Un incident royal

« Cette année a débuté par un événement d’une grande importance historique pour notre pays: la première présidence roumaine de l'Union européenne. Pour une nouvelle génération de Roumains, que ce soit pour ceux qui sont nés après la chute de la dictature communiste ou ceux qui sont simplement trop jeunes pour se souvenir des années de totalitarisme que nous avons vécu, cela n’a pu que leur sembler plutôt naturel (…)». Le 22 novembre, comme chaque année, la fille du roi Michel Ier a rencontré l’ensemble du corps diplomatique au palais royal Elizabeth et a prononcé un discours aux accents volontairement patriotiques, affirmant sa fierté de voir son pays appartenir à l’Union européenne et à l’OTAN.

Rappelant que  la « Roumanie s’est associée à la Pologne et aux États baltes à l’occasion des 80 ans de la signature du pacte Molotov-Ribbentrop », « cet odieux traité entre les dictatures meurtrières du XXème siècle en Europe», la princesse héritière s’est attaquée en filigrane à l’idéologie communiste qui a ruiné et occupé son pays entre 1947 et 1989. Date à laquelle elle a pris son destin en main et renversé le régime du président Nicolae Ceaucescu.

Avant de conclure sur ces mots : « Nous soutenons également sans réserve les efforts actuels de l'OTAN pour stimuler la défense de nos alliés baltes; leur sécurité reste notre sécurité. Je me félicite également des contributions de nos alliés à la défense de la Roumanie. Mais je me demande seulement si nous en faisons assez, compte tenu des problèmes auxquels nous sommes confrontés en Ukraine et autour de la mer Noire. Permettez-moi de vous rappeler que toutes les attaques de la Russie sur notre sécurité, de l’invasion en  2008 de la Géorgie à celle de l'Ukraine en 2014 en passant par l'intervention militaire russe au Moyen-Orient en 2015, ont eu lieu dans cette partie du monde».

Présent parmi les diplomates invités,  l’ambassadeur de Russie en a perdu son sourire et a promptement quitté le palais royal face à l’affront fait à son pays.  A peine 24 heures après le « discours royal », l’ambassade de Russie a violemment attaqué la curatrice du trône, critiquant « ses phobies historiques et géopolitiques qui sont manifestement encore cultivées dans le "Vieux Royaume"» [comprendre le « l’ancien régime monarchique »-ndlr],  peut-on lire sur la page Facebook de la représentation russe. Avant de s’indigner officiellement: «tout cela est basé sur de fausses nouvelles distillées par  la propagande de l'OTAN qui infiltre quotidiennement l'esprit des simples gens et construites de manière à les présenter comme une vérité sur des faits historiques presque incontestables. (… »). Avant de renvoyer la balle à la fille du roi Michel Ier sur l’affaire de Crimée, lui rappelant dans quelle conditions peu démocratiques, la Transylvanie ou la Moldavie avaient été rattachées à la Roumanie après la première guerre mondiale.

Il a fallu peu de temps pour que les partisans de la monarchie répliquent à leur tour. Star de la télévision roumaine et proche de la « Couronne »,  la journaliste Csiki Camelia, a rappelé « les exactions de la Russie en Roumanie, évoquant les nombreuses déportations de prisonniers politiques » pour laquelle elle « n’a pas souvenir que Moscou ne se soit  jamais excusé un jour ».

Un incident diplomatique entre les deux pays,  inattendu,  qui a poussé la principale association monarchiste, l’Alliance nationale pour la restauration de la monarchie (ANRM), à réclamer au gouvernement le renvoi de l’ambassadeur tout en lui infligeant au passage une leçon d’histoire dans un communiqué publié dans la presse roumaine. « (…) Les agents de Moscou à Bucarest, avec l'aide de l'Armée rouge, ont sous la menace des armes, renversé notre  dynastie et exilé notre jeune et courageux roi Michel » peut-on encore lire  dans les journaux qui critiquent l’ambassade de Russie pour son manque de retenue diplomatique. « Sa Majesté Marguerita de Roumanie, aurait pu être aujourd'hui la première reine régnante de Roumanie, si le pays que Valery Kuzmin représente ne nous avait pas occupé illégalement  comme elle l'a fait » ont répondu les monarchistes à l’Ambassadeur. Daniel Gheorghe, député du parti libéral national, a même exigé que le représentant de Moscou présente des excuses à la Roumanie : « je pense que l'ambassadeur de la Fédération de Russie a l'obligation de s'excuser publiquement pour cette nouvelle sortie digne du langage soviétique et dans le pur style agressif autrefois utilisé par la Russie communiste » a déclaré l’élu.  Selon Iulian CHIFU, président du Centre pour la prévention des conflits, « la curatrice de la Couronne roumaine avait une position importante au sein de la République roumaine Le ministère roumain des Affaires étrangères devrait convoquer l’ambassadeur de Russie et, même s’il n’a pas commis une faute, obtenir qu’il soit rappelé à Moscou ». C’est vent debout contre le diplomate, accusé « d’ingérence soviétique », que diverses voix de la société civile se sont jointes à ce concert de protestations sur fond de patriotisme accru.

Sollicité, la présidence de la république n’a pas souhaité pour l’instant faire de déclaration officielle dans ce qui est qualifié par les médias « d’incident diplomatique » entre la Russie et la Roumanie. Des tensions qui ne sont pas sans rappeler les meilleurs épisodes de la guerre froide.

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Publié le 26/11/2019