«Il y a soixante-quinze ans, notre peuple, par un héroïsme sans précédent et par d'énormes sacrifices humains, a vaincu des envahisseurs que les autres puissances de l'Europe continentale n’avaient pu stopper». Le 9 mai, date anniversaire de la fin de la Seconde guerre mondiale, que les manuels d’histoire russe ont appelé la «Grand guerre patriotique» (??????? ????????????? ?????), la Grande-duchesse Maria-Wladimirovna a adressé un message à ses compatriotes. En raison de la crise sanitaire du covid-19, la prétendante au trône de Russie n’a pu assister aux commémorations prévues par le Kremlin. Quel a donc été le rôle des Romanov durant le conflit mondial ?
Une guerre totale. En 1941, l’Allemagne du chancelier Adolf Hitler est au firmament de sa gloire. L’Axe a étendu ses tentacules sur l’ensemble de l’Europe et placé ses partisans à la tête de nombreux gouvernements collaborateurs ou fantoches. Le Führer pense qu’il est alors temps d’attaquer un ennemi avec lequel il avait pourtant signé un pacte de non-agression en septembre 1939. Les rapports qui s’accumulent sur ses bureaux lui affirment une guerre rapide, éclair de 4 mois. Les nazis peuvent d’ailleurs compter sur une partie des russes blancs sensibles aux sirènes du Reich non par adhésion mais par simple anti-communisme. Dans cette époque troublée, chacun y voit ses intérêts, l’Allemagne nazie souhaite étendre sa puissance hégémonique et se débarrasser de Joseph Staline, le dirigeant soviétique, les russes blancs veulent prendre leur revanche sur ces bolcheviks qui les ont contraints à l’exil en 1917.
Le 22 juin 1941, c’est le déclenchement de l’Opération Barbarossa. Les panzers avancent de manière fulgurante et pénètrent en Ukraine. La Wehrmacht est accueillie en héros par la population, victime par milliers de la «Grande Purge». Depuis Saint-Briac où il vit, en Bretagne, le prétendant au trône de Russie, le Grand-duc Wladimir Kirillovitch émet un communiqué quatre jours plus tard : «En cette heure grave, où l'Allemagne et presque toutes les nations d'Europe ont déclenché une croisade commune contre le communisme et le bolchevisme, qui ont asservi et opprimé le peuple de Russie depuis vingt-quatre ans, avec cet appel, je m'adresse à tous les fils fidèles et loyaux de notre patrie. Faites ce que vous pouvez, au mieux de vos capacités, pour renverser le régime bolchevik et pour libérer notre patrie du terrible joug communiste ». La déclaration est ambigüe. Au sein de la communauté russe, on rêve d’un retour à la monarchie. Les Romanov ont-ils pris le parti des nazis pour récupérer leur trône ?
La montée du nazisme en Allemagne durant l’Entre-deux-guerres va séduire de nombreux russes blancs. Le Grand-duc Kirill vit alors à Cobourg, près du cousin de son épouse, le duc Charles-Edouard de Saxe-Cobourg-Gotha qui arbore la svastika nazie sur son bras. Kiril et Victoria vendent quelques bijoux de famille et en font don au parti nazi, trop heureux de ce soutien inattendu. Celui qui assure les contacts entre les nazis et les Romanov n’est autre que le général Vassili Biskupsky, ancien officier tsariste qui a mis son épée au service de l’Hetman ukrainien Skroropadsky. Il est le représentant officiel de Kirill Romanov en Allemagne et a déjà tenté de créer une monarchie pro-russe dans les états baltes avant d’imaginer une armée contre-révolutionnaire avec le concours d’un des héros de la première guerre mondiale, le général Ludendorff. L’intérêt du Grand-duc pour le nazisme est l’objet d’une surveillance étroite de la part du renseignement français. Un rapport confirmera les liens étroits entretenus par le prétendant au trône et les allemands, le mouvement monarchiste « financé par la noblesse, l’état-major du Kronprinz et les organisations américaines anti-bolchéviques ».
Quelle est alors la position du Grand-duc Wladimir lorsqu’il recueille la succession de son père en 1938. Il hésite. Les rumeurs affirment qu’il a mangé à Paris avec des dignitaires nazis, qui au préalable avaient rencontré le prince Félix Yossoupov, un des assassins du tristement célèbre moine Raspoutine. Les allemands lui auraient proposé de le mettre à la tête d’une Ukraine indépendante sur laquelle il régnerait en échange d’un soutien officiel de sa part . Wladimir refuse et oppose une fin de non-recevoir aux nazis. Un épisode que le Grand-duc démentira toute sa vie, accusant une journaliste de gauche, Geneviève Tabouis, d’avoir propagé cette rumeur dans un article intitulé «Le Grand-duc Vladimir est attendu à Berlin. M. Hitler semble vouloir faire de lui le Führer de l’Ukraine indépendante». «Les allemands ne m’ont jamais fait de proposition concrète. Certains l’ont cru, parce que je dois dire en toute franchise, que pendant toute l’Occupation, ils ont été corrects envers moi» expliquait le prince qui n’apprécie pas qu’Hitler ait qualifié la Russie de «nation inférieure» dans «Mein Kampf». Il est vrai que (encore une fois) un rapport des renseignements français mentionne une visite du prince en Allemagne en 1937 et en 1938 mais dont le caractère a été privé et que la journaliste en question, celle que Léon Daudet surnommé avec mépris « Tata, la voyante », est suspectée d'être un agent des soviétiques (à raison), Une autre note en 1940 confirme que le prince «s’efforce de ne pas devenir un instrument entre de mauvaises mains. Les allemands lui ont offert le trône ukrainien mais il a rejeté catégoriquement cette idée, stipulant qu’il serait soit un empereur russe, soit un simple citoyen» écrit le rédacteur du rapport.
Chez les Romanov, on n’adhère pas forcément à l’idéologie nazie. Ainsi, pour ne citer que lui, le prince Michel Féodorovitch Romanov (1924-2008) s’engage dans la résistance française où il servira d’interprète durant toute la guerre. L’Hiver s’abat sur les allemands qui vont bientôt piétiner en Russie comme Napoléon en 1812. La bataille de Stalingrad (1942-1943), marque le début de la fin pour le Reich. Les appels du prétendant au trône à résister aux envahisseurs et qui appelle ses compatriotes à s’inspirer d’Alexandre Nevski [un héros du panthéon national russe] agace le ministère des affaires étrangères, à Berlin. Une note interne, datée de juillet 1941, témoigne de l’irritation de Von Ribbentrop à l’égard du Grand-duc. Le gouvernement du Reich exige qu’il s’abstienne de tout communiqué et qu’il donne des assurances en ce sens. « S’il ne stoppe pas rapidement, nous devrons l’arrêter. Veuillez- vous assurer que toutes ses activités soient mises sous la surveillance des services de sécurité (SS) comme ses contacts personnels et sa correspondance » écrit le dignitaire nazi à Otto Abetz, ambassadeur allemand à Paris. Les archives déclassifiées allemandes montrent que le prince continuera ses activités et prendra même contact avec des officiers allemands séditieux, opposés au nazisme. La sanction ne tarder pas à tomber peu avant le débarquement des Alliés en Normandie. En mai 1944, Wladimir Kirillovitch est prié de venir dans la capitale. Il est arrêté, mis en résidence surveillée, un temps avenue Raymond-Poincaré, avant d’être envoyé en Allemagne, cantonné chez sa sœur Maria, qui a épousé le prince de Leiningen, capitaine de Corvette dans la Kriegsmarine.
«La victoire des défenseurs de notre nation restera immortelle, et toutes les générations qui suivront devront s’en souvenir pour la vie » rappelle dans son communiqué, la Grande-duchesse Maria Wladimirovana. «Il est plus que jamais important de montrer notre amour et notre respect pour nos anciens combattants qui sont encore survivants, et de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour préserver et transmettre à la prochaine génération la vérité historique sur la Grande Guerre patriotique. C'est quelque chose que nous pouvons et devons toujours faire, malgré les épidémies, les crises diverses ou d'autres adversités auxquelles nous seront confrontés dans l’avenir » poursuit-elle. S'inspirant de l'exemple des soldats au combat et des civils sur le front intérieur, qui ont remporté ensemble la guerre la plus terrible et sanglante de l'histoire de l'humanité et se souvenant toujours de leur patriotisme, de leur héroïsme et de leurs sacrifices, nous passerons à travers cette épreuve et toutes les surmonter toutes les adversités » conclu la prétendante au trône faisant un lien direct entre la Grande guerre patriotique et la lutte contre le covid-19.
Peu après la chute du Reich et libéré de ses gardiens, le Grand-duc Wladimir Romanov quitte précipitamment son lieu de résidence et se réfugie en Autriche, craignant d’être capturé par les communistes. Il arrive à Viaduz mais sa sécurité n’est pas garantie par la principauté. L’histoire lui donnera raison. La 1re armée nationale russe, qui a combattu aux côtés du comte Boris Alexeïevitch Smyslovski (1897-1988), ancien capitaine de la Garde impériale, sera en partie livrée par le Liechtenstein qui craint une invasion des soldats de l’Armée rouge [le film «Vent d'est» sorti sur les écrans en 1993 racontera ce tragique épisode de la Seconde guerre mondiale-ndlr]. Le prince héréditaire François-Joseph II refuse également de lui accorder l’asile comme la Suisse. Le Grand-duc Wladimir repart finalement vers Vienne, où il s’établit dans la zone Alliée, évitant ainsi le sort funeste de certains de ses compatriotes.
En 2015, le Grand-duc Georges Romanov, héritier de la couronne de Russie, s’était rendu à Berlin pour les 70 ans de la fin de la Seconde guerre mondiale. « Le souvenir de la victoire dans la Grande Guerre patriotique de 1941-1945 et la gratitude que nous avons pour les défenseurs de la Patrie restent aujourd'hui un puissant facteur d'unité nationale. On a toujours injustement décrit notre pays comme une sorte « d'agresseur ». Hors, les Russes comprennent profondément l'horreur de la guerre et aspirent toujours à faire la paix. Mais si on nous attaque, nous avons toujours su riposter » avait-il précisé au cours d’une interview. « je veux, avant tout, honorer la mémoire de nos compatriotes qui ont donné leur vie dans la lutte contre le nazisme, et (…) que les Russes du monde entier sont unis et solidaires, même si parfois nous avons des points de vue et des débats différents. La Maison impériale russe est étrangère à toutes formes de lutte politique et met toujours en avant ce qui unit les gens et non ce qui divise » a déclaré l’arrière-petit-fils du Grand-duc Kirill qui aurait dû également participer aux commémorations de cette année.
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