Dans quelques jours, l’ancienne capitale impériale, Saint-Pétersbourg, s’apprête à renouer avec ses fastes d’antan. Le mariage du grand-duc George Romanov, héritier de la couronne, avec Victoria-Rebecca Bettarini a réveillé le sentiment monarchiste en Russie. Et si on est encore loin de toute restauration, l’aigle bicéphale flotte déjà au vent, préparant l’éventuel après-Poutine selon divers médias. Notamment anglophones. Avec la chute du communisme, les russes ont redécouvert et se sont réappropriés leur histoire. Aujourd’hui les figures des anciens tsars cohabitent avec celles du régime soviétique défunt. Pour 30% de la jeunesse russe, la solution aux maux du pays passe par le retour de l’institution impériale.
Hier surnommé « le sanglant », Nicolas II est aujourd’hui, avec sa famille, un saint du panthéon orthodoxe russe. A la chute du communisme en 1991, après sept décennies d’existence, les russes ont redécouvert que tous les Romanov n’avaient pas été tous exécutés comme on le leur avait enseigné sous le régime de la faucille et du marteau et que certains avaient bien survécu. La découverte des restes de Nicolas II et de sa famille à Ekaterinbourg, où ils ont été passés par les armes en 1918, a suscité un engouement national qui perdure encore aujourd’hui. Assoiffées de démocratie et épuisées par un pouvoir fort qui s’éternise, les générations Y et Z, appelées parfois « millenials », tournent désormais leurs regards vers l’institution impériale. Souvent critiquée, souvent fantasmée, elle représente un espoir d’avenir pour les jeunes russes d’après un récent sondage.
Ils ont entre 14 et 24 ans et dans leurs chambres d’étudiants, ils arborent des drapeaux de la monarchie, portraits de la famille impériale canonisée par l’église en 2000. Le retour de la monarchie ? Une évidence pour la jeunesse russe ! Alexandra est une jeune lycéenne toute pimpante. Elle est arrivée au monarchisme par passion de l’histoire, persuadée qu’il s’agit là du meilleur mode de gouvernement pour son pays, n’hésitant pas à vanter les réformes entreprises par le Tsar Alexandre II sous son règne [1855-1881 -ndlr]. Reconnaissant que le côté glamour du faste impérial a influencé son choix politique, elle raconte, avec humour, que sa grand-mère y est tout de même fortement opposée. Car selon sa babouchka, le niveau d’éducation des russes n’a été atteint que sous le régime des soviétiques. Une idée qui fait pourtant et sereinement son chemin dans le pays du Président Vladimir Poutine. 48% des russes seraient favorables à un retour de la monarchie selon une enquête parue en 2019. 35000 personnes ont été sondées sur cette question. 28% des personnes interrogées déclarent même qu'une telle transformation de la structure de l'État en Russie est tout à fait acceptable, et 18,3% y réagissent avec « enthousiasme » à la perspective d’un tsar sur son trône.
Rien qui n’étonne le jeune Nicolas, 17 ans, tout de blanc vêtu et la chemise tombée le long du pantalon. Ce 2.0 possède un portrait du Tsar Nicolas II chez lui et diverses icônes de la famille impériale, c’est un monarchiste convaincu qui déplore amèrement que la plupart de ses professeurs soient encore issus de l’ancien régime communiste et continuent encore de faire de la propagande contre le tsarisme. Ses informations sur le sujet, il les trouve sur internet, « une source plus fiable que l’enseignement russe ». Selon lui, le monarchisme peut revenir en Russie puisque le système actuel est une forme assuméE d’autocratisme. Les chiffres sont assez éloquents. Chez les 18-30 ans, 30% adhèrent à l’idée monarchique (notamment chez les diplômés du secondaire, parmi lesquels les partisans de la monarchie représentent un tiers des sondés), un chiffre qui caracole avec celui des quadragénaires, une génération qui a connu la guerre froide. Alexis a le même âge que Nicolas. Etudiant en sciences, son attirance pour le monarchisme a débuté lorsque sa grand-mère lui a offert un livre sur l’histoire des Romanov [la dynastie impériale qui a régné de 1613 à 1917-ndlr]. Le début d’une passion avoue-t-il timidement. Entre cours de danse en smoking comme au temps de l’Empire et fascination pour les soldats du tsar dont il possède plusieurs figurines, selon lui, ce sont les grandes œuvres classiques littéraires russes l'ont beaucoup aidé à forger son idée sur la monarchie qu’il associe à l’image de protection des peuples. Il reste pourtant critique à l’égard des mouvements monarchistes « dont l’attitude extrême n’aide en rien le monarchisme à se développer en Russie et à sortir des caricatures dans lesquelles les soviétiques l’ont enfermé ».
Un constat que ne cache pas le sondage par ailleurs puisque « dans tous les secteurs de l'économie nationale, le rejet de la monarchie reste majoritaire comparé à ceux qui ont une bonne vision de cette institution ». « Pour moi, la monarchie est une tradition, le bastion de notre culture et de notre nation » déclare une Caroline, 24 ans, longue chevelure, élancée et distinguée. Elle parle de ses origines aristocratiques, de ses ancêtres dont les photos, qu’elle possède sur sa table de chevet, évoquent la joie de vivre d’un temps disparu. Reprochant aux manuels d’histoire actuels de reproduire tous les clichés vendus sous le régime soviétique, Caroline rappelle fièrement qu’à la veille de la première guerre mondiale, la Russie était la 3ème économie mondiale. Pour elle, les paysans vivaient correctement et ont malheureusement subi l’influence des mouvements de gauche qu’elle accuse d’avoir introduit en Russie des notions étrangères contraires à sa culture. Ce, afin de favoriser la révolution qui a mis à bas le tsarisme en 1917. La révolution, « cette catastrophe qui a amené famine, guerre civile et terreur ». «
Sans compter la fuite en Europe de toute l’intelligentsia russe ». Pour la jeune femme, l’abandon des valeurs orthodoxes reste le principal vecteur de cette perte de spiritualité qu’elle perçoit en Russie, faisant référence aux demandes de légalisation du mariage et l’adoption d’enfants par des couples gays. Ce que « Dieu merci que la Russie a refusé » déclare-t-elle, insistant fièrement sur le fait qu’elle est en couple depuis 5 ans avec un jeune homme…monarchiste lui aussi. Tout en regrettant que ses amis versent dans ce libéralisme, ce « démocratisme dont elle souhaite la fin » contraire à ses positions conservatrices personnelles. D’ailleurs, chez ses parents, tout rappelle l’empire, des meubles aux tissus de velours qui ornent chaque côté des fenêtres. La religion indissociable de la monarchie ? Pour 35% des personnes interrogées, cette religion est intrinsèquement liée au tsarisme.
Pour Evgueni, 16 ans, l’affaire est entendue. Lorsque le tsar était sur le trône, il n’avait pas besoin de voler son peuple. Il possédait le pays. La monarchie ? Pour ce lycéen, cette idée est partie intégrante de la culture russe. Et aussitôt d’ajouter que ses origines sont paysannes pour montrer qu’il n’a pas été influencé dans son choix. D’aileurs le taux d’adhésion à l’idée monarchique est inférieure à 25% au sein des classes sociales modestes et moins de 30% parmi les plus aisées. Pourtant, si on ne discute pas de politique chez lui, il affirme que propres ses parents ont une vision favorable du tsarisme en dépit de la figure de Nicolas II qui divise les russes. Il est membre d’un club de jeunes monarchistes, tous âgés de 16 à 18 ans, dont le but est de faire connaître l’histoire des Romanov à travers des expositions et des colloques. Se définissant comme un jeune homme moderne, ouvert, qui écoute tant du classique que du folk rock, « surtout si ces groupes sont pro-monarchistes comme celui de « Veles » qui mélange rock et musique traditionnelles datant d’Ivan le terrible, il confesse qu’il est passionné par l’histoire des empereurs autocratiques notamment Alexandre III et Nicolas II. Selon lui, la Russie a atteint son apogée sous le règne de ce dernier, « n’en déplaise à ses détracteurs » ajoute-t-il. Précisant qu’« il a en horreur cette révolution bolchevique » où en Russie, « un cinquième des rues des villes du pays portent encore le nom des héros de la révolution d’Octobre ».
Le retour de la monarchie en Russie ! Une évidence « qui repose sur l’amour de la patrie russe » et qui sonne comme un crédo d’avenir pour le jeune homme. Politiquement peut-on réellement envisager une restauration de la monarchie après la fin de la présidence de Vladimir Poutine qui a déjà affirmé que « cela n’est pas sur son agenda » lors d’une interview accordée au producteur Oliver Stone (2017). Le dirigeant russe est entouré de monarchistes (comme l’oligarque Konstantin Malofeev qui est à la tête mouvement « Aigle à deux têtes » ou le président de Crimée Sergueï Valerievitch Axionov qui a proposé en 2015 de restaurer un tsar) et conserve des contacts avec les Romanov. Si 17% des sondés se disent favorables à ce que Poutine soit couronné empereur de toutes les Russies, c’est à droite toute que l’on trouve l’idée monarchique séduisante : 44% pour les membres de Russie unie (parti gouvernemental) et 36% pour ceux Parti libéral-démocrate de Russie du député Vladimir Jirinovski. Pas de quoi pavoiser pour autant. L’enquête conclut toutefois que la restauration d’un tsar n’est pas encore pour demain en Russie car elle reste encore profondément rejetée par les russes.
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