Le Menhir et les Lys de France, des relations complexes
Le Menhir et les Lys de France, des relations complexes
Passionné d’Histoire, tribun reconnu, Jean-Marie Le Pen, Président du Front National (FN), a eu avec les différents prétendants au trône de France et les royalistes des relations complexes . Son décès vient de clore le chapitre ambigu des liens entretenus par le « Menhir» et de son parti avec la mouvance monarchiste.
Fondateur et Président du Front National (FN), Jean-Marie Le Pen est décédé à l’âge de 96 ans, le 7 janvier 2025. ll aura marqué de son empreinte une large partie de la vie politique française sous la IVe et Ve République. Ancien pupille de la nation, le « Menhir » (surnommé ainsi en raison de ses origines bretonnes) fut également un tribun reconnu, maniant le verbe avec brio lors de joutes télévisées mémorables, se faisant remarquer par des excès polémiques qui le poursuivront tout au long de sa carrière de député et d’opposant aux différents gouvernements. Passionné d’Histoire de France, Jean-Marie Le Pen a eu avec les prétendants au trône de France et la mouvance monarchistes des relations complexes .
Le Pen, un maurassien dans l'âme
Parues aux éditions Muller en 2018, les mémoires de Jean-Marie Le Pen, intitulées « le Fils de la nation », se sont rapidement classées à la neuvième place des meilleures ventes dès les premiers jours de leur sortie. L’ancien président fondateur puis d’honneur du Front national y évoque ses souvenirs de jeunesse où se mêlent des épisodes de l’histoire de France, de la Libération en 1944 à la guerre d’Algérie, de son adhésion au poujadisme à la fondation du Front national en 1972 en passant par ses relations avec les monarchistes.
Dès le chapitre IV de ses mémoires, à la première page, il ne cache pas la réponse à cette question qui agite depuis des décennies le milieu royaliste, toutes tendances confondues. Jean-Marie Le Pen était-il plus monarchiste que républicain ? S’est-il rêvé en général Georges Monk, du nom de ce gouverneur de l’Écosse qui d’abord cromwellien, œuvra par la suite avec succès à la restauration de la maison Stuart sur son trône légitime en 1660 ? Aucun suspens, le patron du « paquebot » tient à démythifier les spéculations entourant cette rumeur qui se transmet de générations en générations entre militants monarchistes.
Etudiant à la Corpo, il fréquente les milieux nationalistes ou patriotiques. Son anti-communisme viscéral l’emmène naturellement à passer ses soirées dans tous les milieux s’y rattachant, y compris celui des monarchistes de l’Action française (appelée à cette époque Restauration nationale), le mouvement de Charles Maurras qui aura marqué toute la moitié du XXème siècle et fait trembler la IIIe République avec ses Camelots du Roi. « (…) J’ai fréquenté Pierre Boutang, Georges-Paul Wagner, (Gérard de-ndlr) Gubernatis qui l’étaient, j’ai même vendu une fois (le journal de -ndlr) l’Action française avec un article de Charles Maurras détenu dans les prisons de la république », explique ce nationaliste convaincu. « C’était également provocateur », admet Jean-Marie Le Pen qui arpentait le Boulevard Saint-Michel avec les royalistes, le journal « Aspect de France » dans la poche de son veston (1949). De Charles Maurras, qui salua dans l’arrivée au pouvoir du Maréchal Pétain comme une « divine surprise » (un soutien qui lui sera reproché à la fin de la Seconde Guerre mondiale et une condamnation), Jean-Marie Le Pen citait volontiers l’académicien. Preuve s’il en est, le chantre du royalisme est évoqué près de 20 fois dans le premier tome de ses mémoires.
Des liens fructueux avec l'Action française
Le Pen est attiré par les armes. Après la fin de ses études universitaires, il effectue six mois à l'École d'application de l'infanterie de Saint-Maixent puis part en Indochine française comme parachutiste sous les ordres d’Hélie Denoix de Saint Marc. L’homme, monarchiste de surcroît, va marquer le député en devenir que l’on retrouve bientôt en Algérie française. Les « événements », tels qu’ils furent appelés par la presse métropolitaine, diviseront profondément les français. « L’Algérie est française, ce sont des départements à défendre », proclame t-on très fort et très haut à la RN qui mobilise ses partisans sur place (Union royaliste d’Algérie (URA) sous la présidence de Jacques Carpentier), appelant à « l’union totale entre l’armée française et les populations françaises d’Algérie » (1958). La suite est connue. Tournées des popotes, putsch des généraux d’Alger, l’OAS dont l’Action française sera partie prenante, départ en masse des Français d'Algnrie comme des Harkis et les accords d’Évian qui scelleront un siècle et demi de présence française sur les côtes barbaresques (1962).
Des armes à la politique, il n’y a qu’un pas que Jean-Marie Le Pen va franchir. Et c’est par l’entremise d’un ancien résistant royaliste et adhérent de l’AF, Serge Jeanneret (1911-2000), qu’il va rencontrer Pierre Poujade, figure marquante de la IVème république en fin de vie. Les deux hommes vont vite s’apprécier. Poujade va prendre Le Pen sous son aile et le propulser sur les bancs de l'Assemblée nationale entre 1956 à 1962. Lorsqu’il lance son aventure avec le Front national avec des résistants et d’anciens collaborateurs, l’Action française ne cache pas son mécontentement face à un homme qui marche sur ses plates-bandes. Jean-Marie Le Pen contacte pourtant le groupe monarchiste pour qu’il le rejoigne. Mais par principe dogmatique, le fameux « ni droite-ni gauche mais royaliste », le bureau politique de l’A.F préférera rester à l’écart du parti frontiste. Pour autant, elle n’interdit pas à ses membres de le fréquenter comme l’ancien milicien et camelot du Roy, Henri Charbonneau (1913-1982) qui va devenir l’un des influents conseillers du mouvement d’extrême-droite naissant.
L'anti-lepénisme de la Nouvelle Action royaliste
L’arrivée au pouvoir du socialiste François Mitterrand en 1981 va finalement rapprocher les deux mouvements même si toutefois, la position de l’Action française vis-à-vis du FN restera toujours ambiguë. Ainsi, bien que l’on retrouve des militants de l’AF dans le défilé frontiste organisé chaque 1er mai en l’honneur de Jeanne d’Arc (les deux mouvements défilant séparément, l’Action française le deuxième week-end de mai), le vote FN a toujours suscité de vives discussions dans les réunions du comité de direction de l’AF, à l’approche de chaque échéance électorale. A l’aube de sa mort en 2007, Pierre Pujo, fils d’un des fondateurs de l’Action française et directeur du journal éponyme, justifiait encore ses appels passés en faveur du vote frontiste uniquement par rejet du système politique allant même à qualifier qu’un tel geste « équivalait à exprimer sa foi dans une renaissance française ».
Du côté de la Nouvelle Action royaliste (NAR), parti politique royaliste, dirigé par Bertrand Renouvin, ancien candidat à l’élection présidentielle de 1974, met un point d’honneur à dénoncer le « nationalisme ethnocentrique » du Front National et sa « conception autoritaire du pouvoir ». Une ligne anti-FN que la NAR va toujours suivre sans jamais s’en démarquer. Dans un article publié dans l’hebdomadaire Royaliste (octobre 1985), sur « l'effet Le Pen» , s’intitule « Comment s'en débarrasser ? », la NAR ne cache pas son animosité. « Il est resté un adolescent en quête d'héroïsme guerrier. (..) un chef de bande qui hésite entre la guerre des boutons et la cour des grands », écrit de sa plume l’ancien conseiller au Conseil Économique et sociale à propos de Le Pen. En 2002, à la veille du second tour de l’élection présidentielle, Bertrand Renouvin, n’hésite pas et appele à faire barrage à « JMLP ». « Depuis plus de trente ans, nous luttons contre le racisme et la xénophobie. Depuis dix-huit ans, nous dénonçons l’imposture du national-populisme. Nous appelons donc au rejet de Jean-Marie Le Pen, lors du second tour de l’élection présidentielle », écrit sur son blog un Renouvin combattif, applaudi par ses militants. Une NAR très agacée par la proximité des membres de l’AF avec le FN, expliquant que les idées de ce parti nuisent à celles de la monarchie.
Des prétendants au trône de France opposés au leader du FN
Le vote monarchiste a été longtemps courtisé par Jean-Marie Le Pen non sans créer quelques remous parmi les différents prétendants à la couronne de France. Jean-Marie Le Pen n’hésite pas à exploiter les tensions existantes et publiques entre le comte de Paris (Henri d’Orléans) et son fils aîné (du même nom), le comte de Clermont pour arriver à ses fins. La presse se fera l’écho de la présence de ce dernier le 17 février 1986, à une réception organisée par le Président du Front national. Le prétendant au trône alors interrogé par l’Express sur la cour assidue que fait le Front national aux monarchistes et à son fils, balayera la question d’une sèche réponse : « eh bien qu’il les garde ! ». Le descendant du roi Louis-Philippe Ier ne goûtait guère les diatribes du leader du Front national, encore moins les choix de l’AF avec qui il avait rompu ses relations. Proche de la NAR, le comte de Paris avait d’ailleurs appelé à voter pour le candidat socialiste, François Mitterrand, en 1981 et 1988. Exaspéré par cette prise de position, le député frontiste Édouard Frédéric Dupont se fait le porte-parole de l’agacement du menhir, pointant du doigt le prince Henri d’Orléans (1908-1999) comme « la plus récente recrue du président de la République ». Il importera peu, autour de Jean-Marie Le Pen quelques monarchistes qui seront élus députés lors de l’élection législative de 1986 comme Georges-Paul Wagner ( 1921-2006)
Entre les Orléans et Le Pen, en dépit d’un amour pour la patrie, tout opposait la Maison royale de France et le trublion de la politique française. Interrogé par Thierry Ardisson, Henri d’Orléans (1933-2019) avait reconnu en 2003 cette rencontre avec un Jean -Marie Le Pen et confesse que celui-ci lui aurait proposé un trône, » en étant son général ». Chose à laquelle le prince de France aurait répondu avec mépris, mais diplomatie : « Mes généraux, je me les choisis ». Un sentiment partagé par le prince Alphonse de Bourbon (1936-1989) qui prétend également au trône de France. Le gendre du généralissime Franco refuse de soutenir publiquement le FN alors que ses partisans ( les Légitimistes), que l’on trouve dans la frange la plus catholique du monarchisme, semblent séduits par le breton. C’est la crise. Marcel Chéreil de La Rivière, qui est un des soutiens légitimistes affichés de Jean-Marie Le Pen, fait scission et rallie un prince ouvertement plus proche du Front national, le prince Sixte-Henri de Bourbon-Parme. Un autre descendant de Louis XIV qui a toujours entretenu une amitié indéfectible avec Jean-Marie Le Pen, « remarquable débroussailleur, fidèle à l’expression de réalités qui apparaissent comme évidentes, lorsqu’elles ne sont pas dévoyées par des a priori et des préjugés regrettables […]. », comme il le qualifiait encore en 2015.
Et du côté de l’Action française jeune, les différents cadres montrent tantôt des signes de nervosité face à ce vote en faveur du leader frontiste tantôt des signes de ralliement. En 2007, lors de l’élection présidentielle, Pierre Pujo, fils d’un des fondateurs du mouvement royaliste et directeur de l’Action française 2000, appelle alors à voter au premier tour pour le candidat du parti d’extrême–droite. « Tout ce qui est national est nôtre ! »,selon la maxime bien connu des royalistes. Officiellement, l’AF se rallie au vote frontiste uniquement par rejet du système républicain mais non par adhésion à ses idées. La décision de Pierre Pujo sera néanmoins contestée par l’Action française étudiante qui prend se fend d’un communiqué parallèle : « l’Action française étudiante n’appelle à voter pour personne. Nous exprimons simplement notre sympathie pour ces trois candidats, (Le Pen, Nihous et De Villiers) tout en pointant du doigt le fait que Jean-Marie Le Pen semble être le seul à pouvoir secouer le système et à faire mieux ressortir ses incohérences. Nous laissons cependant libres nos lecteurs, sympathisants et militants de voter pour le candidat de leur choix ou de voter blanc. Car ce n’est pas là que se trouve le salut de la France... ». (…) « L’Action française étudiante ne fonde aucun espoir sur la mascarade de 2007. Seule la monarchie, héréditaire et au-dessus des partis, pourra répondre efficacement aux inquiétudes des Français et, ainsi, restaurer la France. », renchréit cepednant l'AFE . Dans les sections, entre Paris et Marseille, on se divise sur cette question.
En 2016, un colloque organisé par l’AF avec en guest-star la députée Marion Maréchal (Le Pen), petite-fille de Jean-Marie, fait salle comble et offre aux royalistes une surmédiatisation inattendue en déclarant qu’elle se sent « saoulée par les valeurs de la république ». Un an plutôt, son grand-père avaitt été exclu de son propre parti par sa fille, Marine Le Pen, présidente du Rassemblement National (RN). Loin d’être maurassienne, l’AF lui accordera son soutien « faute de mieux ». Auteur d'un disque de chansons royalistes (intitulé « Les Chouans Chants de Guerre. 1790 1832 »), des royalistes, Jean-Marie Le Pen en garde finalement une certaine déception. Un homme rancunier qui assène à Marc Savina, journaliste de l’Action française hebdo qui l’interrogeait en avril 2011, une de ses petites phrases punchlines comme il a toujours eu le secret : « Les institutions sont républicaines ; je fais de la politique dans la République. Il n’y a d’ailleurs pas de député royaliste. Xavier Vallat ne se définissait même pas comme tel. Le dernier fut Léon Daudet {de 1919-1924ndlr) ». Selon un sondage daté de 2009, publié dans un fascicule intitulé « Le royalisme en France, état des lieux », 17% des royalistes interrogés (1737 personnes) reconnaissaient pourtant et volontiers soutenir le FN. Un électorat aussi rogné par le MPF de Philippe de Villiers venu brouter sur les plates-bandes de Jean-Marie Le Pen.
Un hommage appuyé marquant la fin d'un chapitre tumultueux entre Le Pen et les royalistes
Ce peu de solidarité de ses compagnons de vente à la criée, Jean-Marie Le Pen n’en finira pas de le ressasser et le fait savoir dans ses mémoires : « On m’a demandé si j’étais monarchiste. Non (…) [mais] je les écoutais avec plaisir, j’en prenais une teinture (…). Je garde de la sympathie pour la famille royaliste et pour les rois qui ont fait de la France, je ne crois pas que mon pays soit né en 1789, mais j’ai toujours été du moment présent. La monarchie n’a aucun sens aujourd’hui, bien que je ne sais pas de quoi demain sera fait », écrivait-il dans ses mémoires.
Les royalistes de l’AF lui ont toutefois rendu un hommage appuyé. Dans un communiqué publié sur ses réseaux sociaux, « L’Action française tient avant tout à saluer le patriote intransigeant, l’homme courageux qui sut mettre sa vie au bout de ses idées », peut-on lire. « À la fois adulé et haï, voire diabolisé, Jean-Marie Le Pen aura su marquer de son empreinte la droite nationale. L’Action française est d’autant plus libre de reconnaître la part qu’il prit à la renaissance du patriotisme dans les classes populaires qu’il n’appartint jamais à notre mouvement, restant un indéfectible républicain et ne voulant appartenir à aucune école », écrit Olivier Giot, Secrétaire-général de l’AF.
Un dernier geste de reconnaissance pour des années de lutte en commun que tout séparait sur le fond, en guise de conclusion d’un chapitre qui fut constamment teinté de miel et de fiel entre le lys bleu roi et la flamme tricolore du FN.