« Les monarchies d’Europe, reliques d’un passé révolu ou gages d’équilibre dans un continent divisé ? ». A l’heure où l’idée monarchique refait doucement surface et commence à s’imposer de nouveau sur le continent européen, c’est le magazine « Diplomatie » qui consacre un dossier de 20 pages à cette question qui intrigue désormais les médias. « Ancrées dans l’histoire et la culture de leur pays, les monarchies peuvent-elles être des symboles d’unité et d’équilibre (…) ? » s’interroge le numéro 98 de ce bimestriel, spécialisé dans l'actualité internationale et stratégique.
« En matière monarchique et mis à part la période d’interrègne, le mort saisit le vif, la continuité fait figure de dogme, le roi est mort, vive le roi ! ». Le baron Francis Delpérée, ancien sénateur et actuel député belge, donne le ton du dossier. Il vit dans à Bruxelles, capitale d’un royaume qui a pris son indépendance en 1830 au prix d’une âpre lutte. La Belgique est l’une des douze monarchies encore existantes en Europe, la majorité d’entre-elles étant constitutionnelles. « La stabilité de l’état et des institutions ne saurait être compromise par le décès du titulaire de la fonction royale. Au prince héritier de prendre sans tergiverser la relève » explique Francis Delpérée, qui ajoute : « il faut se situer dans la société politique d’aujourd’hui en laissant les historiens le soin d’établir le bilan (de tels ou tels rois ou empereurs). Il ne sert à rien de cultiver la nostalgie (….) alors que la monarchie s’inscrit dans un ensemble constitutionnel dont elle n’est qu’un des éléments ». L’Europe des monarchies est une réalité, qui se dessine dans le temps et dans la modernité tout en cultivant un pluralisme et une indépendance, qui est loin de s’effacer. Il n’y pas un modèle mais des modèles qui s’adaptent à leur époque tout en assurant à travers une notion de continuité politique, un équilibre des pouvoirs.
? « Les constitutions connues de nos jours « persistent à énumérer les attributions que le roi doit effectivement exercer- sanctionner la loi, nommer les ministres, conclure les traités, battre monnaie, exercer la grâce…Ces fonctions officielles ne sauraient être négligées au prétexte qu’elles seraient assumées de facto par le gouvernement et sous sa seule responsabilité. L’une des plus significatives réside dans l’obligation faîte au roi d’apposer sa signature, assortie de celle d’un ministre au bas d’un ensemble d’actes qui présentent une importance politique et juridique non négligeable » continue Delpérée. Sans le respect de ce protocole, le souverain dispose d’un véritable pouvoir de véto qui n’a rien à envier au pouvoir exécutif des présidents de la république. En 1990, le roi Baudouin Ier n’avait pas hésité à refuser de signer une loi autorisant l’avortement, provoquant une mini-crise politique, obligeant le gouvernement de revoir sa copie. 2 décennies plus tard, le Grand-duc Henri de Luxembourg fait bloquer la promulgation de la loi sur l’euthanasie, obligeant son gouvernement à la supprimer. Et si le roi est astreint à une forme de neutralité, il n’hésite pas à « s’immiscer dans les procédures en cours » s’il le juge nécessaire. La récente intervention de la reine Elizabeth II dans le débat sur le Brexit a été appréciée par l’ensemble des députés du Parlement. Loin d’être une potiche, le monarque dispose en ces « instants officiels d’un certain pouvoir d’appréciation et d’un réel pouvoir d’influence » qui le place au-dessus des partis. Exit la République ambitieuse « tributaire d’une élection périodique », la monarchie s’occupe du bien commun sans « être affectée par les changements politiques qui peuvent intervenir dans les hémicycles parlementaires » assène comme principaux arguments l’universitaire. Et c’est bien tout le but de son rôle protocolaire, critiqué par les plus « royalistes que le roi » qui le préserve des intérêts personnels des politiciens. En somme, le « roi représente l’état (…), l’image et même le visage que le pays offre aux regards de l’intérieur comme de l’extérieur » conclut Francis Delpérée. Lors de la crise qui a secoué la Belgique entre 2010 et 2011 ou l’Espagne en 2017, le roi Philippe comme Felipe VI ont fait figures de garant de l’unité nationale. « Au Royaume-Uni, si l’on excepte l’apparition, plus ou moins éphémère de mouvements républicains au XIXème siècle, jamais un mouvement républicain ne s’est constitué au point de renverser le système politique » peut-on lire dans le chapitre savoureux consacré à la monarchie britannique qui jouit d’un prestige sans précédents.
? Souvent opposée à la démocratie vendue si chèrement par les républiques, celle-ci n’a rien d’antinomique avec la monarchie. Bien au contraire, les souverains sont les « facteurs et les acteurs de toute société démocratique ». Les rois restent des arbitres naturels et « créent une espace naturel de stabilité ». Il est erroné de parler d’Europe des rois mais plus juste d’évoquer ces rois d’Europe qui « s’inscrivent dans l’histoire, la culture et la vie sociale de l’état ». Au classement des pays par indice de démocratie cette année, sur les 15 premiers pays cités, 9 sont des monarchies. Et parmi lesquelles la Suède et le Danemark, ces monarchies du Nord considérées comme socialement progressiste. La France ne figure qu’à la 29ème place. Monarques modestes et modernes, ils se sont rendus accessibles, rationalistes et pétris d’égalitarisme, « proches des peuples dans leur normalité ». Ici le républicanisme ne fait pas recette. Le roi /la reine ne règne pas mais assume ses devoirs avec brio.
?Sans couronnes, ces types de monarchies inspirent les prétendants au trône. En France, le comte de Paris, le prince Jean d’Orléans, comme le duc d’Anjou, le prince Louis-Alphonse de Bourbon, ont tous deux déclarés que la monarchie espagnole était certainement la plus adaptée pour l’Hexagone. Avec des nuances pour l’un comme pour l’autre, loin des caricatures distillées par la presse locale qui entretient un rapport schizophrène et surprenant vis-à-vis de ce passé monarchique construit par des générations de Capétiens en mille ans.
? Argument principal des opposants aux royautés le coût exorbitant que représenterait une monarchie. La monarchie britannique coûterait actuellement entre 60 et 80 centimes d’euros par habitants. S’il est difficile d’établir des comparaisons précises avec un système républicain, il n’en demeure pas moins que l’Elysée coûte à chaque contribuable pas moins d’un 1.60 euros. Toutes les monarchies ne sont pas aussi peu couteuses mais encore faut-il relativiser les 17 euros que coûtent le Grand-duché de Luxembourg et le rapporter au nombre de ses habitants. Le débat demeure assez vif entre experts qui ne cessent de s’affronter sur le sujet. Bien des monarchies ont été renversées au cours du XXème siècle, le plus souvent à la suite de conflits majeurs. Mais ont-elles récemment fait l’objet de restaurations significatives ? Celle qui est la plus citée reste l’Espagne en 1975, après la mort du Caudillo Francisco Franco dont la mémoire et l’héritage continue de hanter le monarchisme espagnol. C’est pourtant loin d’être un cas unique.
? En 1993, par exemple, le Cambodge comme l’Ouganda votent le retour de leurs respectifs souverains. De l’Europe à l’Amérique du Sud en passant par l’Asie, des mouvements monarchistes luttent pour le retour des rois. Ainsi la Serbie ou le Népal ont été gouvernés par des coalitions qui ont intégré des mouvements monarchistes, le roi Siméon II qui a quitté la Bulgarie comme roi est revenu comme premier ministre. Des options qui ont été mises sur la table des négociations dans des pays en guerre civile comme en Afghanistan ou en Libye, récemment avec l’Iran. La France n’est pas exsangue de cette vague de monarchisme qui traverse l’Europe. Hier divisés, les deux principaux mouvements monarchistes (Action française et Nouvelle action royaliste) se sont mis au service du prince Jean d’Orléans, tout en gardant une certaine indépendance d’actions. Même du côté de La Légitimité, on s’active pour imposer le prince Louis-Alphonse de Bourbon, en tentant l’expérience du militantisme, pourtant inconnu (voire rejeté) des rangs des partisans du duc d’Anjou. Avec moins de succès médiatique à contrario du descendant de Louis-Philippe Ier d’Orléans, dernier roi des français renversé en 1848, qui occupe cet espace avec une certaine intensité. Loin d’être de salon ou de coeur, les monarchistes 2.0 sont assurément de raison et voient dans ce système une alternative non négligeable. On est désormais éloigné des photos « glam’s» vendues par Paris Match ou Point de Vue qui font rêver tout un chacun, influencé par des générations de Walt Disney. Les monarchistes veulent du concret, du réalisme, du moderne et « souscrivent au mot prêté à La Fayette en appui à la monarchie de Juillet : la meilleure des républiques est une monarchie entourée d’institutions républicaines ». Couronner la république ? Le crédo visionnaire du comte de Paris, le prince Henri d’Orléans, grand-père de Jean qui s’inspire indubitablement de son prédécesseur comme en témoigne ses récentes prises de positions dans la presse. Dans les monarchies de ce siècle, force est de constater que « le roi ne gouverne pas ou ne gouverne plus mais à défaut de gouverner, le roi règne » tout en restant dépositaire du sacré et de la tradition, surfant sur le « capitis diminutio » dont (leurs familles) font l’objet depuis plus d’un siècle, accompagnant les gouvernements élus par la vox populi dans la conduite des affaires publiques tout en forgeant une vision à long terme qui fait ses preuves à travers l’histoire. Boudée par la majorité des médias français, l’idée monarchique est pourtant en plein expansion et touche toutes les couches de la société civile, faisant régulièrement les titres de la presse internationale.
Loin de pêcher par excès d’optimisme, c’est désormais un vaste mouvement en marche, assez suffisant pour que le magazine « Diplomatie » consacre un long et détaillé dossier. Reste à savoir comment les différents partis monarchistes pourront le concrétiser tout en s’inspirant de la force des monarchies actuelles, symboles de pérennité et de stabilité.
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Publié le 17/05/2019