Ils sont quelques milliers rassemblés sur la place centrale de la capitale, Téhéran. Ils écoutent le discours du Guide suprême, Ali Khameneï, qui promet à ses ennemis l’échec de leurs « plans démoniaques ». Pourtant ce 40ème anniversaire de la fondation de la république islamique d’Iran, que les mollahs ont voulu célébrer toutefois en toute sobriété, semble bien terne. La crise économique jette quotidiennement les iraniens dans la rue depuis plus d’un an. La « révolution des œufs » réclame aujourd’hui la fin d’une oppression, l’ouverture du régime à la démocratie et le retour de la monarchie. Une revanche de l’histoire ?
« En 40 ans, vous n’avez provoqué que des destructions en Iran. Vous ne vous souciez pas de la nation, seulement de votre idéologie (…). Bientôt, le peuple surmontera cette tyrannie et reprendra sa liberté. Dans l’Iran libre de demain, nous n'appellerons pas à la mort mais à la coopération et au respect mutuel de tous ». C’est par ce tweet cinglant que le prince Reza Shah Pahlavi II a répondu au dirigeant de la république islamique. Il avait à peine 19 ans, alors étudiant en sciences politiques dans une université de Californie, lorsqu’éclate les émeutes qui vont conduire à la chute de la monarchie des Pahlavis. Les journaux titrent en farsi « Shah raft » (le shah a foutu le camp). La famille impériale connaîtra l’exil dans différents pays, le deuil avec la mort du Shahinshah (et plus tard la princesse Leïla et le prince Ali Reza), les joies avec le mariage du prince héritier couronné par la naissance de 3 enfants et les combats pour retrouver leur dignité perdue. Aujourd’hui, le fils du Shah entend unifier l’opposition et revenir dans son pays afin d’effacer la honte du « 22 Bahman 1357 », date du calendrier persan qui coïncide avec la mise en place du système théocratique.
« Les mollahs ont anéanti tous nos rêves, ceux de tout un peuple. Ce qui se passe actuellement dans notre pays, n’était même pas imaginable dans les pires cauchemars des plus pessimistes et des plus opposants au régime de Mohammad Reza Shah. D’un pays riche qui prêtait de l’argent à l’Angleterre et à la France, nous sommes arrivés à un pays où, aux dires de ses propres autorités, dans une des provinces les plus riches de l’Iran, Khouzestan, des dizaines de milliers d’enfants ne peuvent pas aller à l’école, car ils n’ont pas de chaussures ! Avant la révolution, l’Iran devenait de plus en plus moderne, les femmes commençaient à s’imposer dans la société. Nous étions en train d’évoluer A vant la révolution, le rêve de tous les Iraniens, de tout bord, était de voir l’Iran devenir un pays comme la Suisse, ou les Pays-Bas ; aujourd’hui nous prions pour qu’il ne devienne pas l’un des pires pays de la planète » déclare Cyrus Amouzegar sur les ondes de Radio France International (RFI). Ce nostalgique de la période impériale n’est pas un inconnu. Il a été le dernier ministre de l’information du shah. Aujourd'hui, il espère que l’histoire va prendre sa revanche sur ce régime inique qui l‘a pourchassé et qui a vu son ombre derrière les premières tentatives de renversement des mollahs au début des années 1980.
Dans un message enregistré sur les réseaux sociaux, le prince Reza Shah Pahlavi II a appelé ses compatriotes à la désobéissance civile. Les manifestations sont toujours aussi nombreuses dans le pays, parfois ponctuées de slogans monarchistes. « Reza shah que dieu te bénisse » crie une jeune génération désabusée qui rêve de ne plus porter le voile ou de s’embrasser en public, habillé à la dernière mode occidentale. 4 décennies auparavant, leurs parents conspuaient le shah accusé d’être un dictateur et la marionnette des Etats-Unis, le « grand satan » de l’ayatollah Khomeiny, le chantre de la révolution. Les rôles sont désormais inversés. Des tracts à l’effigie du prince héritier ont été distribués dans les manifestations (août 2018), son nom inscrit sur les murs quand ce n’est pas « vive le shah » qui s’offre à la vue des caciques du régime. Dans un communiqué publié son site, l’impératrice Farah Diba, qui continue de fasciner les royalistes par sa prestance, son charisme et sa douceur, a comparé ses anciens sujets à ce « phœnix épris de liberté qui renaît désormais de ses cendres». L’oiseau mythique est devenu le symbole d’un projet monté par le fils du roi des rois afin de rassembler sous un même parapluie, intellectuels, scientifiques, artistes, politiques qui seront amenés à construire l’Iran du futur.
La réalité politique l’emporte cependant sur le lyrisme persan. Le 6 février, le prince Reza Pahlavi a rencontré à Washington des représentants du Congrès, tous issus du parti démocrate ou républicain. Il s’agit pour l’héritier de la couronne de provoquer une révolution en Iran sans effusion de sang. Il a en tête l’exemple irakien où l’intervention américaine a été un désastre et a balkanisé le pays. « J'essaie de convaincre la communauté internationale que le seul moyen de sortir d'une telle crise n'est pas une attaque militaire contre l'Iran, mais un soutien total aux mouvements de libération iraniens » déclare Reza Pahlavi dont le nom a été scandé à Qom. Tout un symbole, c’est ici que Khomeiny a fait ses premiers prêches contre la monarchie. Il a même reçu un soutien de poids en la personne de John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale de Donal Trump qui a décidé de nouvelles sanctions contre l’Iran afin de l’étouffer économiquement :«Il appartient au régime iranien de changer de comportement, et, in fine, aux Iraniens de déterminer la voie que doit prendre leur pays. Les Etats-Unis soutiendront la volonté du peuple iranien et seront derrière eux pour s'assurer que leurs voix soient entendues » peut-on lire de la part de ce diplomate dans un article de France soir.
L’Iran accuse le fils du Shah de comploter avec Israël et l’Arabie Saoudite, quitte à fabriquer des «fake news » distillées dans la presse acquise au régime clérical. Les mollahs n’hésitent pas à menacer sa famille. Selon l’opposition, Mohammad Reza Naqdi., général de brigade vice-commandant des Affaires culturelles et sociales des Gardiens de la révolution islamique (Niruyeh Moghavemat Basij) aurait affirmé publiquement que des agents iraniens se trouvaient désormais aux Etats-Unis afin d'assassiner la famille impériale Pahlavi. La menace a été prise au sérieux par le secrétariat de la shabanou et les leaders de la diaspora iranienne dans le pays ont réclamé que la Maison blanche assure la protection de l’héritier impérial qui peut compter sur le soutien d’un certain nombre de partis d’opposition, en particulier le mouvement (monarchiste) Farashgard (Renouveau de l'Iran).
Reza Shah Pahlavi II sera-t-il empereur d’Iran ou Président d’une république laïque ? Entre ses mains deux héritages, celui de son père et de son grand père qui a fondé l’Iran moderne en 1921. Et qui avait rêvé d’être l’Atatürk de son pays (en référence au père fondateur de la république turque-ndlr) avant de monter sur le trône du Paon sur l’insistance du clergé. Le prince est un démocrate. Une fois l’Iran libéré, la question sera posée par référendum aux persans et il se pliera à la volonté populaire sans pour autant quitter le champ politique de l’ancienne Babylone. « Le moyen de sortir de cette crise est de former une force basée sur un discours iranien; un discours pour la reconstruction de l'Iran dans l'intérêt du bien-être des Iraniens » affirme le fils du Shah qui entend ne pas dépendre d’une puissance militaire étrangère quelconque. Les mouvements royalistes l’affirment, ils sont devenus une menace réelle pour les mollahs autant qu’ils se disent les plus populaires parmi ceux de l’opposition. Guère l’avis de l’organisation des moudjahiddines du peuple iranien (OMPI), basée à Paris, et qui voue une haine tenace à la maison impériale.
Le fils du Shah est-il crédible pour autant pour Bruxelles ? L’Europe semble le bouder, préférant préserver les acquis obtenus sur l’accord du nucléaire signé en 2015. Le prince répond en lançant un ultimatum aux technocrates de Bruxelles. « Le régime iranien actuel ne changera jamais. Vous devez choisir dans quel camps vous êtes » a déclaré l’héritier à l’intention de Bruxelles dans un entretien réalisé par le journal allemand « Bild ». Il est vrai que l’on peut s’étonner de la rapidité des institutions européennes à reconnaître un opposant au régime vénézuélien élu (décrit comme un pouvoir totalitaire) comme président légitime et feindre d’ignorer tout aussi superbement les événements en Iran. « Si la révolution islamique n'avait pas eu lieu, l'Iran devrait aujourd'hui - selon la plupart des analystes - ressembler à la Corée du Sud. Malheureusement, cela ressemble plus à la Corée du Nord. Si vous regardez la pauvreté, la pollution, la dégradation de l'environnement, les infrastructures et le désespoir en général, vous avez l'impression que la peste s'est emparée de nos terres. Tout cela est le résultat d'une mauvaise gestion massive et de la corruption » argumente le prince qui peut compter sur la chaîne Manoto TV, basée à Londres, qui diffuse un nombre d’images d’archives datant de l’ère impériale et dont les émissions connaissent un certain succès nous indique le journal « Le Monde ». Ehsan Abdoh-Tabrizi, chercheur indépendant en histoire, politique et relations internationales, est forcé de le reconnaitre. « Il y’a un véritable renouveau du monarchisme en Iran, une adulation des iraniens pour l’ancien régime » qui s’explique par la « présence fédératrice et arbitrale » que joue actuellement le prince héritier. Et bien qu’il émette des doutes sur la réelle volonté des iraniens à restaurer la monarchie, Ehsan Abdoh-Tabrizi avoue que le prince a « acquis une certaine légitimité et dont l’image plaît aux dissidents ».
Le prince saura-t-il tirer parti de cette révolution, accomplir son destin et s’imposer comme le seul leader incontournable ? Hier à la radio, il a pris la parole. Appelant les jeunes Iraniens à « renverser intelligemment ceux qui sont contre l'Iran », « je serai toujours à vos côtés » a promis le prince Reza Shah Pahlavi II.
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Publié le 11/02/2019