L’Ukraine rend hommage à Guillaume de Habsbourg, son dernier souverain

« L’archiduc Guillaume-François est une grande personnalité militaire et politique de l’Ukraine. Personne d’autre autant que lui ne mérite de figurer dans le Panthéon des grands ukrainiens ». Archiduc d’Autriche, poète, brillant, le prince Guillaume-François de Habsbourg-Lorraine a été le dernier souverain d’une Ukraine indépendante durant l’Entre-deux-guerres. Personnage fantasque, noceur homosexuel exilé à Paris et sensible aux promesses des nazis, l’Ukraine redécouvre son dernier monarque à qui elle a récemment donné le nom d’une place à Lviv. A l’occasion du 103^ème  anniversaire de la paix de Brest-Litovsk, l’Institut ukrainien de la mémoire nationale (IUMN) a réclamé que ses cendres soient associées officiellement à cette commémoration. Une demande qui n’est pas sans controverses.

« Il aimait beaucoup l’Ukraine. Il était absolument désintéressé, sans aucune volonté de se faire couronner roi comme certains l’ont écrit » affirme Tatiana Ostashko. Professeur d’université, elle est venue assister à l’inauguration d’une place baptisée « Vasily Vyshivany », le nom ukrainien du prince Guillaume-François de Habsbourg-Lorraine que cette ancienne république soviétique redécouvre doucement. Plus jeune fils de l’archiduc Charles-Etienne de Habsbourg-Teschen et de l’archiduchesse Marie-Thérèse de Habsbourg-Toscane, Guillaume-François voit le jour le 10 février 1895, grandit une large partie de sa vie en Galicie. La Pologne autrichienne est la grande oubliée du compromis national de l’Empire qui se désagrège lentement sous les yeux de l’empereur François-Joseph, souverain absolu inconsolable depuis le suicide de son fils unique à Mayerling et l’assassinat de sa chère « Sissi ». Il vit entouré dans ses souvenirs et refuse d’entendre les cris de liberté que ne cessent de pousser les différents peuples qui constellent les serres de l’aigle bicéphale. Charles-Etienne a bien compris que bientôt l’Europe ne tarderait pas à entrer en guerre et qu’une couronne s’offrait à lui. C’est dans cette perspective que Guillaume-François a été élevé, un enfant qui a hérité des gènes fantasques de cette dynastie qui règne depuis des siècles sur un gigantesque empire que seul Napoléon a réussi à mettre à genoux. Et si son père se veut l’incarnation du rêve d’indépendance de la Pologne tissant doucement les fils de sa toile autour de cette idée, lui décide qu'il sera celle de l’Ukraine, pays qui le passionne. Ce nostalgique rêve d’aventures tandis que son père place ses pions dans la perspective de se voir offrir une couronne. Le mariage de sa fille Renée avec un prince Radziwill, un membre de la noblesse polonaise, est le premier jalon d’un succès à venir mais qui sera éphémère.

Il apprend l’ukrainien auprès des gens du cru qui travaillent dans les fermes. Sur son cheval, le jeune homme s’élance à la manière des cosaques dont il entend s’inspirer dans le futur. Le nationalisme ukrainien émergeant revendique d’ailleurs la Galicie. Tout comme les Polonais qui regardent cette partie de la Russie voisine comme une de leur possession historique. Entre le Moyen-âge et la Renaissance,  les deux pays avaient formé une union sous le règne des Jagellons. Une relation entre miel et fiel. Cadet à Vienne, l’archiduc continue d’apprendre les us et coutumes de l’Ukraine. Il entrevoit déjà son propre destin royal, loin de celui de son père et s’intéresse même aux idées des austromarxistes, ces sociaux-démocrates qui heurtent la politique de François-Joseph. Le déclenchement de la Première guerre mondiale va consacrer la naissance la monarchie polonaise sous le regard allemand et autrichien. Si Guillaume –François est envoyé au Front et exige de ses hommes qu’il l’appelle de son prénom ukrainien, Vasily, Charles-Etienne négocie avec les termes de son couronnement. Les territoires pris aux russes rejoindront l’empire et la nouvelle Pologne aux frontières mal dessinées retrouvera un semblant d’indépendance sous la férule d’un Habsbourg-Teschen. Les deux empires centraux finissent pourtant par se disputer, Vienne soutenant que la couronne devant  revenir à un Czartoryski, le propre gendre de Charles–Etienne considéré comme un pro-Habsbourg, l’Allemagne se demandant si un  Radziwill ne serait pas de meilleur aloi avant d’offrir une tiare à Charles-Etienne devenu enfin roi d’un royaume fantoche qui s’effondrera comme un château de cartes en 1918.

L’aventure ukrainienne de Guillaume-François commence en septembre 1917 à la demande de l’empereur Charles (qui est monté sur le trône austro-hongrois en décembre 1916° qui apprécie son cousin. D’une beauté éclatante, l’archiduc se présente à la délégation qui l’attend à Lviv dans un costume brodé et traditionnel ukrainien. Le métropolite Sheptytsky est sous le charme de cet autrichien qui parle sa langue natale et devient son conseiller personnel. Le prince perçoit rapidement le besoin d’indépendance de ce pays menacé par les bolchéviques. Face à ses ambitions, Pavlo Skoropadsky, un général de l’armée russe qui entend lui aussi porter une couronne que lui proposent les allemands qui occupent Kiev. Meneur d’hommes, Guillaume-François est plébiscité par sa Légion qui n’hésite pas à le porter en mai 1918 en triomphe sur un trône ramené de Crimée. L’idée de le voir couronner « roi constitutionnel et démocrate d’Ukraine » devient de plus en plus évidente pour certains ukrainiens qui le parent des attributs et autres regalia de circonstance, qui ne veulent plus voir Skoropadsky à la tête de l’Hetmanat qu’il vient de former avec l’aide des casques à pointe. Vienne et Berlin se livrent à une guerre d’influence, Skoropadsky s’agaçant de la présence de son concurrent à qui on retire son assise militaire après que le Kaiser ait fait parvenir à Charles une prétendue lettre de l’archiduc faisant mention de son « règne ». Deux rois, un seul pays et tapis dans l’ombre, les républicains qui s’emparent du pouvoir dans la confusion de la chute des aigles en novembre 1918. Les ambitions s’effondrent pour le prince autrichien qui perd doucement l’espoir de régner sur son Ukraine. Commence alors un long exil pour le prince qui approche le général Ludendorff qui n’a pas abandonné les rêves d’un Reich impérialiste et expansionniste. A ses côtés, un Adolf Hitler qui n’est pas encore ce Führer que l’Europe va bientôt apprendre à connaître mais un obscur putschiste raté. Privé de biens, il tente encore de rentrer dans son pays désormais en guerre civile. Il signe alors un pacte de réconciliation avec Skoropadsky qui projette de la faire épouser sa fille afin de créer une nouvelle dynastie.

Comme Charles en Hongrie, Guillaume-François espère rentrer en Ukraine à la tête d’une armée qui attend ses ordres. Suffisamment pour que la république de Kiev lui offre un poste qu’il refuse. Ses idées démocrates sont en contradiction face à celles plus dictatoriales de Skoropadsky et cette rivalité finit par briser un front qui manque de finances, les deux abandonnés par leurs alliés nationalistes allemands. Après un bref retour, il quitte définitivement l’Ukraine fin 1922 pour se réfugier dans le « Gai Paris ». Pourtant rien n’est joué. On pense à restaurer les Habsbourg en Autriche, le prince est même reçu par Zita de Bourbon-Parme qui lui promet qu’il figure bien dans les plans de retour à la monarchie. Parallèlement, la montée du nazisme est une autre opportunité que Guillaume-François ne néglige pas entre deux aventures. Blond et doté d’yeux d’un bleu éclatant, Guillaume-François n’a jamais fait mystère de ses préférences sexuelles dès son adolescence. « Il vivait dans ce rêve de voir associer  ensemble la royauté, l’armée et l’homosexualité » écrit  Timothy Snyder dans une biographie qu’il a consacrée à ce prince qui renoue avec les complots. « Une Ukraine libre lui sera donnée » assure t-on à Berlin. Hitler ne tourne pas encore son regard vers l’URSS mais lui a déjà compris qu’un conflit entre l’Allemagne et la Russie stalinienne est inéluctable. Chef de la maison impériale depuis le décès de son père  Charles en 1922, Otto de Habsbourg-Lorraine s’agace du « fascisme aristocratique » arboré par ce cousin qui se retrouve à la une des journaux français suite à un scandale. Dans les salons nazis, on parle de lui comme d’une « crapule parisienne décadente ».  La Seconde guerre mondiale, source d’espoirs pour ce prince rouge, qui une fois de plus va se confronter aux réalités de la politique . Il ne soutiendra plus Hitler, devient espion pour la résistance française qui s’intéresse de près à l’organisation de libération montée aux Etats-Unis par Otto de Habsbourg-Lorraine et va finir sa vie dans une prison soviétique, arrêté par les communistes à Berlin. Il meurt officiellement en octobre 1948 de tuberculose, derrière des barreaux d’une geôle spartiate.

« C’était un vrai patriote ukrainien issu de la dynastie des Habsbourg »  affirme Tatiana Ostashko qui prépare un nouveau livre sur le sujet. « Malheureusement, nous n'avons pas pu trouver le lieu exact de son enterrement. Nous savons seulement qu'il a été enterré avec d'autres prisonniers politiques au cimetière de Lukyanovskoye » poursuit-elle. « D'un autre côté, il était si unique qu'il a toujours refusé  de rentrer dans un  concept populiste. C’était un monarchiste et peut-être justement, le fait qu’il ait bénéficié d’un statut aussi élevé, aristocratique, n'a peut-être pas contribué à faire de lui ce héros qu’il a toujours été » affirme ce professeur d’université venue assister à l’inauguration d’une place à Lviv qui portera son nom et agrémenté d’un panneau explicatif sur sa vie tumultueuse. Pour l’Institut ukrainien de la mémoire nationale (IUMN), il même temps de lui rendre un hommage officiel à l’approche de la commémoration du traité la paix de Brest-Litovsk conclu entre l’Ukraine et la Russie soviétique, il y a 103 ans. « Il y avait une réelle volonté de le couronner comme monarque » affirme les représentants de cet institut dont l’organisme n’est pas reconnu en Russie. Pourtant, l’archiduc est loin de faire l’unanimité. Pour certains ukrainiens de gauche, Guillaume-François n’était ni plus ni moins qu’un « traitre au service des allemands, encore moins un héros ». « L’archiduc Guillaume-François est une grande personnalité militaire et politique de l’Ukraine. Personne d’autre autant que lui ne mérite de figurer dans le Panthéon des grands ukrainiens » affirme pourtant l’IUMN qui a demandé que l’état ukrainien honore comme il se doit son « dernier monarque ». Une initiative qui a reçu le soutien du député nationaliste Vladimir Ariev qui a regretté publiquement que  « personne n'ait vraiment aidé Vasily à prendre sa couronne ».

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