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Raspoutine, une descendance qui cherche à réhabiliter le staretz

Grigori Efimovitch Raspoutine a laissé derrière lui un héritage complexe. Pour certains, il était un homme de Dieu, un guérisseur mystique et un conseiller spirituel. Pour d'autres, il était un manipulateur ambitieux et dangereux dont l'influence a contribué à la chute de la dynastie des Romanov. Sa brutale disparition a marqué un tournant dans l'histoire russe, précipitant la chute de la dynastie Romanov et l'avènement de la révolution bolchevique. Ses descendants tentent aujourd’hui de le réhabiliter.

Grigori Efimovitch Raspoutine est né le 21 janvier 1869, en Sibérie, dans l’une des régions les plus reculées de l’empire russe. Ses parents sont de simples moujiks, propriétaires de leurs fermes. Très tôt, il aide ses parents aux champs, apprend quelques rudiments d’écriture et de lecture, s’endurcit, trompe son ennui dans la vodka, boisson répandue dans les villages reculés de l'Empire russe. C’est à l’âge de 16 ans qu’il a ses premières révélations mystiques et des apparitions mariales qui l’amènent à mener une vie d’ascète et à se plonger dans les enseignements de la bible. S’il alterne entre vie de paysan et enseignement spirituel, il n’en oublie pas les plaisirs de la chair qu’il affectionne particulièrement. Il épouse Praskovia Feodorovna en 1888 et aura avec elle pas moins de cinq enfants (dont deux vont décéder prématurément).

Une notoriété qui l'amène à la cour de Saint-Persbourg

Lorsqu’il approche la secte des khlysts, Raspoutine va trouver dans ce mouvement la confirmation de son mysticisme. Ses adeptes pensent que par la danse, la flagellatio, l'extase, l'érotisme et l’étude de la religion, ils peuvent ainsi se rapprocher de Dieu. Les rumeurs d’orgies et de magie entourent ce groupe qui vit dans le monastère de Verkhotourié. Rien n’indique cependant que Raspoutine a été initié à leurs rites, excepté celui de l’hypnose qu’il va parfaire dans ce lieu consacré. Au fur et à mesure des années, il va acquérir une réputation de guérisseur et de prêcheur qui vont contribuer à forger sa notoriété. Son succès commence à inquiéter les institutions religieuses orthodoxes qui ne peuvent cependant rien faire contre lui, ne pouvant rien lui reprocher. Son aura arrive aux oreilles de la Grande-duchesse Militza de Monténégro (1866-1951), épouse du Grand-duc Pierre Nikolaïevitch de Russie (1864-1931), qui l’invite à la rejoindre à Saint-Pétersbourg, la capitale impériale. La princesse, comme ses sœurs, sont passionnées de sciences occultes, à un tel point que les membres de la cour du Tsar Nicolas II les surnomment « le péril noir ».

Raspoutine, l'impératrice et le Tsarévitch Alexis @wikicommons

Un moine à la réputation sulfureuse

C’est en 1905 que son nom va être associé aux Romanov. En sauvant le Tsavéritch Alexis d’une crise d’hémophilie, il devient indispensable à l’impératrice Alexandra qui est convaincue que le moine est un « envoyé de Dieu ». Raspoutine sait apaiser le seul fils du couple impérial en apposant ses mains, en lui donnant des remèdes sibériens, en lui racontant des contes avec sa voix envoûtante. Son regard perçant et hypnotique agit comme un aimant à qui le croise. Certaines des princesses qui se mettent à le consulter ne tardent pas à succomber à son charme rustique. La capitale bruit de rumeurs en tout genre, les rapports s’accumulent sur le bureau du Tsar. On parle de débauche régulière, de ses exploits libidineux et de cette influence qu’il exerce sur l’Empereur et la Tsarine, dont les bolsheviks se serviront plus tard afin de décridibiliser les Romanov. Il est finalement chassé de la cour début 1911, exilé vers Kiev, non sans avoir prédit la mort d’un ministre lors d’une transe. Par une pure coïncidence, sa prophétie se réalise avec l’assassinat du Premier ministre Piotr Stolypine par un anarchiste en septembre suivant. L’homme avait contribué à le compromettre. C'est encore une autre prophétie qui va lui permettre de revenir triomphalement, un an plus tard, à la cour de Russie.

Une prophétie qui précipite la chute de l'Empire

Le dernier chapitre d’une vie qui va le lier à la chute d’une dynastie qui fête son tricentenaire. Le fossé se creuse entre la maison impériale, l’aristocratie et ses sujets. Rien n’a véritablement changé, les réformes tardent à se mettre en place, la colère gronde. La manifestation pacifique du dimanche 22 janvier 1905, réprimée violemment, renforce les antagonismes entre les classes sociales. La Première Guerre mondiale survient alors que l’influence de Raspoutine est devenue omniprésente auprès de Nicolas et Alexandra qui ne jurent que par le staretz. Face à la menace qu’il entrevoit, Raspoutine tente de convaincre le Tsar de ne pas suivre ses généraux va-t-en-guerre.  Dans une lettre qu’il écrit au Tsar, il prédit des torrents de larmes et de sang, la fin de la Sainte Russie. On l’accuse alors d’être dans le camp des Allemands. Raspoutine, qui porte toujours la longue croix que lui a offerte la Tsarine Alexandra va alors émettre une dernière prophétie qui résonne encore à nos oreilles. S’il devait mourir, sa disparition entrainerait avec lui celle des Romanov. La suite est connue de tous. Dans la nuit du 16 au 17 décembre 1916, il est victime d’un complot qui réunit le Grand-duc Dimitri, son amant, le prince Félix Youssopov, le député d’extrême droite Vladimir Pourichkevitch, l’officier Soukhotine, le docteur Stanislas Lazover ainsi que l'agent secret britannique Oswald Rayner. Il aura fallu plusieurs doses de cyanure et plusieurs balles de revolver avant que son corps ne soit plongé dans la Neva. L’autopsie démontrera qu’il est en réalité mort de noyade. Un assassinat qui comporte encore de nos jours des zones d’ombre non-élucidées.

Raspoutine, ses enfants, Maria Raspoutine @wikicommons

Maria Raspoutine, gardienne d'une mémoire controversée

De sa descendance, on ne connaît que la vie de Maria Raspoutine, une de ses filles. De son vrai nom Matryona, elle est née en 1898 (ou 1899 ?). Grigori Efimovitch Raspoutine l’emmène avec lui à Saint-Petrsbourg, ainsi que sa dernière fille (Varvara, née en 1900), afin que toutes deux  soient éduquées dans les meilleures écoles de la capitale impériale. Après avoir été refusées à l'Institut Smolny, elles sont inscrites à l'école préparatoire privée Steblin-Kamensky en octobre 1913. Avec le déclenchement du conflit mondial, Maria confesse dans ses mémoires qu’elle a vu son père se transformer peu à peu, buvant de plus en plus des vins de dessert afin de calmer ses angoisses. Elle demeure un témoin privilégié de cette époque bien que certains passages tendent à disculper son père de toutes les accusations qu’il traîne derrière lui. Passionnée de cirque, elle est fiancée un temps à un officier géorgien qui évite le front grâce à l’intervention du moine. Pour Maria Raspoutine, il est impossible que son père ait pu ingurgiter des gâteaux sucrés, saupoudrés de cyanure, en raison de son hyperacidité. Dans ses mémoires, elle accuse même le prince Félix Yossoupov d’avoir tenté d’avoir eu une relation homosexuelle avec Raspoutine et que ce dernier aurait repoussé.

Ultime témoin d'une Russie défunte

Dotée d’une pension confortable après la mort de son père, elle assiste à la réalisation de cette prophétie qui signe le glas d'une monarchie séculaire. La révolution russe contraint le Tsar Nicolas II à abdiquer en mars 1917 avant que les bolcheviks ne finissent par le faire exécuter dans le sous-sol de la maison Ipatiev, lui et sa famille entière, le 17 juillet 1918. Maria Raspoutine est brièvement arrêtée, interrogée au Palais de Tauride avant d’être libérée grâce à l’intervention de Boris Soloviev, le fils charismatique de Nikolaï Soloviev, le trésorier du Saint-Synode, et l'un des admirateurs de son père. Diplômé d'une école de mysticisme, il s'est rapidement imposé comme le successeur de Raspoutine après le meurtre. Leur mariage (septembre 1917) est une promesse faîte à son père. Les deux époux n'éprouvent aucune attirance l’un pour l’autre, ni même charnellement. Leur union va tourner au tragi-comique avec un Soloviev qui joue double jeu avec les Russes Blancs, les partisans de la monarchie, qui lui ont donné des bijoux de la tsarine, et qui espèrent que Maria a les mêmes dons que son père. Son mari dénoncera d’ailleurs les officiers mandatés pour sauver le couple impérial, prisonnier à Ekaterinbourg ,avant d’entamer une vie d’escroc notoire auprès des familles de l’aristocratie russe.

Une descendance prolifique peu connue, un héritage mythifié qui se perpétue 

Inquiété par les Russes blancs, puis par les communistes, Maria et Boris fuient vers Ceylan (Sri Lanka). Dans leur bagage, leur fille prénommée Tatiana, née en 1920. Ils arrivent à Prague où ils ouvrent un restaurant russe. Une vie d’errance marquée par la naissance de sa seconde fille en 1922, prénommée comme sa mère, le décès de son époux en 1926 puis celle de Varvara la même année. Paris, Berlin, Maria accumule les « petits boulots ». Danseuse de cabaret, puis dans un cirque qui trouve bon ton de la faire trémousser sur une scène qui rappelle le meurtre de son père, elle part  finalement s’installer aux États-Unis, à Los Angeles. Un procès contre Félix Yossoupov (qu’elle ne gagne pas) ne calmera jamais sa haine contre le prince. En guise de revanche, elle appellera ses deux chiens, « Yossou » et « Pov ».  Elle meurt le 22 septembre 1977, un an après Maria, son cadette, qui a épousé Gideon Walrave Boissevain (1897–1985), ministre plénipotentiaire en Grèce, au Chili, en Israël, puis ambassadeur des Pays-Bas à Cuba, avecc lequel elle a eu Serge (1947-2011, qui a eu lui-même deux filles : Katya née en 1970 et Ambre en 1978). Tatiana va lui survivre jusqu’en 2009, laissant trois enfants :  Serge (né en 1939 qui a eu Valérie (née en 1963) et Alexandra (née en 1968)), Michelle (née en 1942 qui a eu Jean-François (1968-1985)) et Laurence (née en 1943).

L’héritage de Raspoutine, longtemps tabou au sein de propre famille, est aujourd’hui assurée par Laurence Huot-Soloviev, mère de deux enfants : (Maud (née en 1967) et Carol (né en 1966). La fille benjamine de Tatiana s’est donnée pour « mission de diffuser la vérité sur son arrière-grand-père, dont la biographie est trop mythifiée » comme elle l'a déclaré à Russia Beyond. « De simple ami des souverains, on en a fait un intrigant et un combinard. De clairvoyant, on en a fait un sorcier et un charlatan. De pacifiste, on en a fait un espion, voire un mouchard », regrettait-elle dernièrement sur les ondes de RTL  (2022). Selon elle, démentant les légendes orgiaques auxquelles est lié son arrière-grand-père, il n’était qu’un « homme simple avec un grand cœur et une forte force spirituelle, qui aimait la Russie, Dieu et le Tsar » affirme Laurence Huot-Solovieff qui tente aujourd'hui de réhabiliter le staretz.

Copyright@Frederic de Natal

Date de dernière mise à jour : 17/07/2024

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