente une femme blanche sur un trône. En face d’elle, des Indiens et des personnes d'ascendance africaine lui apportant docilement des marchandises. Pour le professeur Karwan Fatah-Black, c’est «clairement une référence à la soumission coloniale» et une image de «glorification de ce qui a été l’esprit de conquête coloniale des Pays- Bas». «Le blanc est au-dessus de tout et le noir est là pour nous servir» affirme y voir ce quadragénaire d’origine kurde et qui estime que ce reliquat du passé n’a plus sa place dans notre époque actuelle. «Ce débat est à l’image de la situation qui prévaut dans la société néerlandaise qui reste encore raciste. Si les africains ne souffrent pas d’exploitation, ils restent exclus d’un certain nombre de postes. Ils n'ont pas les mêmes opportunités que les blancs et doivent toujours se battre. Il y a manifestement encore des inégalités dans ce pays » s’agace de son côté l'historienne Patricia D. Gomes, qui regrette que les sujets du roi ne s’intéressent pas plus à ce qu’ils regardent passer tous les ans lors du Prinsjesdag et qui souhaiterait que les statues cdes héros de la colonisation soient enlevées de leurs socles.
Cette revendication n’est pas nouvelle aux Pays-Bas. Depuis 2011, des associations anti-racistes réclament en vain que ce carrosse disparaisse du paysage local. En vain. Les manifestations du BLM ont fait resurgir ce débat au sein de la société néerlandaise qui ne semble pourtant pas s’en passionner. La maison royale de Nassau est encore largement plébiscitée et partie intégrante de l’identité nationale. Pour les orangistes, partisans d’une dynastie qui dirige les Pays-Bas depuis des siècles, c’est une tentative stérile de remise en cause de la monarchie. Ils rappellent que le carrosse a été offert par les néerlandais à la reine Wilhelmine à l’occasion de son couronnement en 1898 et aucunement à des fins colonialistes. Pour la maison royale, il n y a pas de discussions à ouvrir sur le sujet, d’autant que le carrosse est actuellement en cours de restauration jusqu’en 2021 et n’a plus été vu dans les rues d’Amsterdam depuis 5 ans. Il n’est même pas sûr qu’il soit de nouveau réutilisé puisque les souverains lui préfèrent nettement son alter-égo tout en verre. «Une décision sera prise ultérieurement» explique la porte-parole de la maison royale qui rappelle que le roi Willem-Alexander a déjà présenté ses excuses en Indonésie pour les crimes commis sous la décolonisation et que de nombreux pas ont été faits en ce sens par les Nassau qui n’ont plus rien à prouver en matière de combat contre toutes les discriminations.
Pendant ce temps, à Rotterdam, des militants se faisant appeler «Helden van Nooit» (A jamais des héros) se sont attaqués à une statue d’un officier de marine du XVIIème siècle, Piet Hein. L'homme est connu pour avoir organisé le pillage de la flotte qui espagnole en 1628 et pour avoir joué un rôle clé dans l'établissement de colonies au Brésil aux prix de quelques massacres amérindiens. Ils ont également attaqué le quartier des arts de cette ville en raison de ses liens avec la «violence coloniale». «On ne peut décemment pas tout changer si vous n’acceptez pas votre propre Histoire» déplore Gert Indische, professeur d'histoire coloniale, qui reconnaît toutefois qu’il soit possible que le carrosse achève sa vie dans un musée, afin d’apaiser les tensions générées par l’apparition de ce mouvement controversé et d'ampleur mondiale.
«Abattre des statues n'est pas la réponse» a lui-même déclaré le premier ministre Rutte. «Notre histoire comporte autant d'évéments glorieux que complexes. Et s'il y a des parties de notre histoire dont nous ne sommes plus fiers, alors nous devrions pouvoir être capables d'en parler. Mais il est une chose qui est claire : vous ne les ferez pas disparaître de notre Histoire» a t-il renchéri au cours d'un discours prononcé le 13 juin dernier et en guise de réponse aux revendications locales des militants du Black Lives Matter.
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