Les Romanov et le trône ukrainien lors de la Seconde Guerre mondiale
Les Romanov et le trône ukrainien lors de la Seconde Guerre mondiale
Chaque 9 mai, la Russie célèbre la capitulation de l’Allemagne, la prise de Berlin par les Soviétiques en 1945. Durant la Seconde Guerre mondiale, quelle a été l’attitude des Romanov à qui on a offert un trône ukrainien ?
Les prémices de la Seconde Guerre mondiale vont se sentir en 1938. Avec l’Anschluss, l’annexion de l’Autriche par les Nazis, le chancelier Adolf Hitler ne cache pas sa volonté expansionniste. Lorsqu’il rattache à l’Allemagne la partie sudète de la Tchécoslovaquie, rare sont ceux qui tirent la sonnette d’alarme. Pour certains diplomates qui ne croient pas aux paroles du dirigeant nazi, Hitler dessine déjà la route vers un autre de ses objectifs : l’Ukraine. Un chemin qui doit le mener vers Moscou à court terme et qui nécessite d’avoir des alliés de poids parmi les exilés russes qui ont fui leur pays en 1917, lors de la révolution bolchévique. Des exilés qui ne pensent qu’à la revanche, mais qui sont divisés. Parmi cette diaspora, les membres de la maison impériale des Romanov qui suivent les événements avec intérêt.
Une succession au trône incarnée par le Grand-duc Wladimir Romanov
Pour beaucoup de Russes blancs, l’idée monarchique est incarnée par le Grand-duc Wladimir Romanov (1917-1992). Dans un manifeste daté d’octobre 1938, il revendique fièrement cet héritage tsariste qu’il a récupéré des mains de son père et a appelé tous ses compatriotes à se réunir sous son nom. « (…) Je n’ai qu’un seul but, une seule aspiration : me mettre au service d la Russie pour le bonheur et le bien-être du peuple russe qui n’obtiendra ses droits et sa liberté qu’autour du trône impérial », déclare le petit-cousin de l’Empereur Nicolas II. Une position qui va être bientôt malmenée par la signature du pacte germano-soviétique (1939) puis le déclenchement de l’Opération Barbarossa (1941) qui connaît des succès fulgurants à ses débuts. Pour le Grand-duc Wladimir, la frontière entre rejet de la barbarie et amour de la patrie va être délicate à assumer. Il en va de même pour les autres Romanov.
Approché par les Nazis pour un trône ukrainien
Approché par l’ex-Kronprinz Guillaume de Hohenzollern, peu de temps après les accords de Munich, le Grand-duc Dimitri (qui a joué un rôle non-négligeable dans l’assassinat de Grégori Raspoutine en 1916) est sondé pour connaître les intentions du prétendant au trône. Accepterait-il de prendre un trône ukrainien dès que le grenier à blé de l’Europe serait libéré par les troupes allemandes ? Le fils du Kaiser Guillaume II va même plus loin et suggère au prince Dimitri de poser la questions aux autres Romanov qui vont finalement répondre d’une seule et même voix : la demande des Allemands est inacceptable en l’état. Pourtant, c’est un étrange ballet qui se met en place autour du Grand-duc Wladimir, parfois à son insu. La presse française n’hésite pas à affirmer que le Führer va rencontrer le prétendant russe à Berlin afin de discuter de cette couronne ukrainienne en devenir. S’il est vrai qu’en décembre 1938, Wladimir doit se rendre en Allemagne, c’est surtout à titre privé et familial. Il dément cette information qui continue à être distillée dans les médias de L’époque et objet de rumeurs dans les chancelleries. « J'ai été surpris de voir mon nom associé à la question des négociations avec l'Allemagne sur la question de l’Ukraine. Mon dernier séjour en Allemagne était entièrement privé. Je n'ai pas rencontré le chancelier Hitler et je n'ai pas eu de conversations politiques avec les autorités du Reich » affirme d’ailleurs le Grand-duc Wladimir. Des propos qui font écho à ceux de la Sûreté nationale qui le surveille : « Il essaie de toutes ses forces de ne pas devenir un outil entre de mauvaises mains... Les Allemands lui ont offert le trône d'Ukraine sous le protectorat de l'Allemagne, mais le Grand-duc a catégoriquement rejeté cette idée, disant qu'il serait soit un empereur de toute la Russie, soit un simple mortel. La majorité des légitimistes adhèrent à la même politique d’attente et ne veulent s’associer à personne » peut-on lire dans un rapport.
Le Grand-duc Wladimir joue le chaud et le froid
Si tous sont mués par un amour indéfectible à la nation, l’affaire divise profondément les cercles monarchistes des Russes blancs. Certains proclament qu’il faut soutenir la Wehrmacht en cas d’invasion, d’autres qu’il n’est pas possible de collaborer à une telle trahison et devenir les laquais du Troisième Reich. A Berlin, on s’active secrètement pour convaincre Wladimir d’accepter la main tendue d’Hitler. Des informations qui parviennent au Foreign Office qui manœuvre subtilement pour faire venir le prince impérial au Royaume-Uni afin de le soustraire à l’influence pro-allemande. Le Grand-duc André, petit-fils du Tsar Alexandre III, n’est pas dupe de l’opération. Sous couvert d’un emploi dans une usine, le prétendant au trône sera suivi d’un officier de l’intelligence service comme il l’affirme dans ses mémoires. La France surveille même le prince et se fait l’écho des rumeurs du moment dans une note du ministère de l’Intérieur. Il est fait mention de l’agacement du Grand-duc vis-à-vis de Londres et de son refus « catéorique » d’occuper le trône ukrainien. Dans ses déclarations, le Grand-duc Wladimir joue le chaud et le froid, renvoie dos à dos toutes les parties prenantes, ne se positionne pas officiellement, reste évasif, irritant certaines associations légitimistes.
L'option monarchique est abandonnée
Lors de l’invasion de la France par l’Allemagne (mai 1940), Wladimir Romanov n’est pas inquiété. Berlin lui envoie bien quelques officiers SS à sa rencontre, mais le prétendant demeure inflexible. Il n’entend pas succomber aux sirènes d’un hypothétique trône. Lors de l’invasion de la Russie, la proclamation du Grand-duc est sans équivoque. Publiée en juin 1941, il engage les émigrés russes à « renverser le pouvoir bolchevique ennemi de Dieu et (et de contribuer) à la libération de notre mère patrie du terrible joug communiste ». Dans un raccourci dont elle a (déjà) le secret, la presse française s’empresse alors de titrer que le prétendant au trône a enjoint ses partisans de rejoindre les forces de l’Axe. La proclamation ne satisfait pourtant pas les Nazis qui transmettent à Otto Abetz, ambassadeur d’Allemagne à Paris, un télégramme des plus lapidaires. Que Wladimir cesse de faire des déclarations où il sera interné, peut-on lire en substance dans les demandes de Berlin. Hitler va plus loin et juge les émigrés comme des incapables, exceptés les cosaques qui trouvent encore grâce à ses yeux. Si quelques journaux se font encore l’écho d’un retour d’une monarchie en Ukraine, les événements vont prouver que l’Allemagne a lâché l’option monarchique. Lors de son occupation, un Reichskommissariat Ukraine (RKU) est mis en place et il ne fait aucune place à un Romanov.
Chez les autres Romanov, c’est l’heure de l’engagement. Le prince Vsevolod Ioannovich (1914-1973), cousin du duc Philip d’Edimbourg, lors de la bataille d'Angleterre se distingue en passant chaque soirée sur les toits des maisons londoniennes à éteindre les bombes incendiaires qui éclatent un peu partout dans la capitale britannique et en aidant ceux qui se retrouvent sans abris. En Italie, le Duc Mussolini, poussé par la reine d’Italie, entend faire du Monténégro, un pays indépendant avec une monarchie. Il contacte alors le prince Roman Petrovitch (1896-1978), tout comme son fils Nikolaï Romanovitch (1922-2014, futur prétendant au trône de Russie, nommé par une autre branche de la famille impériale), pour les convaincre de prendre une couronne. Les deux princes refuser cette proposition des fascistes italiens. « Je n’ai jamais eu de sentiments envers le fascisme et le nazisme hitlérien. Par conséquent, même si j’avais été Monténégrin, j’aurais refusé », rappellera plus tard le prince Nikolaï Romanovitch. La princesse Xenia Andreevna (1919-2000) s’engagera comme infirmière dans un hôpital lors du conflit, puis comme bénévole dans une association caritative russe en faveur des pauvres. Le prince Mikhaïl Andreïevitch (1920-2008) sert comme Lieutenant dans la réserve aérienne volontaire de la marine britannique et partira combattre dans l'océan Pacifique, en Australie, contre les Japonais. Encore faut-il parler du prince Andreï Andreïevitch Romanov (1923-2021, autre prétendant au trône) qui va servir comme marin sur un navire de guerre de la marine britannique, qui escortait les cargos jusqu'à Mourmansk. Il participera au débarquement en Normandie (6 juin 1944). Ou encore du prince Dimitri Alexandrovitch (1901-1980) nommé lieutenant-commandant dans la Royal Naval Reserve et qui coordonna l'évacuation des troupes britanniques de Dunkerque (mai 1940).
A l'heure des comptes lors de la Libération,
Avec la défaite qui se dessine en Union soviétique, les Allemands reprennent contact avec les conseillers du prétendant au trône. Le Grand-duc Wladimir provoque l’effarement des Nazis en exigeant des propositions concrètes de leur part et la certitude qu’ils entendent bien éradiquer définitivement le communisme avant de sèchement mettre fin à leurs espoirs, en affirmant qu’il ne croit pas en leur victoire. Il quitte Saint-Briac (Bretagne) où il réside pour Paris afin de se mettre en sécurité. A l’approche du débarquement des Alliés, c’est l’hallali. Bien qu’il ne soit pas compromis, il pourrait être arrêté en raison de la collaboration avérée de certains Russes Blancs avec les Allemands. Réfugié en Autriche, il est à Feldkirch quand la Division Leclerc délivre la ville. S’engagent alors des négociations difficiles pour son retour en France alors qu’il est accusé par les autorités centrales d’avoir reçu des subsides des Nazis. La France de la Libération n’est pas tendre avec le Grand-duc Wladimir et lui interdit tout retour dans le pays. C’est finalement en Espagne qu’il se réfugiera en 1946 grâce à une intervention de l’infante Béatrice de Saxe-Cobourg-Gotha, duchesse de Galliera, placé sous la protection du général Franco.
Le retour définitif en France aura lieu en 1954. Considéré comme un réfugié russe avec sa famille, il retrouve leur maison de Saint Briac. Il faudra encore un demi-siècle pour que le Grand-duc Wladimir pose enfin pied sur terre en Russie. Il aura réalisé son rêve, celui de voir le communisme se briser en plusieurs morceaux.