Monarchies et Dynasties du monde Le site de référence d’actualité sur les familles royales

Un centenaire royal

Le 1er décembre 1918, 1228 délégués des comitats de Roumanie se sont réunis en assemblée dans la ville d’Alba Julia. Tout un symbole pour un pays, qui malgré une entrée tardive dans le confit mondial qui a secoué l’Europe et de piètres actions militaires, s’est retrouvé dans le camp des vainqueurs, au grand dam du président du Conseil français, Georges Clémenceau, « qui se fichait éperdument de cette partie orientale du continent ». C’est en effet ici même que Michel le Brave avait été proclamé, au cours du XVIIème siècle, « Regele » (roi) de tous les Roumains, unifiant sous une même couronne les provinces de Valachie, de Roumanie et de Transylvanie.  L’Union est alors proclamée, le roi Ferdinand Ier et son épouse, Marie de Saxe-Cobourg-Gotha, peuvent entrer triomphalement dans la capitale, Bucarest. Un siècle plus tard, leur descendante, la princesse Margarita s’est adressée officiellement aux représentants de la nation afin de célébrer ces idées de libertés et de démocratie qui furent incarnées par la monarchie des Hohenzollern-Sigmaringen, au lendemain de l’armistice.

Couronnement du roi ferdinand et de la reine marie de roumanie«Leur passage sous l’Arc de triomphe, avec les forces armées royales, aux côtés des membres du parlement et du gouvernement, devant des centaines de milliers de roumains rassemblés, fut un acte national de renaissance (…), un moment de communion (…), un engagement pour le futur ». Le ton est solennel, l’instant royal, la voix de la princesse Margarita résonne dans tout l’hémicycle devant le regard silencieux des représentants de la nation.

« Nous sommes de retour ! » notera dans son journal intime, la reine Marie, dont les lettres au crayon noir, cachera mal le sentiment de fierté qui avait habité durant cette journée, la petite-fille de la reine Victoria. Cent ans après la proclamation de la « România Mare », la Grande Roumanie, la curatrice du trône a rendu un hommage appuyé à ces milliers de roumains morts pour la réalisation de la Grande Union. Un élan de patriotisme a submergé le pays qui a organisé des dizaines et des dizaines d’événements commémoratifs.

Après avoir reçu officiellement, la veille, au palais Elizabeth, le président du parlement moldave, sous le double regard du roi carol Ier, le fondateur de la maison royale, et de l’aigle bicéphale, vieil héritage byzantin dont son successeur Ferdinand revendiquera le titre lors d’un sacre pompeux, la princesse Margarita a été accueillie comme un véritable chef d’état en exercice par le Président de la république, Klaus Iohannis et la première ministre Viorica D?ncil?. Tapis rouge, garde d’honneur, rien n’a été laissé au hasard pour la fille du défunt roi Michel Ier, accompagnée de son époux, Radu Dadu et de la sa sœur la princesse Marie, 6ème successible au trône de Roumanie.

« Après un siècle d'existence de la Grande Union, la Couronne roumaine continue de soutenir les aspirations à la démocratie et à la liberté de la nation ».  La conclusion du discours de la princesse héritière, la reine diront certains, n’est pas anodin. Frappée par une crise institutionnelle qui a jeté ces derniers mois, des millions de roumains dans la rue pour protester contre la corruption étatique, la monarchie reste encore une option non négligeable pour une partie de ses concitoyens. D’autant que début janvier, un violent conflit opposant la maison royale au gouvernement du premier ministre Mihaï Tudose, à propos du palais Elizabeth a fini par faire chuter le gouvernement de manière surprenante. En retirant son appui au premier ministre, le leader du parti social –démocrate, Liviu Dragnea, avait apporté de manière insidieuse un soutien à la maison royale, « cet état dans l’état » devenu très officiellement une « institution d’intérêt public » en 2015 suite à un accord signé avec le gouvernement. Une revanche alors pour le roi Michel, que l’histoire, plutôt les chars soviétiques, avaient brutalement banni de son pays en décembre 1947.La princesse margareta s exprime au parlement

«Nous devons arrêter cette guerre entre les Roumains et les Roumains ! » a déclaré le leader controversé du PSD, soupçonné lui-même d’avoir trempé dans diverses affaires de corruption. « La Roumanie a aujourd’hui 100 ans. Célébrons un siècle d’unité ! » a t-il surenchéri. Ce qui n’a pas empêché pour autant ce social-démocrate de réclamer le retrait du projet de loi sur un statut officiel de la maison royale, deux mois après la chute du gouvernement Tudose. Lune de miel, de fiel, la première ministre Viorica D?ncil? s’était pourtant précipitée au palais Elizabeth, le 23 février pour saluer la souveraine de jure. Une visite hautement médiatisée alors que la Roumanie portait encore le deuil de la du roi Michel, décédé en décembre 2017, à l’âge de 96 ans. « Défendons nos intérêts nationaux mais n’oublions pas que nous restons européens » assène Viorica D?ncil? lors de son discours prononcé à la tribune de la chambre, placée entre le drapeau national et le drapeau européen. Au-dessus  d’elle, impossible de ne pas le voir, le blason couronné de la république roumaine et qui reprend les armes royales. 

Impassible, la princesse Margarita écoute, assise entre l’ancien président de la chambre du parlement, Valer Dorneanu et le patriarche orthodoxe Daniel. Fascinante Roumanie qui regarde son histoire avec autant de fierté que de suspicion. Sa révolution, celle qui en 1989 avait mis fin au régime communiste du couple Nicolae et Elena Ceaucescu, avait été volée par ces mêmes caciques du parti communiste roumain. La jeune démocratie finira par sombrer dans l’anarchie et la répression. Premier parti à s’enregistrer officiellement, le Parti national paysan chrétien-démocrate (PNTCD) devient le parti monarchiste d’opposition qui menace la république. De 12 députés en 1990, elle multiplie par 7 son nombre d’élus en 1996 grâce à une alliance avec un parti de centre-droits. Et gouverne le pays jusqu’en 2004. L’ancien président Emil Constantinescu, qui a redonné sa citoyenneté au roi Michel, a  d’ailleurs été invité à assister aux festivités du centenaire. Ion Illescu, celui qui avait orchestré la chute de son maître alors que les premières pierres du mur de Berlin tombaient sur le sol, qui avait renvoyé manu militari le roi vers son exil Suisse alors qu’il débarquait dans le pays mais contraint de le laisser entrer en 1992, sous les acclamations d’un demi-million de roumains, a brillé par son absence. Officiellement, trop malade pour se déplacer. La maison royale peut exulter, elle s’est imposée dans l’espace politique roumain, passage obligé pour tous politiciens à la recherche de voix électorales. En 2012 et 2015, les universités de Bucarest se couvrent d’affiches ornées du portrait du roi Michel,  le référendum promis sur le futur des questions institutionnelles se fait toujours attendre.

La Grande Union est une idée encore prisée par les milieux nationalistes qui rêvent de la reconstituer (elle fut démembrée en 1940, une large partie du pays donnée à la Hongrie ou la Bulgarie)  à l’heure où les populismes ont le vent en poupe. « Le courage de tous a été nécessaire pour jeter les bases du développement de la Roumanie » a affirmé le président Iohannis. « Les élites intellectuelles et politiques du début du XXème siècle nous ont impressionné par leur exemple de vision, d’engagement  et de sacrifice. Ce sont les souverains de la Roumanie, les premiers ministres, les hommes politiques du royaume de Roumanie, ou ceux de Transylvanie, de Bessarabie ou de Bucovine (…) qui restent aujourd’hui dans la mémoire de toute notre nation (…) » continue le président de la Roumanie qui termine par un hommage à cette Europe à laquelle appartient son pays, un appel à l’unité dans le respect de ce que furent les grands idéaux de la Grande Union,  « le respect de la loi et la liberté de l'individu ».

La curatrice du trône applaudit comme tous les représentants des ordres orthodoxes et chrétiens présents dans l’assemblée nationale aux côtés de ceux de la société civile. Le président de L'Union sauvez la Roumanie (USR)  déclare fièrement que la Roumanie ne serait rien sans l’action du roi Ferdinand. Instant de grâce monarchique durant quelques minutes qui ne font pas oublier pour autant aux membres de l’Alliance nationale pour la restauration de la monarchie (ANRM), dont la page Facebook est suivie par 30 000 personnes, que le but n’est pas encore atteint.

La princesse margareta au parlement« Sommes-nous dignes des réalisations qui ont été faites par les générations précédentes ? » demande le président de la République ? La famille royale de Roumanie s’apprête encore cette année à retraverser le pays, moyen de sentir le degré de popularité dont elle jouit assurément. Les monarchistes, dont le mouvement a subi quelques scissions retentissantes, s’organisent et s’irritent si les symboles ou droits de la famille royale sont bafoués. Tr?iasc? Regina ! (Vive la Reine !)

Découvrant que la salle du trône avait été utilisée par le gouvernement pour accueillir une délégation européenne conduite par Antonio Tajani, président du parlement européen et monarchiste italien bien connu, l’ANRM a dénoncé dans un communiqué cette utilisation du palais à des fins politiques. Alin Valentin Borcea , 28 ans, fringant sportif et cadre éminent des jeunesses de l’ARNM, n’hésite pas écrire ce que pensent les monarchistes de son âge : «  S? revenim la monarhia constitu?ional?. M?car a?a avem o speran??. Cu ce avem acum, nu mai avem speran?? » (Revenons à la monarchie constitutionnelle. Au moins, nous aurons un réel espoir. Avec ce que nous avons aujourd’hui, nous n'avons aucun avenir devant nous »), fustigeant, ce « mariage forcé » entre « une république et son peuple que tout oppose désormais », peut-on lire sur sa page personnelle.

La Roumanie est-elle enfin prête à couronner définitivement sa république ? Le président du Sénat, Calin Popescu Tariceanu, ne cache pas son soutien au retour de la monarchie. La Grande Union, « un acte authentique de démocratie (…),un événement patriotique qui aujourd’hui ne doit pas être saisonnier ou festif, mais un choix rationnel », citant Montesquieu dans son discours. Hommage discret aux liens qui unissent la France et la Roumanie, cette création de Napoléon III.

Il est temps que la « Roumanie retrouve sa monarchie constitutionnelle » déclarait-il en 2015. En février dernier, un sondage « surprenant », selon les propres mots de la presse roumaine, est paru posant de nouveau la question du retour d’un roi ou d’une reine à la tête du pays. 46% des roumains affirmant alors  que le retour de la monarchie serait un événement positif pour la Roumanie. Face à ces soutiens à la famille royale, nostalgiques ou non, 30% pensent tout de même le contraire.  Jusqu’ici, les différents sondages avaient démontré l’inverse. Pour la première fois, l’idée monarchique se retrouve majoritaire. Un référendum, l’idée convainc à peine et là est tout le paradoxe du rapport des roumains avec leur royauté. 37% sont favorables à ce que soit organisé un scrutin, 46% s’y refusant. Quand même bien la princesse Margarita et l’ancien prince Nicolas, restent les personnages préférés des roumains à voix égales (41%) , juste devant … le prince Charles d’Angleterre (23%), leur cousin, qui a une certaine tendresse pour le pays.

« La Roumanie d'aujourd'hui ne peut pas être imaginée, telle qu'elle est, sans le souvenir du roi Ferdinand. Un monarque qui a sacrifié ses origines familiales pour devenir le souverain providentiel dont les Roumains avaient tellement besoin », avait rappelé, il y a un an à Radio France Internationale,  Florin Muller, professeur d'histoire contemporaine de Roumanie, enseignant à la Faculté d'Histoire de l'Université de Bucarest. En Roumanie, les présidents passent mais la mémoire des rois demeure inébranlable.

Copyright@Frederic de Natal

Photos /Courtoisie de la Maison royale de Roumanie.

Publié le 29/11/2018

Date de dernière mise à jour : 07/04/2020

Ajouter un commentaire

Anti-spam