« La monarchie est la seule forme de gouvernement dans laquelle la Russie et les Russes ont pu exister pendant si longtemps sans perdre leur identité ». L’après Vladimir Poutine dessine-t-il un éventuel retour de la monarchie en Russie ? C’est toute la question qui se pose désormais depuis l’oligarque orthodoxe Konstantin Valeriévitch Malofeev, a annoncé ces derniers jours la constitution de son parti politique « Tsargrad ». Celui qui souffle à l’oreille du président russe ne cache pas sa proximité avec la maison impériale des Romanov ni sa volonté de rétablir la monarchie comme le mentionne un des articles du programme de son mouvement qui a reçu le soutien de divers membres du clergé, députés et sénateurs.
Il est devenu en quelques années le politique le plus incontournable de Russie. Proche du Kremlin et des milieux monarchistes, Konstantin Valeriévitch Malofeev a fondé la « Société de l’Aigle à deux-têtes » Oligarque a succès, il a tissé une toile autour de lui où gravitent tous les réseaux influents de Russie et d’Europe. Philanthrope sulfureux, il est qualifié de « nouveau Raspoutine » par une presse qui dénonce ses liens avec différents mouvements d’extrême-droite européens. Malofeev est un conservateur, partisan d’un retour à la monarchie, un traditionaliste orthodoxe qui a placé sa foi dans la Résurrection de la Sainte Russie, proche de Philippe de Villiers et du Rassemblement national pour la France. Depuis des mois, la présidence russe bruisse de rumeurs en tout genre, notamment celle d’une possibilité de retour à la monarchie et dont se sont faits l’écho plusieurs médias internationaux. Tee-shirts jaunes floqués de l’aigle bicéphale des Romanov, la « Société de l’Aigle à deux-têtes » a assuré la sécurité du défilé annuel organisé en mémoire de Nicolas II et de sa famille, exécutés par les bolsheviks en 1918. Pour Konstantin Valeriévitch Malofeev, le salut de la Russie passera par le retour du Tsar. Le 22 novembre, il annoncé au cours du congrès de son mouvement que le parti Tsargrad avait été porté sur les fonts baptismaux. Le choix du nom est loin d’être anodin puisqu'il fait référence à la version russe de Constantinople et qui selon des thèses panslavistes en font la capitale d’une grande fédération russes. Les descendants de Rurik le Grand sont-ils aujourd’hui prêt à couronner leur république ?
Retour vers le futur. Lors de la chute de la monarchie en 1917, les partisans du tsarisme se rassemblent et tentent de reprendre pied dans différentes parties de la Russie, aidés un temps par les Alliés qui craignent que les communistes importent leur révolution en Europe de l’Ouest. Avec les Romanov exilés, principalement en France, en Allemagne, Canada ou les Etats-Unis, défaits en 1922, les monarchistes s’organisent en différentes mouvances (comme le Conseil suprême monarchique), même les plus incongrues, et complotent. Tant et si bien qu’entre 1921 et 1926, les soviétiques mettent en place « l’Opération confiance » qui consiste à infiltrer les mouvements tsaristes pour mieux les démanteler, quitte à assassiner leurs leaders. Et si les Romanov se déchirent (entre partisans du Grand-duc Cyrille et du Grand-duc Nicolas Romanov), tous restent animés par le même but. Revenir en Russie et peu importe l’idéologie des partis politiques qui le leur permettront. Certaines organisations monarchistes tombent dans la nasse des nazis, d’autres décident de franchir clandestinement la frontière de l’Union soviétique et fondent un mouvement armé à Léningrad, ex Saint-Petersbourg. Jusqu’en 1930, les communistes doivent affronter un mouvement de résistance monarchiste (dit Légitimiste) qui se spécialise dans la guérilla et qui agit au nom des intérêts du Grand-Duc Cyrille qui s’est proclamé curateur de la couronne en 1922. L’Europe se passionne pour les faux prétendants qui affirment être le fils ou la fille du Tsar Nicolas, miraculeusement rescapé(e) du massacre, qui paraissent crédibles, y compris pour les Russes qui espèrent que leur souverain est toujours vivant. Et si des monarchistes s’engagent sous l’uniforme nazi durant la Seconde guerre mondiale (plus par esprit patriotique plus que par adhésion au national-socialisme), Berlin ayant jusqu’à proposer un trône à Cyrille qui le refuse ou Rome, celui du Monténégro à deux Romanov, il faut attendre la chute de l’Union Soviétique en 1991 pour que le monarchisme refasse surface en Russie. Avec succès. 50000 personnes accueillent le rtour du Grand-duc Wladimir Romanov en 1991. Depuis l’engouement pour les Romanov ne s’est jamais démenti, notamment depuis que l’Eglise orthodoxe, un des piliers de l’Empire, a décidé de canoniser la famille impériale qui fait l’objet d’un véritable culte. Les sondages sur un éventuel retour de la monarchie se sont multipliés et si les Romanov ont été largement réhabilités, c’est un tiers des russes qui réclament le retour d’un Tsar. Soit en deux décennies, une progression de cette idée multipliée par trois et qui fait mouche chez les jeunes. La dernière enquête d’opinion sur le sujet montre que 46% des jeunes russes y sont favorables.
« Nous nous sommes unis pour construire l'empire russe du futur, surmonter les divisions du peuple russe et mener une lutte irréconciliable contre toute forme de russophobie ». Lors de son congrès fondateur, Konstantin Malofeev n’a pas caché qu’il entendait mener à bien la restauration de la monarchie. C’est un intime du Grand-duc George Romanov, héritier au trône, qu’il contribue à mettre régulièrement en avant, un des financiers principaux du Congrès des Familles, une capacité à rebondir sur ses échecs assez étonnante. Le nouveau parti revendique déjà des centaines de milliers d’adhérents les « enfants de la victoire ». «Nous rassemblons des personnes qui partagent avec nous la conviction que la monarchie autocratique est la seule institution raisonnable, traditionnelle et naturelle de la société humaine. Elle a été la période la plus heureuse et la plus brillante de l'histoire du peuple russe. Je considère que c'est le seul refuge sûr pour la Russie. Et pour les croyants, c'est aussi celle qu’il faut soutenir » n’avait pas hésité à déclarer l’oligarque en 2018. « Quand je parle de monarchie, je ne parle pas d'un système décoratif comme au Danemark, en Hollande ou en Norvège. Je parle d'une vraie monarchie, lorsque l'État a été oint par Dieu » affirme Malofeev, n’hésitant pas à entrer en contradiction avec les monarchistes russes eux-mêmes qui plébiscitent une monarchie constitutionnelle. « La monarchie est la seule forme de gouvernement dans laquelle la Russie et les Russes ont pu exister pendant si longtemps sans perdre leur identité, leur culture et leur langue » renchérit Konstantin Malofeev qui jette les bases de son programme politique qui s’inscrit dans un certain conservatisme assumé et le rejet des valeurs de la société occidentale devenues pernicieuses selon ce businessman, également directeur d’un lycée qui forme les cadres de la future monarchie en devenir sous le regard de tous les tsars passés. Un travail qui paye. La Transnistrie a déjà reconnu un statut officiel aux Romanov et la Crimée soutient l’idée du retour à la monarchie comme l’avait expliqué en 2015, son président Sergey Aksyonov, certains députés de la Douma ayant fait part de leur attachement aux Romanov.
Mais que pense le Kremlin de cette agitation monarchiste autour de Vladimir Poutine ? Si « officiellement ce n’est pas sur son agenda », de l’aveu même du concerné qui dirige le pays depuis 1999, les conseillers du président russe brouillent les pistes et préfèrent démentir toute idée en ce sens. « Le président Vladimir Poutine voit l’émergence de cette idée sans réel optimisme et mais reste très ouvert sur le sujet » avait toutefois expliqué le porte-parole du gouvernement en 2017. Interrogé également sur l’initiative de Konstantin Malofeev, Dimitri Peskov a rétorqué que « c’était une initiative personnelle de celui-ci » avant de balayer aussi ce projet de certains monarchistes qui ne verraient pas d’un mauvais œil, une couronne sur la tête de Poutine et qui s’activent en ce sens. Parmi eux de notables membres du clergé orthodoxe qui craignent la chaos après le départ de l’ancien officier du KGB, les services secrets soviétiques défunts.
Chez les Romanov, on reste prudent et on s’abstient de commenter tout en multipliant les apparitions dans tous les champs économiques et sociaux du pays. Et on se tient prêt. Bien que divisés entre eux branches qui revendiquent chacune le trône, les Kirillovicth sont majoritairement reconnus par les monarchistes. Interviewée récemment, la Grande-duchesse Maria Wladimirovna expliquait que « la crise mondiale ne faist que s'aggraver chaque année, et démontre que les républiques et leurs différents systèmes idéologiques sous-jacents ne sont pas ou plus en mesure de garantir la prospérité et la stabilité (…), dans de nombreux pays». Avant de poursuivre : «Les gens commencent à comprendre cela et à revenir à nouveau aux valeurs traditionnelles ». « Le retour d’un attachement à la foi et la tradition suscite à son tour un intérêt accru pour la monarchie. Je suis convaincu que la monarchie pourrait être à nouveau très utile à la fois en Russie et dans de nombreux autres pays. La monarchie héréditaire offre une continuité - une continuité vivante et résolue - avec le passé et peut servir de véritable arbitre neutre au sein de notre société parce que son pouvoir n’est pas tributaire d’un parti ou d’un groupe politique. La monarchie défend et protège les intérêts de la nation entière dans son ensemble. Si nous parlions de réformes progressives et de changements, je dirais encore une fois que la monarchie est un vecteur de modernité beaucoup plus efficace que les républiques » affirme la prétendante au trône, future Maria Ière de Russie ? Il appartient désormais à Konstantin Malofeev d’écrire l’avenir de la Russie en lettres cyrilliques et aux Russes de choisir cette solution comme la plus viable de l’après Poutine lors des prochaines élections législatives pour lesquelles, Tsargrad se prépare désormais.
Copyright@Frederic de Natal