Un passé esclavagiste, la monarchie britannique dans la tourmente
Un passé esclavagiste, la monarchie britannique dans la tourmente
Un mois avant son couronnement, le roi Charles III a publiquement exprimé son soutien à la mise en place d’une commission chargée de déterminer dans quelle mesure la monarchie britannique a participé au commerce triangulaire. La prise de position du monarque intervient après que le quotidien The Guardian a publié des documents inédits démontrant le profit tiré de la traite transatlantique d’esclaves par plusieurs souverains du Royaume-Uni.
Dans le cadre d’une enquête sur les finances de la famille royale des Windsor, le quotidien The Guardian a publié une série d’articles à charge contre la monarchie. Dans son édition du 6 avril 2023, le journal a publié un document prouvant les liens de l’institution royale avec des sociétés spécialisées dans la traite des esclaves. Dans un royaume qui a été sévèrement secoué par des manifestations du Black Lives Matter (BLM), il y a deux ans, avec des statues de héros, souverains de l’histoire anglaise déboulonnées ou aspergées de peinture rouge symbolisant le sang des africains déportés de leur continent, cette dénonciation n’est pas passée inaperçue. The Guardian a mis en ligne un document datant de 1689, retrouvé par l'historienne Dr Brooke Newman, qui prouve que la Royal African Company a transféré 1 000 Livres sterlings d'actions de son entreprise directement dans les caisses du roi Guillaume III et que celui a donné son approbation à cette transaction. Un monarque dont la figure orne fièrement les jardins du palais de Kensington. Le document porte clairement le nom manuscrit du marchand Edward Colston, un négrier bienfaiteur de Bristol, député, dont la représentation a été dégradée par les activistes du BLM et aujourd’hui reléguée dans un musée de la ville.
Une affaire prise au sérieux par le roi Charles III
« Ce document offre une preuve claire de l'implication centrale de la monarchie britannique dans l'expansion de la traite des esclaves et de l'énorme importance du soutien de la Couronne pour les voyages esclavagistes en Afrique. Edward Colston est maintenant devenu célèbre grâce aux recherches dévouées des historiens et des militants à Bristol, mais en fait, il était une figure beaucoup moins importante que les rois et reines successifs qui ont investi et donné un soutien royal à l'esclavage et à la traite des esclaves » a déclaré Brooke Newman. Dans la foulée, The Guardian a publié la liste de souverains ayant bénéficié des largesses de l’esclavage, de la reine Elizabeth Ière (1558-1603) au roi Guillaume IV (1830-1837) qui ne cachait pas son opposition à l’abolition du commerce triangulaire, pourtant intervenue sous son règne (1833), une pratique qu’il jugeait « vitale pour la prospérité », soutenant que les esclaves vivaient dans « un état d'humble bonheur ». Afin d’éviter toutes polémiques sur le sujet, alors que le roi Charles III doit être couronné le 6 mai, Buckingham Palace a immédiatement réagi à cette nouvelle polémique. « C’est une affaire que Sa Majesté prend très au sérieux » a déclaré un porte-parole du palais royal.
La monarchie britannique accusée de racisme
Si le roi Charles III et le prince William de Galles ont récemment exprimé leur « profonde tristesse » face à « l'épouvantable atrocité de l'esclavage », qui, selon eux, « tache à jamais notre histoire », ni l'un ni l'autre n'a cependant explicitement reconnu toute l'étendue du rôle de la monarchie dans le commerce triangulaire. L'année dernière, lors d’une tournée dans les Caraïbes, le prince William et de son épouse Kate ont suscité la controverseen serrant la main d'enfants à travers une clôture. Pour les associations qui réclament que le Royaume-Uni verse des indemnités aux descendants d’esclaves, le geste a été analysé comme l’illustration « de la mentalité colonialiste et esclavagiste britannique ». La famille royale a également fait face à des accusations de racisme proférées par le prince Harry et son épouse Meghan Markle, une Américaine métissée, lors d’une interview accordée à Oprah Winfrey. Dans l’entretien diffusé par la chaîne de télévision CBS, Meghan Markle avait affirmé qu'elle avait été confrontée à des attitudes racistes de la part du palais et de membres de la maison royale.
Une commission chargée d'enquêter sur les liens entre la royauté et le commerce triangulaire
En novembre 2022, le roi Charles III a déclaré que son pays ne devait pas cacher son rôle dans la traite des esclaves et assumer son passé. Dans un discours lu au dernier sommet des dirigeants du Commonwealth, la même année, le monarque a ajouté que le Royaume-Uni, la monarchie que « devaient reconnaître les torts qui ont façonné son passé », affirmant qu'il continuait lui-même à « approfondir [sa] propre compréhension de l'impact durable de l'esclavage » dans les consciences. Il a mis en place une commission chargée d’enquêter sur le rôle de la monarchie dans la traite d’être humains afin qu’il n’existe plus aucun contentieux entre l’institution royale et les Britanniques. Historic Royal Palaces, qui gère certains des châteaux royaux du Royaume-Uni, « est un partenaire de ce projet de recherche indépendant » dirigé par un historien de l'Université de Manchester. « La Maison royale soutient cette recherche grâce à l'accès à la Collection royale et aux Archives royales » a déclaré le Palais. « Ce processus s'est poursuivi avec vigueur et détermination depuis l'accession de Sa Majesté au trône » a fait savoir le porte-parole du Palais.
Un passé qui divise et menace le socle de la monarchie Windsor
Face à ses révélations, Arley Gill, président de la Commission nationale des réparations de la Grenade, a déclaré : « La famille royale doit réparer et expier les personnes et les sociétés qui auraient souffert en raison de leur implication dans la traite des esclaves. Les réparations ne peuvent plus être un sujet qui peut être balayé sous le tapis royal de la maison royale ». Harvey Proctor a demandé que toutes les réparations soient payées par Charles personnellement, et non par l'État. « Le paiement de toute réparation ne doit pas provenir de l'État. Sinon, nous devrions poursuivre les Français pour les dommages causés par la conquête normande en 1066 et similaires aux États-Unis pour le prix du thé perdu dans le port de Boston » a déclaré l’ancien député conservateur. Eric Phillips, de la Caricom Reparations Commission, qui représente les pays des Caraïbes où les puissances européennes ont réduit les gens en esclavage pour travailler dans les plantations, est sans ambages sur le sujet : « Le roi Charles en sait assez pour s'excuser et devrait le faire ». Des arguments qui agacent les historiens. Rafe Heydel-Mankoo a déclaré à GB News que « seuls 3 % de l'économie britannique vers 1770 avaient un lien avec la traite des esclaves ». « Donc, ce mythe que nous entendons beaucoup dans ce pays maintenant que l'Empire, la révolution industrielle et la richesse de la monarchie ont été construits sur l'esclavage est un non-sens absolu » a expliqué cet historien. Son collègue Andrew Roberts a renchéri, affirmant que si « la famille royale était liée à celle Hanovre, leurs descendants ne devraient pas être blâmés pour les actions des dynasties précédentes ».
« Si la famille royale a honte de son passé, elle ira dans le même sens que le journal The Guardian, qui s'est excusé pour son propre rôle historique dans le commerce des esclaves et a accepté de faire don de 10 millions de livres à un programme de "justice réparatrice ". Il ne restera alors plus qu’à abolir la monarchie puisqu’elle s’identifiera elle-même, de fait, comme une relique historique du passé » a averti de son côté, dans The News, le journaliste Richard Eden, spécialiste de la maison royale britannique.