Jusqu’ici hospitalisé à l’hôpital King Edward VII depuis le 16 février, « par mesure de précaution, sur le conseil du médecin de son Altesse Royale, après avoir été malade », le duc d’Edimbourg a été transféré hier à l’hôpital St Bartholomew’s afin d’y « effectuer des tests et rester en observation pour des problèmes cardiaques préexistants ». A l’aube de son centième anniversaire, le Royaume-Uni tout entier retient son souffle. Né prince de Grèce à l’ascendance généalogique prestigieuse, héroïque officier de la Navy dont la franchise a déstabilisé plus d’un sujet du Commonwealth, Philip Mountbatten est aussi pour la reine Elizabeth II « l’homme de sa vie avec lequel elle a noué un partenariat marqué par un respect mutuel ». Une figure incontournable, un roc pour des générations de britanniques qui ont toujours connu cet éternel prince consort à deux pas de sa « Queen ».
Le début de sa vie est marqué du sceau de la tragédie. Il naît le 10 juin 1921 sur l’île de Corfou dans une des chambres du palais « Mon Repos », une villa de style néo-antique achetée en 1864 par le roi Georges Ier, son grand-père. Dans ses veines coulent le sang des rois du Danemark placés sur le trône de Grèce par les affres de l’Histoire et par les intérêts des grandes puissances européennes de l’époque. Il est le dernier d’une fratrie de 5 enfants. Un an après sa naissance, encore dans le berceau, son destin va basculer lorsque le roi Constantin Ier est contraint d’abdiquer suite à un coup d'état. Son père, André, est regardé comme le principal responsable de la défaite de Sakarya contre les turcs et même accusé de désertion par les militaires qui n’apprécient pas plus sa mère, Alice de Battenberg. Une famille qui a le tort d’avoir des origines anglo-allemandes et qui a décidé de suivre les Windsor en 1917, changeant leur nom germanophone en Mountbatten. André n’échappera au peloton d’exécution que grâce à un émissaire du roi George V mandaté pour sauver cette famille qui va connaître les difficultés de l’exil. Ses parents laisseront tout derrière eux, exceptés ces larmes qui s’écoulent sur leurs joues lorsqu’ils embarquent sur le HMS Calypso. Philip est placé dans un cageot d’orange qui lui servira de couffin de fortune tout au long du voyage
Le couple va se désagréger peu à peu. André sombre dans l’alcool et va mener une vie de play-boy avec ses maîtresses, Alice sombre peu dans la schizophrénie et la folie mystique, persuadée d’avoir des pouvoirs surnaturels. Le jeune Philip suit chacun des périples de ses parents, placé dans une école américaine qui a pris ses quartiers dans la maison de l’écrivain Jules Verne à Saint-Cloud. La discipline y est stricte, l’enfant se montre « turbulent, doté d’une forte personnalité mais toujours poli » écrira à son propos le directeur MacJannet. Sa cousine, Alexandra, future reine de Yougoslavie, évoque « son espièglerie, son côté rieur, sensible à la détresse des autres ». Le garçonnet se mue peu à peu en adolescent à la chevelure blonde, un homme athlétique devenu responsable et qui met en émoi toute la gente féminine. Il évolue dans un monde d’aristocrates et de milliardaires américaines, lui est sans le sou. Il foule enfin le sol de son pays en 1936 pour assister au retour des dépouilles royales. La monarchie a été restaurée, le prince se veut curieux de tout, pose des centaines de questions avant que terribles réalités ne se rappellent à lui. Un après son retour, sa sœur, Cécile, son époux et ses deux enfants meurent tous dans un accident d’avion. Il est inconsolable, trompe sa tristesse par des facéties qui cachent difficilement son mal-être.
« Lilibeth » a 13 ans lorsqu’elle rencontre Philip de Grèce pour la première fois de sa vie. Le prince fait alors ses études au collège naval de Dartmouth. La jeunesse princesse héritière accompagne avec sa sœur Margaret, son père, le roi George VI en visite officielle dans cette école. Il a été chargé par ses supérieurs de distraire sa cousine. Elle n’aura d’yeux que pour lui alors qu’ils jouent ensemble au croquet et au train électrique. Le déclenchement de la Seconde guerre mondiale va happer Philip qui rejoint les rangs de la Marine, passant les grades les uns après les autres et avec héroïsme. Croix de guerre française et de Grèce, citation au sein de la Royal Navy, Elizabeth et Philip se retrouvent en 1943 au château de Windsor. Ils sont liés par le même sentiment de liberté et d’amour que peuvent éprouver deux jeunes gens dont la vie a été perturbée par le bruit des canons et les horreurs de la guerre. L’idylle ne débute que véritablement en 1944 comblant le roi George VI qui ne tarit pas d’éloges sur le cousin de Georges II de Grèce, bientôt orphelin de son père. La demande de mariage se fera au cœur des landes écossaises. Philip va renoncer à la religion orthodoxe, prend à son tour le nom de Mountbatten et se convertit à l’anglicanisme. Le Royaume-Uni se passionne pour les fiançailles de sa future reine qui arbore au doigt une bague en platine et de diamants, en coulisses certains se plaignent de ce Battenberg qui entre dans la famille royale et tout en buvant des coupes de champagnes, l’oncle Dicky, Louis Mountbatten, dernier vice-roi des Indes, échafaude déjà des plans pour sa maison qu’il entrevoit avec une couronne royale au–dessus de son blason.
Le mariage à Westminster Abbey, le 20 novembre 1947, est féérique et sera béni par la naissance de 4 enfants. Charles en 1948, Anne en 1950 , Andrew en 1960 et Edward en 1964. Le duc et la duchesse d’Edimbourg nage dans le bonheur jusqu’au 6 février 1952. Au Kenya, la princesse Elizabeth apprend qu’elle est devenue subitement reine d'Angleterre. C’est un bouleversement protocolaire pour Philip à qui le gouvernement refuse de lui donner le titre de roi craignant les ambitions trop prononcées de son oncle. Tout au plus, on consent à lui octroyer celui de prince consort qui l’oblige à être deux pas en arrière de son épouse. Une frustration qui a toujours agacé le prince Philip dont le comportement perturbe domestiques comme ministres de sa « Gracieuse Majesté ». De disputes en réconciliations, Elizabeth II finira par céder sur un autre sujet, celui du nom de ses enfants. En avril 1960, les Mountbatten-Windsor sont nés à l’état civil. Philip Mountbatten est un cuisinier hors-pair qui adore s’entourer de gadgets modernes et qui trouve encore le temps se consacrer à sa passion première, la mer. On le dit dur et froid avec ses enfants, d’autres affirment qu’en en réalité, il est très proches d’eux même s’il « entend faire de son aîné, un homme et un vrai qui doit apprendre la discipline et de s’incliner devant sa mère ». C’est d’ailleurs qui lui qui insiste pour que son Charles aille à l’école avec d’autres enfants en dépit des réticences de sa chère Lilibeth. Entre deux pintes de bière ou un verre de cognac, il choque parfois avec ses plaisanteries crues qui agacent Elizabeth II. Une souveraine qui n’hésite pas « parfois à lui chercher la petite bête ». Et lorsqu’en 1968, un journaliste ose lui poser une question concernant des rumeurs d’infidélités, il répond de manière imperturbable : « Pendant un demi-siècle, je n’ai pas pu faire un pas sans avoir un garde du corps à mes trousses. Comment aurais-je fait pour cacher une liaison extra-conjugale ? » ironise le duc d'Edimbourg.
Ses bourdes diplomatiques sont aussi légendaires que tonitruantes. Plus d’une fois, le duc d’Edimbourg manque de courtoisie envers ses hôtes, oubliant même pourquoi il a été invité. Une fois, lors de l’inauguration du nouvel hôtel de ville de Vancouver, Philip a un trou de mémoire et déclare : « Je déclare ouverte cette… chose, quelle qu’elle soit ». Le scandale sera à la hauteur de son caractère. Une autre fin, affichant une certaine xénophobie toute naturelle, il se demande pourquoi le Royaume-Uni continue de se soucier du Canada puisqu’elle le fait dans l’intérêt de ses habitants et non de ceux de l’Angleterre. Lors des guéguerres matrimoniales et médiatiques entre Charles et son épouse Lady Diana, dont Philip faisait peu de cas, il n’hésite pas à sermonner son héritier et sa bru. « Reprenez-vous, bon Dieu » hurle-t-il dans tout Buckingham Palace. En vain. La monarchie sera touchée par ce divorce qui se termine en 1997 avec l’accident de voiture mortel de Lady Diana sous le pont de l'Alma, à Paris. Ses familiers le disent découragé par les naufrages maritaux de ses trois premiers enfants et la vision d'un monde qui lui échappe pris par une certaine lassitude. Finalement, en 2017, il décide de renoncer à toutes ses activités publiques pour raisons de santé. Président du Fonds mondial pour la nature entre 1981 et 1996, il a pris plus d’une fois position en faveur de la défense de l’environnement et a transmis le témoin à son fils aîne qui s'apprête à reprendre bientôt la barre du vaisseau Windsor. Un roc pour la reine Elizabeth II, un chef de famille qui n’hésite pas à bousculer les traditions royales et séculaire du royaume , une élégance toute aristocratique trahie par un comportement trop indépendant et une liberté de ton « à décorner les bœufs», tel est le portrait d’un prince qui a traversé un siècle et qui reste indubitablement associé au règne de sa « Queen of heart ». L’image heureuse d’un « partenariat assumé au service de la monarchie » en dépit des vicissitudes de la vie.
Copyright@ Frederic de Natal