«C’est un cadeau pour ceux qui ne le méritent pas, car c’est la propriété des musulmans ». Souverain parmi l’un des sept royaumes qui composent la Fédération des Emirats arabes unis (EAU), l’émir de Sharjah a réclamé que le royaume espagnol restitue la mosquée de Cordoue aux musulmans. Classée au patrimoine mondial de l’Unesco, l’ancien califat omeyyade de Cordoue est un des symboles du début de la Reconquista chrétienne par le roi Ferdinand III d’Aragon. Une demande qui intervient quelques jours après la décision des turques de retransformer l’ex-basilique byzantine de Sainte-Sophie en lieu saint de l’Islam et qui a autant irrité le parti monarchico-conservateur Vox qu’étonné le gouvernement fédéral des Emirats arabes unis.
Sultan bin Muhammad Al-Qasimi est quasi inconnu grand public. Pourtant, il est membre du conseil fédéral des Emirats Arabes Unis et souverain de l’émirat de Sharjah, situé dans le golfe arabique. Cet ancien protectorat britannique qui s’est affranchi de la tutelle ottomane va participer à la création de cette fédération pétromonarchique avec 6 autres émirats à l’aube des années soixante-dix. Il règne sur son état depuis le 25 janvier 1972, date à laquelle son frère a été la victime d’un assassinat. Une maison frappée par ma tragédie puisque son fils héritier est mort d’une overdose en 1999, à peine âgé de 24 ans. Bien que largement occidentalisé, l’émirat n’en reste pas moins celui qui est le plus conservateur des états de la péninsule arabe. Ici l’interdiction de consommer de l’alcool s’applique même aux européens et les femmes se doivent d’être couvertes de l’abaya, qui les recouvre de la tête aux pieds, y compris les petites filles.
«Nous demandons le retour de la mosquée de Cordoue, qui a été accordée à l'église, car c'est un cadeau qui n'appartient pas à ceux qui ne le méritent pas» a déclaré l’octogénaire souverain lors d’une interview à une chaine de télévision locale, le 16 juillet dernier. Et qui n’a pas tardé à soulever les passions sur les réseaux sociaux et la presse catholique qui s’est offusqué de cette exigence. Citant l’exemple de la Basilique Sainte-Sophie redevenue récemment une mosquée, l’émir Sultan III a expliqué qu’il n’était plus permis que ce haut-lieu saint musulman demeure une cathédrale. Une déclaration qui a surpris même le gouvernement fédéral des Emirats Arabes Unis qui a pourtant, par la voix de son ministre de la culture, condamné la décision turque. «Les monuments culturels de l'humanité doivent être préservés pour leur valeur et leur fonction, et ne doivent pas être utilisés à mauvais escient ni modifiés à des fins personnelles» a déclaré publiquement Noura Al Kaabi.
C’est au VIIIème siècle que la mosquée de Cordoue a été bâtie avant de tomber dans les griffes des chrétiens en 1236 qui s’empressent de la transformer en cathédrale sous le nom de «Notre Dame de l’Assomption» peu de temps après la chute de ce califat omeyyade. Depuis 2004, de nombreuses associations musulmanes (soutenues par une partie de la gauche espagnole) font campagne afin d’obtenir le droit de venir prier à l’intérieur de ce chef d’œuvre de l’art musulman. Une demande avait même été directement faite en 2006 au Pape Benoit XVI sans que celui-ci n’y réponde. En 2010, des musulmans avaient tenté de pénétrer dans le lieu pour y prier avant d’être expulsés de l’édifice religieux.
Le ministre turc des Affaires étrangères y a été de son laïus et apporté son soutien au souverain de Sharjah tout en feignant de s’étonner que des messes y soient encore célébrées. Parti défendant les droits de la couronne espagnole et des traditions chrétiennes, Vox a émis une protestation face à cette demande qu’il juge inacceptable. «Après avoir transformé Sainte-Sophie en mosquée, ils exigent maintenant la cathédrale de Cordoue. Défendons notre culture et nos symboles contre ceux qui veulent y mettre fin» a déclaré Santiago Abascal, l’étoile montante de la politique espagnole qui n’hésite pas à utiliser des symboles de la Reconquista lors de ses meetings pour galvaniser ses partisans. Et bien que l’émir de Sharjah ait déjà rencontré le roi Felipe VI lors d’un échange diplomatique entre les deux pays, sa demande assez surprenante n’a toutefois aucune chance d’aboutir.
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