Chaque année, le 28 octobre, ils défilent dans les rues de Prague. Il y a un siècle, sur les ruines de l’empire austro-hongrois, les tchécoslovaques ont décidé de prendre leur destin en main. Pour le meilleur et pour le pire. Aujourd’hui, le mouvement Koruna ?eská (monarchistická strana ?ech, Moravy a Slezska) entend être une alternative à la république actuelle et couronner sa démocratie retrouvée. Plongée au cœur de l’histoire du monarchisme tchèque
« Plutôt Hitler que les Habsbourg » avaient déclaré le président Édouard Bénès peu avant l’invasion de la Tchécoslovaquie par les nazis et qui ne cachait pas sa haine vis-à-vis de la maison impériale. « Je t’aime, moi non plus » résume en réalité toute la relation, longtemps entretenue, entre les tchèques et l’Autriche-Hongrie. Sans être pour autant ostracisée, les tchèques n’obtiendront jamais les mêmes droits que leurs voisins du Danube et l’empire dualiste ne sera pas tripartite en dépit des tentatives des archiducs Rodolphe et François-Ferdinand de Habsbourg-Lorraine de convaincre l’empereur François –Joseph d’y associer les Bohémiens. C’est d’ailleurs parmi la petite noblesse tchèque que François-Ferdinand trouvera sa future épouse, Sophie von Chotek. Un amour qui se finira tragiquement en 1914 à Sarajevo. La première guerre mondiale permet au nationalisme tchèque de percer au sein de la société. Quitte pour cela à envisager, un moment, un rattachement à la Russie des Romanov contre la promesse de la création d’un état autonome. Mais celui qui incarnera certainement le mieux l’opposition aux Habsbourg reste sans nul doute, Thomas Masaryk qui va mener le royaume de Bohême vers l’indépendance. La défaite de l’Allemagne en novembre 1918 sonne le glas de ses voisins autrichiens. A Prague, on abat l’aigle à deux têtes, l’empire se désagrège peu à peu. La Tchéco-Slovaquie est née sans avoir versé une goutte de sang.
En exil, alors que le nouvel état de Bohême et Moravie est entre les mains du Reichsprotektor SS Reinhard Heydrich, Bénès poursuit les Habsbourg de sa vindicte et refuse d’assumer ses erreurs, y compris lors de la crise avec les Sudètes qui donne à Hitler le moyen de commencer à s’emparer du pays (1938-1939). Tout au long de l’entre-deux-guerres, l’archiduc Otto de Habsbourg-Lorraine, fils du dernier empereur Charles Ier (III de Bohême) est l’objet de toutes les attentions dans une Europe qui songe à le restaurer sur son trône. Il a l’appui de l’Italie et de la France qui voient dans ce jeune prince la solution pour stopper l’expansionnisme allemand. En vain. L’archiduc dira à propos de ce président tchèque « qu’il fut un génie du mal ». Ses objections à un retour des Habsbourg profiteront à Hitler. La suite est connue, l’histoire aurait pu s’écrire autrement.
Otto de Habsbourg-Lorraine n’aura de cesse de se battre pour obtenir la libération des anciens pays de l’empire occupé par les nazis. Il dresse alors un plan, celui de la création d’une confédération des états du Danube, prélude à une future union européenne, héritière de l’empire défunt. Le mouvement légitimiste tchèque a été décapité, les monarchistes pourchassés et embastillés. Les enfants de l’archiduc François-Ferdinand, qui vivent en Tchécoslovaquie, sont arrêtés et envoyés dans des camps de concentration. La fin de la seconde guerre mondiale privera de nouveau les monarchistes de leurs libertés d’action. Les soviétiques interdisent aux Légitimistes de faire de la politique, les monarchistes fuient un pays qui, jusqu’en 1989, va sombrer peu à peu dans une implacable dictature communiste. Avec la chute du mur de Berlin, les monarchistes se réorganisent. En 1988, le dissident Petr Placák fait campagne pour le retour de la monarchie. Le régime communiste se fissure et sur ses cendres, va naître le mouvement Koruna ?eská (monarchistická strana ?ech, Moravy a Slezska). Il en sera d’ailleurs le vice –président de novembre 1990 à 1992. C’est tout un travail de reconquête de terrain que vont devoir faire les royalistes. Ils sont une minorité.
On connaît peu Otto de Habsbourg-Lorraine qui a pourtant fait un discours historique à l’université Karl de Prague en mars 1990 et même rencontré officiellement, le premier président de la république Tchèque (sa partie slovaque prend son indépendance deux ans plus tard), l’écrivain-dissident Vaclav Havel. L’archiduc ne veut pas d’un trône, son regard est tourné vers l’Europe. C’est dans la capitale tchèque qu’aura lieu un congrès de l’union paneuropéenne qui vaudra de nombreux articles de presse locaux qui ne tarissent pas d’éloges sur l’héritier. Les monarchistes s’allient au Parti démocrate-chrétien jusqu’en 1996. Ils ne percent pas électoralement et connaissent leur première crise interne au début des années 2000. L’arrivée à sa tête de Václav Srb à la tête du mouvement lors d’un congrès, trois ans plus tard, permet au mouvement, miné par l’existence de faux ordres dynastiques, d’entamer le second chapitre de son existence. Koruna ?eská va, dès lors, participer à tous les scrutins, obtenir des élus localement (comme à Pohle? ou Poho?elice) mais échouant constamment sur le plan national, ne dépassant pas les 4% de voix. Les adhésions se multiplient. Le mouvement compterait aujourd’hui un millier d’adhérents.
En 2013, lors de l’élection présidentielle, les monarchistes tentent de faire adouber Emil Adamec, un sculpteur et urbaniste qui a relevé la statue équestre de Charles Ier de Habsbourg-Lorraine mais il n’obtient pas le quorum nécessaire de signatures pour se présenter. Et si certains sont tentés par la candidature du prince Karl von Schwazenberg, d’autres optent pour le nom de Karl de Habsbourg-Lorraine, le fils d’Otto. Des milliers de bulletins de votes sont ornés du nom du prétendant au trône. Un coup de publicité qu’ils ont réitéré en juillet 2019 lors de l’élection au poste de président du parlement européen. Lors d’un manifeste repris par la presse locale et internationale, ils ont clairement appelé, en vain, à faire élire le Habsbourg et le gouvernement de soutenir cette idée. Sans que le principal intéressé ne se prononce sur cette proposition.
« Les Tchèques ont toujours été une nation extrêmement monarchiste » confesse l’historien Luboš Velek de l'Institut Masaryk. Leur récente alliance avec un parti conservateur au sein d’une coalition va permettre aux monarchistes de s’imposer sur la scène politique, à la hauteur de leur potentiel. 2 élus au Sénat en 2018.
Un succès qui place les monarchistes dans l’opposition au gouvernement actuel. Et à Visegrad pour privilégier la création d’une large fédération danubienne chrétienne au sein de l’Europe. Ils réclament que la question monarchique soit posée aux Tchèques. « Nous sommes des citoyens loyaux de la république, nous respectons le système en place et nous cherchons à le modifier par des moyens légaux » affirme il y a un an, au cours d’un entretien, Vaclav Srb, qui a cédé son poste en 2014. «En ce qui concerne notre présent et notre avenir, nous sommes heureux de démontrer qu’il existe une alternative fiable au système républicain, en particulier au système présidentiel. Et cette alternative n’est autre qu’une monarchie parlementaire moderne » ajoute-t-il, regrettant que le nom des Habsbourg soit toujours diabolisé par une partie de ses compatriotes.
« Nous avons besoin de quelqu'un à la tête de l'Etat qui sera préparé à cette fonction dès son jeune âge et qui sera un symbole de la nation » affirme l’ancien député (1993-1996) Radim Špa?ek, actuel président du mouvement monarchiste.Les Habsbourg-Lorraine veulent-ils d’un trône tchèque ? « Déjà avec son père, Otto, nous avons souvent évoqué cette éventualité. Nous entretenons régulièrement des contacts personnels, écrits avec [l’archiduc Karl de Habsbourg-Lorraine]. Sa réponse à cette question a toujours très diplomatique. Otto nous avait répondu que l'adhésion à l'Union européenne était une priorité avant toute idée de restauration de la monarchie. Si je devais résumer leurs pensées, par exemple: Ils ne disent jamais, oui je veux le trône, mais ils n'ont jamais dit non, non plus » sourit Vaclav Srb.
Et les tchèques ? Selon un sondage daté d’octobre 2018, seuls 13% d’entre eux souhaitent aujourd’hui le retour d’un Habsbourg-Lorraine (dont 3% sont partisans d’une monarchie absolue). Le chemin de la restauration pour les monarchistes tchèques, qui entretiennent des liens avec le mouvement monarchiste autrichien de l’Alliance Jaune-Noire est encore loin. D’autant qu’ils restent divisés.
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Publié le 5/11/2019