« Je suis profondément désolé que ce soit arrivé. Bien sûr, c'est un crève-coeur ». Quarante-deux ans après l’assassinat du prince Louis Mountbatten, de son petit-fils Lord Nicholas Knatchbull et du jeune mousse Paul Maxwell, la présidente du Sinn Féin a exprimé publiquement ses regrets pour cet attentat perpétré par la branche militaire du mouvement indépendantiste, l’IRA. Des excuses inattendues de la part de Mary Lou McDonald, ce 18 avril, qui interviennent alors que l’Irlande du Nord est de nouveau secouée par des émeutes confessionnelles nourries par les divisions nées du référendum sur le Brexit.
Mullaghmore est un site prisé des surfeurs qui connaissent ce spot réputé en Irlande du Nord. Avec une vue sur l’océan, c’est ici que Lord Louis Mountbatten aimait à passer ses vacances, dans le château néo-gothique de Classiebawn, construit par Lord Palmerston, un des Premiers ministres de la reine Victoria. Le 27 août, « Oncle Dickie » décide d’aller pêcher à bord du « Shadow V » en compagnie de sa fille Patricia et de son mari, de la duchesse douairière Lady Brabourne, ses petits-fils jumeaux Lord Timothy et Nicholas Knatchbull, et d’un jeune mousse Paul Maxwell, trois adolescents de 14 et 15 ans tout heureux de fuir leur monotonie sur cette petite embarcation. Lord Mountbatten est une stature que tout le monde admire. C’est très jeune qu’il a intégré le collège de la Royal Navy. Il incarne tout ce qu’il y a de plus aristocratique dans la gentry britannique qui a adopté cette branche allemande de la maison de Hesse. Une dynastie à elle toute seule qui va donner des princes et princesse consorts à trois trônes. Officier dans la Marine, sa proximité avec le prince David (futur Edward VIII) de Galles agacera quelque peu le roi George V qui se méfie de Louis, déjà jugé très ambitieux et trop dévergondé à son goût. Les photos de Louis et David, à demi-nus dans le même bain, ont fait naître toute sorte de rumeurs autour d’une supposée liaison entre les deux hommes qui font pourtant des ravages parmi la gente féminine. Amoureux transi de la Grande-duchesse Maria Romanov, la fille du tsar Nicolas II, son mariage avec Lady Edwina Ashley (1922) n’en sera pas moins éblouissant. Les deux guerres mondiales offrent l’occasion à Louis Mountbatten de briller au combat et de faire ses preuves. Ses compétences ne sont plus à démontrées, il accumule les succès, participe même à la planification du débarquent des alliés sur les côtes nord-africaines et acquiert une réputation de meneur d’hommes en Asie, notamment en Birmanie.
Restés sur le port, les pêcheurs regardent le frêle esquif s’éloigner doucement vers le large et saluent même le prince qui a « cette pensée congénitale qu’il peut tout faire ». On l’a nommé gouverneur de l’île de Wight, un poste pour l’occuper après qu’il ait pris sa retraite de la Navy en 1965 et qu’il a achevé en ayant été nommé à la présidence du comité militaire de l’OTAN. Mais son meilleur fait d’armes reste encore ce titre de vice-roi des Indes, reçu en mars 1947, qui lui colle à la peau. Chargé de régler la douloureuse question de l’indépendance du joyau de l’empire britannique, l’Inde, Louis Mountbatten va imprimer sa marque en ramenant autour de la table des négociations, les hindous et musulmans qui se regardent en chien de faïence. Le couple entretient même des relations de proximité avec le Pandit Jawaharlal Nehru qui n’est pas insensible à la beauté de Lady Edwina. Son épouse et le futur Premier ministre de l’inde ont-ils entretenus une relation ? Les spéculations demeurent au sein cette relation où chacun avance ses hypothèses depuis des décennies. Il quitte l’Asie auréolé d’une gloire mais aux prix de milliers de victimes de part et d’autre des deux camps. Si la monarchie britannique se félicite des succès diplomatiques du prince, d’un point de vue politique, c’est un échec retentissant.
Louis Mountbatten a sur son visage, les traits burinés d’un soldat marqué par les vicissitudes de la vie mais qui cachent mal un sourire de satisfaction. Il a réussi là où d’autres ont échoué. Il a poussé dans les bras de la jeune princesse héritière Elizabeth d’York, le prince Philip Mountbatten et on dit que c’est lui qui a arrangé leur rencontre en 1939. Louis Mounbtatten espère même que sa branche va monter sur le trône d’Angleterre grâce à cette amourette qui va se transformer en un amour indéfectible de 73 ans. Il exercera plus tard un ascendant certain sur Charles de Galles, le fils aîné du couple royal qui voit en lui un second père, un mentor. On rigole et on imagine déjà le repas du midi. Thon et homard au menu de cette noble assistance. En mer, on est loin des tumultes qui agitent l’Irlande du Nord, où catholiques et protestants s’affrontent violement et quotidiennement. « Bloody Sunday » est encore dans toutes les mémoires. La manifestation pacifique organisée par l 'Association nord-irlandaise pour les droits civiques le 30 janvier 1972, pourtant interdite, tournera au bain de sang dans la ville de Derry. Pour l’IRA (armée républicaine irlandaise), c’est un acte qui appelle à une vengeance et dont l’effet devra déstabiliser les bases de la monarchie. Il fait beau ce jour-là et les nuages qui s’amoncellent ne perturbent pas le moins du monde Dickie qui a sorti les verres et le vin. Soudain, c’et le drame et les habitants de Mullaghmore sont secoués par l’horreur de la tragédie à laquelle ils assistent. Le « Shadow V » vient de voler en éclat.
Immédiatement des bateaux se précipitent au secours de l’équipage. Les débris de l'embarcation sont éparpillés partout sur la mer. On sort de l’eau Patricia, son époux, tous deux amenés à l’hôpital avec la duchesse douairière qui décède de ses blessures quelques heures plus tard. A Buckingham Palace, la reine Elizabeth II a été avertie qu’un attentat vient de toucher des membres de la famille royale. Puis vient enfin la nouvelle que tout le monde redoutait et qui saisit d’effroi la souveraine britannique. Lord Mountbatten a été retrouvé mort avec son petit-fils Nicholas et le jeune mousse, tués sur le coup par l’explosion revendiquée par l’IRA. Un meurtre conjugué avec celui, ce même jour, de 18 soldats britanniques tués dans l’embuscade de Warrenpoint. Une blessure profonde qui zèbre à vie les princes Charles et Philip, inconsolables. 42 ans après l’attentat, la présidente du Sinn Féin, la branche politique de l’IRA, Mary Lou McDonald, a décidé de présenter ses excuses à la couronne pour ce meurtre.
« L'armée britannique a mené de très nombreuses actions violentes sur notre île. Naturellement je suis désolé que ce soit arrivé. Bien sûr, c'est un crève-cœur » a déclaré celle qui dirige le parti nationaliste depuis trois ans et qui prône la mise en place d’un référendum en 2025 qui doit amener à terme à la réunification des deux Irlande. « Je crois qu'il est de notre devoir à tous de veiller à ce qu'aucun enfant, aucune famille, quelle qu'elle soit, ne soit confrontée à ce genre de traumatisme et de déchirement et je suis heureuse de le dire le week-end où votre reine a enterré son mari bien-aimé » ajoute Mary Lou McDonald qui appelle à tirer les leçons du passé. « Mon travail, et je suis sûre que le prince Charles et d'autres apprécieraient cela, est de diriger depuis la première ligne », a poursuivi la leader du Sinn Féin. Si son prédécesseur, Gerry Adams, a toujours refusé de faire la moindre excuse, expliquant qu’à cette époque, « c’était la guerre ! », l’assassin de Lord Mountbatten, Thomas McMahon, a été libéré en 1988. Depuis plusieurs jours, l’Irlande du Nord a renoué avec la violence. Des émeutes ont éclaté dans toute l’Ulster après l’annonce de la mise en place d’une frontière économique avec la Grande –Bretagne, générant une forte colère de la part des unionistes, conséquences du Brexit rejeté par les irlandais à plus de 56% lors du référendum de 2016.
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