Adoptée à l’unanimité par la Douma, une loi autorise le Président Vladimir Poutine à rester à la tête de l’État russe jusqu’en 2036. En dépit du conflit qui oppose la Russie à l’Ukraine, la question de sa succession se pose néanmoins. Alors qu’aucun nom de leader politique ne semble émerger comme son potentiel dauphin, dans l’ombre, un groupe s’active autour de lui et plaide pour le retour de la monarchie à la fin de son mandat.
Aux commandes de la Russie depuis 2000, Vladimir Poutine, 70 ans, a su s’imposer habilement à la tête de la Fédération de Russie. Face à lui, une opposition quasi-inexistante, exilée ou embastillée. Tour à tour Président, Premier ministre puis de nouveau le maître du Kremlin, il a signé une loi qui lui autorise de se représenter encore deux fois à la tête du pays alors qu’il aurait dû se retirer techniquement l’année prochaine comme l’y oblige la constitution. Devenu l’objet de toutes les irritations européennes, l’ancien officier du KGB fascine comme divise tout ceux qui l’ont approché. Avec la guerre russo-ukrainienne, Vladimir Poutine reste combatif, déterminé, mais apparaît usé par des décennies de pouvoir sans partage. La question de sa succession se pose d’autant qu’il n’a désigné aucun dauphin potentiel. Dans l’ombre, un groupe prépare l’avenir et entend couronner de nouveau la démocratie russe avec un tsar à sa tête.
Un tiers des Russes souhaitent le retour de la monarchie
Avec la chute de l’Union soviétique en 1991, les mouvements monarchistes se sont reconstitués, l’ancienne aristocratie a fait son grand retour tout comme les descendants de la maison impériale Romanov qui a régné sur la Russie de 1613 à 1917. Victimes d’une révolution, le tsar Nicolas II et sa famille ont été exécutés par les bolchéviques en juillet 1918 et promptement ensevelis dans la forêt de Iekaterinbourg. Retrouvés, ils reposent désormais dans la forteresse Pierre-et-Paul de Saint-Pétersbourg et ont été canonisés par l’Église orthodoxe. Durant la présidence du Président Boris Eltsine, la possibilité d’une restauration de la monarchie avait été déjà largement évoquée sans qu’il n’y ait une suite. Depuis, l’idée monarchique a fait son chemin. On ne compte plus les statues qui rendent un hommage aux différents membres de la dynastie déchue ni les commémorations célébrées en grande pompe par le Kremlin sur fond de nationalisme accru. D’après les sondages sur la question, un tiers des Russes souhaitent même le retour de la monarchie bien que celle concernant le nom du prétendant continue de diviser la mouvance monarchiste. Pour une majorité d’entre-eux, en dépit des querelles dynastiques qui persistent, deux noms font consensus : ceux de la grande-duchesse Maria Wladimirovna et de son fils, le grand-duc Georges. Tous deux sont descendants direct du tsar Alexandre II dont le règne a été marqué par l’abolition du servage en 1861.
Un monarchiste murmure à l'oreille du Président Poutine
Parmi tous ceux qui s’activent pour convaincre Vladimir Poutine de remettre un monarque sur son trône après lui, l’influent oligarque Konstantin Malofeev qui murmure à son oreille. Milliardaire de 48 ans, à la tête de plusieurs fonds d’investissements, il a fondé le mouvement Aigle à Deux-Têtes qui finance les cérémonies et traditionnels pèlerinages organisés chaque année en mémoire au Tsar Nicolas II (« Journées du Tsar »). Une marche sur des milliers de kilomètres qui rassemble plus de 100 000 personnes et qui est habilement coordonnée par Konstantin Malofeev. Partisan du rattachement de la Crimée à la Russie, il est soupçonné par les Européens et les Américains d’armer les séparatistes russes du Donbass. Ce qu’il nie catégoriquement. Il a fondé une école, le collège Saint-Basile-Le-Grand qui prépare les étudiants à prendre les rênes de la future administration impérial à venir. Dans les couloirs de cette institution, les portraits de tous les tsars s’affichent aux yeux des élèves à qui on distille des valeurs traditionnelles basées sur le respect de la religion orthodoxe. Selon lui, le retour de monarchie peut très vite survenir en Russie. « Je ne suis pas seulement monarchiste, je suis aussi un amoureux de l'Histoire, donc je sais que dans l'Histoire, sur fond de centaines d'années et de millénaires, toutes sortes de changements se produisent, et très rapidement » a déclaré Konstantin Malofeev, il y a un an, lors d’une interview. C’est un partisan de l’autocratie. Pour le salut de la Sainte-Russie, la monarchie « est le seul régime qui sied au pays » affirme celui qui détient aussi les droits de la chaîne de télévision Tsargrad (nom russe de Constantinople), suivie par 7 millions de personnes. Ce proche de la maison impériale a noué des liens avec tous les partis d’extrême-droite européens et a échappé le 6 mars 2023 à une tentative d’assassinat, orchestrée « par l’Ukraine et le corps des volontaire russes de Denis Nikitine » selon le Service fédéral de Sécurité (FSB).
Le lobby monarchiste de la Douma
Au Parlement (Douma), l’idée monarchique n’est pas en reste. En 2015, le député Vladimir Petrov avait proposé de donner un statut officiel aux Romanov « Je suis sûr qu'un retour des descendants du dernier dirigeant russe dans la patrie historique contribuera à atténuer les contradictions politiques laissées depuis la Révolution d'Octobre et deviendra un symbole de la renaissance du pouvoir spirituel du peuple russe » avait déclaré l’élu. Leur retour au pouvoir permettrait de « raviver le pouvoir spirituel du peuple russe » affirme encore Petrov. Politicien truculent, feu le député Vladimir Jirinovski, leader de l’extrême-droite russe, avait lui-même plébiscité le retour d’un monarque a de nombreuses reprises, réclamant même que l’ancien hymne impérial « Dieu sauve le tsar » devienne officiellement celui de la Russie. Lors d’un discours à la Douma en 2014, il avait réclamé la restauration de la monarchie absolue, expliquant que le pays n’était « pas fait, ni pour le communisme, ni pour la démocratie ». Alexandre Douguine est l’idéologue du Kremlin. C’est aussi un ami de Malofeev et également un monarchiste. « Les problèmes [de la Russie-ndlr] se termineront par une véritable victoire si le peuple russe finit par trouver un véritable dirigeant légitime, son monarque russe. Cependant, nous parlons d'une monarchie populaire, née des profondeurs de l'existence russe, une monarchie existentielle, spirituelle » explique ce théoricien du néo-eurasisme très influent au Kremlin et à la Douma.
La Crimée blanche
Sergueï Valerievitch Axionov est l’actuel Président de Crimée. Il est arrivé à la tête de cette région russe d’Ukraine dans des circonstances troubles. Lorsque le régime du président ukrainien Viktor Ianoukovytch est renversé par la révolution de Maïdan (2014), un groupe armé s’empare alors du Parlement de Crimée et le porte au pouvoir. Le drapeau russe va désormais flotter sur les bâtiments officiels de cette province, chère au cœur des Romanov, qui sera rattachée à la Russie par référendum. Axionov est un monarchiste assumé et ne se prive pas de le faire savoir. En 2015, il avait publiquement appelé à la restauration de la monarchie sans préciser pour autant qui devait monter sur le trône de Russie. Autour de lui, des miliciens du Mouvement impérial russe placé sur la liste des organisations terroristes par les États-Unis (ces monarchistes ont des liens avec leurs alter egos serbes et austro-hongrois). Ils ont combattu contre les Ukrainiens. Ce sont des partisans inconditionnels de la Nouvelle Russie. Il a même été question de faire de la Crimée, l’avant-garde de la restauration, là où entre 1918 et 1922 monarchistes et communiste se sont violemment affrontés. Sergueï Valerievitch Axionov et Malofeev sont d’ailleurs liés. Bien que le dirigeant de Crimée soit proche de Poutine, ses opinions monarchistes « ne reflètent que lui « a cependant déclaré le porte-parole du Kremlin. Quelque peu désavoué, Axionov est revenu sur ses propos suggérant de faire finalement du dirigeant russe un « président à vie ». Ce qui ne l’a pas empêché de recevoir les membres de la maison impériale venus acter le retour de la Crimée dans la mère patrie.
Pour Dieu et le tsar !
70% des Russes s’identifient à l’orthodoxie, religion majoritaire de la Russie. Elle est indissociable de l’idée monarchique et reste encore associée au pouvoir actuel. En 2000, le patriarche Alexis II a décidé de canoniser Nicolas II et toute sa famille. Le dernier tsar, sa femme et ses enfants font l’objet d’un culte profond dans ce pays qui estime incarner le mieux « l’esprit de défense des valeurs traditionnelles face aux déviances de l’Occident ». Son successeur, le patriarche Kirill, est tout aussi proche des Romanov. Lors du quadricentenaire de la maison impériale en 2013, il avait déclaré que « la monarchie russe n’avait eu de cesse que de servir pour le bien du pays et du peuple ». « (…) Je pense que le premier sentiment que nous devrions avoir aujourd'hui envers ceux qui ont gouverné notre pays pendant 300 ans est un sentiment de gratitude, d'appréciation pour tout ce qu'ils ont fait » n’avait pas hésité à ajouter le patriarche Kirill. L'archiprêtre Vsevolod Chaplin a longtemps été le porte-parole de l’Église orthodoxe. « Les Russes ont une conscience monarchiste profondément ancrée » affirme-t-il. C’est un ardent partisan du retour d’un empereur, un Romanov ou même de couronner Vladimir Poutine lui-même et qui n’hésite pas à le faire savoir publiquement bien qu’il reconnaisse que l’idée d’un retour de la monarchie divise le clergé.
Lors d’une interview, le lieutenant-général Leonid Reshetnikov, ancien membre du service de renseignement extérieur de l'Union soviétique (URSS) et vice-président du mouvement l'Aigle à Deux-Têtes, avait révélé que Vladimir Poutine trouvait l’idée d’un retour de la monarchie « séduisante ». Pourtant le dirigeant russe ne semble pas très enthousiaste à ce qu’un monarque revienne à la tête de la Fédération russe. Interrogé sur le sujet par le producteur et réalisateur Oliver Stone en 2017, Vladimir Poutine avait déclaré que « ce n’était pas sur son agenda ». Reste à savoir désormais si l’Histoire sera à nouveau facétieuse dans l’avenir ?
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